Afghanistan: 'Niqab, une émission qui ose donner la parole aux femmes'
Sami Madhi, un Afghan de 27 ans, a décidé que les choses devaient changer dans son pays. Il a créé une émission de télévision où les femmes peuvent parler en toute liberté de la violence dont elles sont victimes: de leur mari qui les frappe, de leur père qui les marie à l'âge de 10 ans ou du silence de la société qui ne fait rien pour les aider. L'émission fait fureur. Au moment où le procès Shafia se déroule à Kingston, notre journaliste Michèle Ouimet et notre photographe Ivanoh Demers se sont rendus à Kaboul. Portrait d'une émission révolutionnaire qui ose donner la parole aux femmes.
Sami Mahdi s'est attaqué à un puissant tabou en créant une émission de télévision dans laquelle les femmes dénoncent la violence familiale.
L'idée est simple: les femmes se présentent sur le plateau de télévision, elles portent un masque pour protéger leur identité et elles déballent leur vie. Leurs misères sont étalées sans aucune pudeur à une heure de grande écoute: la violence de leur mari, les coups, les humiliations, les filles mariées à l'âge de 10 ans, les viols, les mariages forcés.
Il n'y a plus de secret. Pour un pays farouchement traditionnel comme l'Afghanistan, c'est l'électrochoc.
Je voulais donner la parole aux femmes, explique Sami Mahdi. Tout le monde sait ce qui se passe, mais personne n'en parle. Je veux changer les mentalités des hommes et briser le silence qui entoure la violence faite aux femmes.»
Sami Mahdi a 27 ans. Il porte des jeans et un veston avec une élégante désinvolture. Il n'a rien du farouche pachtoune, il a plutôt la dégaine d'un jeune premier. Il fait partie de cette nouvelle génération branchée qui se promène avec un iPhone et multiplie les amis sur Facebook. Il vient d'une famille aisée. Son père est écrivain, professeur à l'université et membre du Parlement.
Il est marié. Sa femme a 26 ans et elle travaille.
C'est moi qui l'ai choisie, pas ma famille», dit-il en souriant.
Sami Mahdi a dû s'accrocher à son idée. La tâche a été rude. Il a cherché pendant un an avant de trouver une femme prête à témoigner à son émission. Il a créé un masque (niqab en dari) pour protéger l'identité des victimes. Un masque moitié bleu, moitié blanc, bleu pour la burqa, blanc pour l'innocence. Son émission s'appelle Niqab.
Réalisatrice menacée
L'émission, qui a démarré en décembre 2010, fait fureur. Dorénavant, ce sont les femmes qui viennent cogner à sa porte pour témoigner. Sami Mahdi n'a plus à virer Kaboul à l'envers pour trouver des victimes.
Niqab dure une heure et il n'y a aucune publicité. Pas une seule entreprise n'a voulu prendre le risque de placer une annonce dans cette émission explosive.
La réalisatrice s'est fait arrêter dans la rue par deux hommes agressifs qui l'ont menacée. Ils lui ont crié: «Lâche cette émission, sinon tu vas en subir les conséquences!» Elle a eu très peur.
La première animatrice a démissionné. Sa famille et ses amis la désapprouvaient. La deuxième aussi est partie. Elle a craqué sous la pression familiale.
Sami Mahdi a trouvé une ONG qui s'occupe des droits de la personne. C'est là qu'il a déniché la perle rare, une femme forte, prête à animer Niqab et à affronter les insultes et la pression de son entourage.
Il faut être très brave pour animer Niqab», affirme-t-il.
Peu importe les menaces, Sami Mahdi persiste et signe. Pas question de baisser les bras. Les sondages sont étonnants. Près de 60% des spectateurs sont des hommes, 40% des femmes.
C'est ce que je voulais: rejoindre surtout les hommes», précise Mahdi.
Remuer la société
Il y croit, à son émission. Il veut non seulement aider les femmes, mais aussi secouer la société afghane qu'il juge beaucoup trop conservatrice.
Quand une femme est victime de violence, ça n'émeut personne, ni les juges, ni la police, ni le gouvernement, explique-t-il. Quand une femme se plaint, on lui dit: «Retourne dans ta famille, c'est à elle de régler le problème. C'est une question d'honneur.»»
Sami Madhi veut en finir avec cette injustice. Désormais, espère-t-il, les problèmes vont se régler sur son plateau, au vu et au su de tous.
Le jeune homme prépare une troisième saison de Niqab. Il veut modifier la formule. Il y aura encore des victimes, mais aussi des femmes qui ont déjà témoigné à son émission, comme Fatima (voir autre texte). Il souhaite qu'elles parlent de l'impact que l'émission a eu sur leur vie. Est-ce que la police, le gouvernement ou les juges ont réagi? Est-ce que leur situation s'est améliorée?
Car Sami Madhi ne veut pas seulement donner la parole aux femmes, il veut aussi changer la société.