Le Maroc secoué par des controverses en série sur les moeurs
06/06/2015
Film polémique sur la prostitution, action militante contre la pénalisation de l'homosexualité, critiques d'un concert brûlant de Jennifer Lopez: le Maroc, tiraillé entre conservatisme et ouverture sur l'Occident, est secoué par une série de controverses sur les mœurs.
Face à l'ampleur des avortements clandestins --jusqu'à 800 quotidiennement selon des ONG--, le roi Mohammed VI s'est lui-même saisi du dossier. Il a annoncé, après plusieurs semaines de "consultation élargie", que l'IVG serait autorisée dans "quelques cas de force majeure", notamment de viol ou de graves malformations.
Pour le reste, "l’écrasante majorité penche pour la criminalisation de l'avortement", a souligné le souverain chérifien.
Après une brève accalmie, une polémique bien plus virulente a émergé fin mai, à la suite de la présentation à Cannes d'un film du Franco-Marocain Nabil Ayouch sur la prostitution, tourné à Marrakech.
Les extraits de "Much loved" diffusés sur internet, comportant des danses suggestives et propos à connotation sexuelle, ont suscité de violentes attaques contre l'équipe du film.
"Outrage grave"
Si d'autres voix ont défendu le réalisateur et appelé à un débat apaisé, le gouvernement emmené par le parti islamiste Justice et développement (PJD) a rapidement pris position, en interdisant le film pour "outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine".
La controverse, loin d'être ainsi étouffée, n'a fait que redoubler, avant de se déplacer sur un autre terrain avec l'ouverture du festival de musique Mawazine à Rabat. Vitrine de l'ouverture et du dynamisme culturel du Maroc, ce rendez-vous présidé par le secrétaire particulier du roi bat chaque année des records d'affluence (2,6 millions l'an dernier), malgré les critiques récurrentes de figures islamistes.
La diffusion, le 29 mai, sur la chaîne publique 2M du concert inaugural de la vedette américaine Jennifer Lopez a ainsi fait sortir de ses gonds le ministre PJD de la Communication, Mustapha Khalfi, outré par les tenues et danses de la 'bomba latina'.
Des sit-in de protestation ont été organisés devant le siège de 2M par le mouvement de jeunesse de l'Istiqlal (opposition) puis celui du PJD, mardi et jeudi. Vendredi, un nouveau rassemblement du parti islamiste s'est tenu devant le Parlement. "2M nous fait honte", ont notamment scandé les quelque 150 manifestants.
Alors que cette controverse n'est toujours pas close, c'est la question de la pénalisation de l'homosexualité qui, à son tour, s'est invitée sur le devant de la scène.
Mardi, deux militantes françaises des Femen ont été expulsées pour avoir posé seins nus et s'être embrassées devant un monument historique de la capitale. Le lendemain, deux Marocains ont échangé un baiser sur ce même site, avant d'être arrêtés.
"Pas de ça chez nous"
"De tels actes de provocation sont jugés inadmissibles par la société marocaine", ont affirmé les autorités. Jeudi, plus d'un millier de personnes a manifesté devant l'ambassade de France, arborant des pancartes "Pas de ça chez nous".
Toute "cette séquence est assez inquiétante (...), dans un pays traversé par un clivage sur les valeurs", a jugé vendredi Abdellah Tourabi, le directeur de la publication de Tel Quel, hebdomadaire bien connu parmi les quatre millions de Marocains résidant en Europe.
Faut-il voir dans cette succession de polémiques des relents de pré-campagne électorales? "Le PJD est la seule composante du gouvernement à s'exciter autant", a critiqué mercredi le quotidien L'Economiste, alors que le Premier ministre, Abdelilah Benkirane, à la tête d'une coalition hétéroclite, remettra son mandat en jeu l'an prochain.
Encore populaire dans l'opinion mais récemment fragilisé par un projet de mariage polygame entre deux de ses ministres --qui ont dû démissionner--, le chef du PJD a fini par sortir de sa réserve en saisissant la Haute autorité de la communication audiovisuelle (Haca) à propos du concert de Jennifer Lopez.
Dans un courrier daté de jeudi, il affirme que sa retransmission sur 2M constitue une "infraction grave" à la loi sur l'audiovisuel, et réclame des sanctions contre ses responsables, d'après des médias locaux.