Irak: "Un groupe terroriste qui ne sert ni la cause irakienne, ni celle des musulmans." Soheib Bencheikh
Source:
L'Humanitie Membre du bureau du Conseil français du culte musulman (CFCM), Soheib Bencheikh, grand mufti de Marseille, condamne fermement la prise en otages des journalistes français.
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) vient d'adresser un appel aux terroristes pour les convaincre d'épargner les deux journalistes. Quels en sont les termes ?
Soheib Bencheikh. Nous avons considéré que la priorité est de sauver la vie de ces deux hommes, et nous avons formulé notre texte dans ce sens. Nous y faisons appel aux valeurs de l'islam, celles qui sacralisent la vie humaine et se refusent à condamner des personnes innocentes. Nous avons également tenu à rappeler que la classe politique française a eu des positions de sympathie à l'égard du monde arabe et musulman. La France est peut-être même le pays occidental qui en est le plus proche. Par ailleurs, nous avons été unanimes à souligner que la logique guerrière déployée par ce groupe terroriste ne sert ni la cause irakienne, ni la cause des musulmans en France. Au contraire. Elle ne peut qu'attiser les réactions de xénophobie. J'espère que cela aura une influence. J'espère que ce groupe ne se trompera ni de guerre, ni d'ennemi.
Vous avez vous-même dénoncé ce chantage comme antidémocratique. C'est l'État de droit qui est visé, selon vous ?
Soheib Bencheikh. Absolument. Ces personnes ne connaissent rien à ce que sont un État de droit et une démocratie. La loi sur la laïcité à l'école a été votée par la quasi-totalité des représentants du peuple. Il ne s'agit ni d'un décret, ni d'un arrêté que l'on pourrait modifier ou retirer. Ce pays tient profondément à sa laïcité.
Cette prise d'otages ne change donc pas votre position concernant la loi ?
Soheib Bencheikh. Non. À mon avis, il ne faut pas céder. Quitte à payer le prix, malheureusement. J'ai toujours eu une position favorable à la loi. D'abord, parce que je connais l'histoire de la laïcité française. Alors que tout l'enseignement était entre les mains des catholiques et des congrégations jésuites, le progrès a permis d'arracher les conditions nécessaires au développement des connaissances. En créant une école publique obligatoire et laïque, on a décidé de traiter tout le monde de la même manière. Si les musulmans veulent s'épanouir dans cette école, ils doivent accepter ce compromis. Ce jeu où l'unique distinction entre les individus est les talents et les compétences. Par ailleurs, la plupart des sentences coraniques - concernant l'héritage, par exemple, ou encore les lois pénales - ne sont pas appliquées en France, ni même dans certains pays musulmans. Pourquoi, alors, devrait-on se focaliser sur le voile ?
Certains commentateurs avancent l'idée que nous sommes engagés dans une guerre des religions. C'est un point de vue que vous partagez ?
Soheib Bencheikh. Non. Il faut sortir de cette logique d'affrontement Orient-Occident ou islam-chrétienté. Nous vivons ensemble et nous partageons la même éthique. La guerre en Irak l'a montré : elle a divisé l'Occident tout autant que le monde arabe. Partout, il y a des points de vue qui lui sont favorables et d'autres qui lui sont hostiles. Mais la réalité est qu'il y a toujours des poches de résistance. Des individus qui manifestent une frilosité identitaire et qui n'hésitent pas à recourir à la violence. De même que la xénophobie existe toujours en Occident - je l'espère, de façon minoritaire -, la frustration et le repli sur soi perdurent en Orient. C'est un fait, mais ce n'est pas une règle généralisée.
Vous dénoncez depuis longtemps ce type de repli identitaire et la montée de l'intégrisme. Pensez-vous que la France a fait ce qu'il fallait pour empêcher leurs progrès ?
Soheib Bencheikh. Je ne sais pas... Je reste sceptique quant à la façon dont s'est mis en place le Conseil français du culte musulman. Cela aurait dû se faire dans le cadre d'un processus pédagogique. Nous aurions dû nous adresser au terrain, mais c'est l'inverse qui s'est produit : on a laissé le terrain nous envoyer ses représentants. Or, pendant longtemps, l'espace cultuel a fonctionné en complète anarchie. Il s'est développé parfois de façon clandestine, dans des hangars, dans les garages. Parce que personne n'a pu, jusqu'à présent, interdire à trois personnes de former une association et d'ouvrir un lieu de culte. Cela échappe totalement à tout contrôle. Et les discours qui y sont proférés, les idéologies qui s'y développent sont parfois contraires à notre vécu. Cela dit, j'ai bon espoir que le CFCM progresse, tant dans sa structure que dans sa manière de fonctionner. Tout simplement parce que l'institution elle-même est nécessaire. L'islam ne peut avoir de droits ou de visibilité s'il n'a pas un interlocuteur identifié et clairement désigné. Avec l'expérience, nous allons, je l'espère, améliorer cette structure.
