France: La fréquence des mariages forcés pose la question de la pénalisation
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Le Monde L'amendement relevant de 15 à 18 ans l'âge légal du mariage des femmes, adopté le 29 mars par le Sénat et qui doit être prochainement examiné par l'Assemblée nationale, a eu le mérite de ramener l'attention sur le phénomène des mariages forcés.
Une pratique qui perdure, en France, dans nombre de familles issues de l'immigration. Les associations évaluent à plus de 70 000 le nombre de jeunes femmes, mineures et majeures, concernées.
Elles disent être de plus en plus sollicitées par des jeunes filles mariées de force qu'il s'agisse de mariages civils ou coutumiers ou menacées de l'être. Celles-ci sont originaires du Mali, de Mauritanie et du Sénégal, mais aussi du Maghreb, d'Asie et de Turquie.
Si la plupart des parents concernés viennent de pays musulmans, "cette pratique n'est pas liée à l'islam, mais à des coutumes traditionnelles que les familles font perdurer", relève Adole Ankrah, directrice du réseau FIA-ISM (Femmes inter-associations, inter-services migrants). Arrivées dans les années 1960 et 1970, beaucoup de ces familles appliquent toujours le mode de vie de l'époque, au risque d'un décalage avec leur pays d'origine, où les moeurs ont évolué.
En mariant leur fille avec un jeune homme originaire de leur pays, les parents cherchent à affirmer leur identité et à garder un lien avec leur culture d'origine. "C'est une parcelle de pouvoir leur restant, qui permet de contrôler les enfants, de préserver la virginité et l'honneur des femmes. Le mariage apparaît comme un remède aux possibles écarts de la fille", souligne Christine Jama, directrice et juriste de l'association Voix de femmes.
Il arrive souvent que les parents précipitent le projet de mariage de leur fille lorsqu'ils apprennent que celle-ci flirte avec un Français ou un jeune homme originaire d'un autre pays que le leur. Beaucoup de filles sont piégées, et même séquestrées, pendant leurs vacances dans leur pays d'origine.
Lorsque c'est encore possible, les associations tentent d'envisager une médiation avec les parents, essaient de les convaincre qu'ils sont hors la loi et les informent sur les conséquences de telles pratiques grossesses précoces, interruption d'études, troubles neurologiques, dépression, suicide, etc. Une tâche délicate car, "lorsqu'on tente de dissuader les parents de suivre leurs traditions, ils vivent cela comme un rejet, une stigmatisation, étant, eux, persuadés de faire le bien de leur fille", explique Mme Ankrah.
Cette médiation est loin d'être toujours possible, les jeunes filles préférant parfois elles-mêmes l'éviter pour ne pas être repérées. "Si elles vivent dans un milieu très fermé, très traditionnel, elles craignent des menaces de leurs frères", relève Pinar Hukum, cofondatrice de l'association Elele, qui oeuvre à l'intégration de la communauté turque en France.
"Beaucoup de femmes parlent de "tribunal communautaire" : chacun surveille les pas des autres, condamnant tout écart de celui ou celle qui change, évolue", témoigne Asma Guenifi, psychologue et animatrice du pôle accueil des victimes de l'association Ni putes ni soumises.
Nombreuses sont celles qui préfèrent se résigner. "Sous l'emprise de leurs parents qui, disent-elles, les aiment et dont elles doutent qu'ils puissent les trahir, elles prennent peur et culpabilisent, explique Emmanuelle Piette, médecin de la protection maternelle et infantile (PMI) en Seine-Saint-Denis. "Si l'on part, on sera renié, c'est pire", disent-elles."
"La culpabilisation des jeunes filles constitue un moyen récurrent pour les contraindre au mariage. La menace de rupture avec la famille est efficace", appuie Mme Jama, qui raconte que, "pour l'obliger à retourner au pays pendant les vacances pour la marier, une mère a dit à sa fille que sa grand-mère allait mourir et que si elle n'y allait pas, elle en serait responsable".