Entretien réalisé par
Marie-Noëlle Bertrand
L'HUMANITE
30 août 2004
Vous avez vous-même dénoncé ce chantage comme antidémocratique. C'est l'État de droit qui est visé, selon vous ?
Soheib Bencheikh. Absolument. Ces personnes ne connaissent rien à ce que sont un État de droit et une démocratie. La loi sur la laïcité à l'école a été votée par la quasi-totalité des représentants du peuple. Il ne s'agit ni d'un décret, ni d'un arrêté que l'on pourrait modifier ou retirer. Ce pays tient profondément à sa laïcité.
Cette prise d'otages ne change donc pas votre position concernant la loi ?
Soheib Bencheikh. Non. À mon avis, il ne faut pas céder. Quitte à payer le prix, malheureusement. J'ai toujours eu une position favorable à la loi. D'abord, parce que je connais l'histoire de la laïcité française. Alors que tout l'enseignement était entre les mains des catholiques et des congrégations jésuites, le progrès a permis d'arracher les conditions nécessaires au développement des connaissances. En créant une école publique obligatoire et laïque, on a décidé de traiter tout le monde de la même manière. Si les musulmans veulent s'épanouir dans cette école, ils doivent accepter ce compromis. Ce jeu où l'unique distinction entre les individus est les talents et les compétences. Par ailleurs, la plupart des sentences coraniques - concernant l'héritage, par exemple, ou encore les lois pénales - ne sont pas appliquées en France, ni même dans certains pays musulmans. Pourquoi, alors, devrait-on se focaliser sur le voile ?
Certains commentateurs avancent l'idée que nous sommes engagés dans une guerre des religions. C'est un point de vue que vous partagez ?
Soheib Bencheikh. Non. Il faut sortir de cette logique d'affrontement Orient-Occident ou islam-chrétienté. Nous vivons ensemble et nous partageons la même éthique. La guerre en Irak l'a montré : elle a divisé l'Occident tout autant que le monde arabe. Partout, il y a des points de vue qui lui sont favorables et d'autres qui lui sont hostiles. Mais la réalité est qu'il y a toujours des poches de résistance. Des individus qui manifestent une frilosité identitaire et qui n'hésitent pas à recourir à la violence. De même que la xénophobie existe toujours en Occident - je l'espère, de façon minoritaire -, la frustration et le repli sur soi perdurent en Orient. C'est un fait, mais ce n'est pas une règle généralisée.
Vous dénoncez depuis longtemps ce type de repli identitaire et la montée de l'intégrisme. Pensez-vous que la France a fait ce qu'il fallait pour empêcher leurs progrès ?
Soheib Bencheikh. Je ne sais pas... Je reste sceptique quant à la façon dont s'est mis en place le Conseil français du culte musulman. Cela aurait dû se faire dans le cadre d'un processus pédagogique. Nous aurions dû nous adresser au terrain, mais c'est l'inverse qui s'est produit : on a laissé le terrain nous envoyer ses représentants. Or, pendant longtemps, l'espace cultuel a fonctionné en complète anarchie. Il s'est développé parfois de façon clandestine, dans des hangars, dans les garages. Parce que personne n'a pu, jusqu'à présent, interdire à trois personnes de former une association et d'ouvrir un lieu de culte. Cela échappe totalement à tout contrôle. Et les discours qui y sont proférés, les idéologies qui s'y développent sont parfois contraires à notre vécu. Cela dit, j'ai bon espoir que le CFCM progresse, tant dans sa structure que dans sa manière de fonctionner. Tout simplement parce que l'institution elle-même est nécessaire. L'islam ne peut avoir de droits ou de visibilité s'il n'a pas un interlocuteur identifié et clairement désigné. Avec l'expérience, nous allons, je l'espère, améliorer cette structure.
Entretien réalisé par
Marie-Noëlle Bertrand
L'HUMANITE
30 août 2004