Coordinatrice des dix-sept centres de planification du département de Seine-Saint-Denis, Mme Piette anime depuis une dizaine d'années une campagne de prévention sur les mariages forcés. Dans ce cadre, des séances collectives d'information dans les classes de lycées et collèges sont organisées afin de sensibiliser les jeunes, et en particulier les jeunes filles, et de les appeler à la vigilance, en mettant par exemple en lieu sûr leurs papiers d'identité (chez des amis, auprès d'associations...).
Une sensibilisation des mères est également menée dans le cadre des stages d'alphabétisation. Les assistantes sociales scolaires, le personnel des centres de planification et les éducateurs de l'aide sociale à l'enfance se voient dispenser des stages de formation spécifiques sur le sujet. Pour Mme Guenifi, cette sensibilisation de l'ensemble des acteurs sociaux du département est essentielle. Selon elle, il arrive encore trop souvent que "les services sociaux ne bougent pas, relativisant le problème en disant : "C'est dans leur culture"".
Tout en rappelant que la plupart des jeunes filles sont mariées alors qu'elles sont majeures, les associations se félicitent du relèvement de l'âge du mariage des femmes : "A 18 ans, plus matures et libérées du joug de l'autorité parentale, les filles se sentent plus fortes pour dire non", assurent-elles.
Toutes soulignent néanmoins que c'est en donnant la possibilité aux jeunes filles qui refusent le mariage de trouver un lieu d'hébergement et de bénéficier d'une aide matérielle et d'un suivi psychologique que l'on fera reculer cette pratique. Or les logements disponibles sont rares. Faute de trouver des structures d'hébergement adaptées, les associations trouvent des solutions peu satisfaisantes, plaçant les jeunes filles dans un foyer ou un hôtel social, où elles se trouvent mêlées à des personnes en grande difficulté.
Le 29 mars, au Sénat, la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, Nicole Ameline, annonçait qu'elle comptait aller plus loin et "introduire prochainement dans le droit pénal un délit de contrainte au mariage". Là encore, les associations se montrent partagées, craignant que la mesure ne se retourne contre les victimes. "Les jeunes filles en proie à ces unions forcées subissent de telles pressions morales et un tel conditionnement culturel qu'elles osent difficilement dire non. Avec la pénalisation, elles risquent de culpabiliser encore plus", insiste Mme Jama.
Si la plupart des parents concernés viennent de pays musulmans, "cette pratique n'est pas liée à l'islam, mais à des coutumes traditionnelles que les familles font perdurer", relève Adole Ankrah, directrice du réseau FIA-ISM (Femmes inter-associations, inter-services migrants). Arrivées dans les années 1960 et 1970, beaucoup de ces familles appliquent toujours le mode de vie de l'époque, au risque d'un décalage avec leur pays d'origine, où les moeurs ont évolué.
En mariant leur fille avec un jeune homme originaire de leur pays, les parents cherchent à affirmer leur identité et à garder un lien avec leur culture d'origine. "C'est une parcelle de pouvoir leur restant, qui permet de contrôler les enfants, de préserver la virginité et l'honneur des femmes. Le mariage apparaît comme un remède aux possibles écarts de la fille", souligne Christine Jama, directrice et juriste de l'association Voix de femmes.
Il arrive souvent que les parents précipitent le projet de mariage de leur fille lorsqu'ils apprennent que celle-ci flirte avec un Français ou un jeune homme originaire d'un autre pays que le leur. Beaucoup de filles sont piégées, et même séquestrées, pendant leurs vacances dans leur pays d'origine.
Lorsque c'est encore possible, les associations tentent d'envisager une médiation avec les parents, essaient de les convaincre qu'ils sont hors la loi et les informent sur les conséquences de telles pratiques grossesses précoces, interruption d'études, troubles neurologiques, dépression, suicide, etc. Une tâche délicate car, "lorsqu'on tente de dissuader les parents de suivre leurs traditions, ils vivent cela comme un rejet, une stigmatisation, étant, eux, persuadés de faire le bien de leur fille", explique Mme Ankrah.
Cette médiation est loin d'être toujours possible, les jeunes filles préférant parfois elles-mêmes l'éviter pour ne pas être repérées. "Si elles vivent dans un milieu très fermé, très traditionnel, elles craignent des menaces de leurs frères", relève Pinar Hukum, cofondatrice de l'association Elele, qui oeuvre à l'intégration de la communauté turque en France.
"Beaucoup de femmes parlent de "tribunal communautaire" : chacun surveille les pas des autres, condamnant tout écart de celui ou celle qui change, évolue", témoigne Asma Guenifi, psychologue et animatrice du pôle accueil des victimes de l'association Ni putes ni soumises.
Nombreuses sont celles qui préfèrent se résigner. "Sous l'emprise de leurs parents qui, disent-elles, les aiment et dont elles doutent qu'ils puissent les trahir, elles prennent peur et culpabilisent, explique Emmanuelle Piette, médecin de la protection maternelle et infantile (PMI) en Seine-Saint-Denis. "Si l'on part, on sera renié, c'est pire", disent-elles."
"La culpabilisation des jeunes filles constitue un moyen récurrent pour les contraindre au mariage. La menace de rupture avec la famille est efficace", appuie Mme Jama, qui raconte que, "pour l'obliger à retourner au pays pendant les vacances pour la marier, une mère a dit à sa fille que sa grand-mère allait mourir et que si elle n'y allait pas, elle en serait responsable".
Coordinatrice des dix-sept centres de planification du département de Seine-Saint-Denis, Mme Piette anime depuis une dizaine d'années une campagne de prévention sur les mariages forcés. Dans ce cadre, des séances collectives d'information dans les classes de lycées et collèges sont organisées afin de sensibiliser les jeunes, et en particulier les jeunes filles, et de les appeler à la vigilance, en mettant par exemple en lieu sûr leurs papiers d'identité (chez des amis, auprès d'associations...).
Une sensibilisation des mères est également menée dans le cadre des stages d'alphabétisation. Les assistantes sociales scolaires, le personnel des centres de planification et les éducateurs de l'aide sociale à l'enfance se voient dispenser des stages de formation spécifiques sur le sujet. Pour Mme Guenifi, cette sensibilisation de l'ensemble des acteurs sociaux du département est essentielle. Selon elle, il arrive encore trop souvent que "les services sociaux ne bougent pas, relativisant le problème en disant : "C'est dans leur culture"".
Tout en rappelant que la plupart des jeunes filles sont mariées alors qu'elles sont majeures, les associations se félicitent du relèvement de l'âge du mariage des femmes : "A 18 ans, plus matures et libérées du joug de l'autorité parentale, les filles se sentent plus fortes pour dire non", assurent-elles.
Toutes soulignent néanmoins que c'est en donnant la possibilité aux jeunes filles qui refusent le mariage de trouver un lieu d'hébergement et de bénéficier d'une aide matérielle et d'un suivi psychologique que l'on fera reculer cette pratique. Or les logements disponibles sont rares. Faute de trouver des structures d'hébergement adaptées, les associations trouvent des solutions peu satisfaisantes, plaçant les jeunes filles dans un foyer ou un hôtel social, où elles se trouvent mêlées à des personnes en grande difficulté.
Le 29 mars, au Sénat, la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, Nicole Ameline, annonçait qu'elle comptait aller plus loin et "introduire prochainement dans le droit pénal un délit de contrainte au mariage". Là encore, les associations se montrent partagées, craignant que la mesure ne se retourne contre les victimes. "Les jeunes filles en proie à ces unions forcées subissent de telles pressions morales et un tel conditionnement culturel qu'elles osent difficilement dire non. Avec la pénalisation, elles risquent de culpabiliser encore plus", insiste Mme Jama.