France: L’intégrisme islamiste en France
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Algérie Ensemble Ce texte, rédigé pour une audience basée en France, explore certains débats contemporains tels que le voile à l’école.
L’auteur dénonce la tendance au relativisme culturel qui - sous couvert de respect des cultures et d’anti-racisme - tend à légitimiser des courants politiques rétrogrades et des agendas contraires au droits des femmes au sein des communautées Musulmanes.
Les religions et les femmes
Exposé du Cercle Léon Trotsky du 4 février 2005
Mis à jour le 06/02/2005 sur le site Internet de LUTTE OUVRIERE
L’intégrisme islamiste en France
Une politique délibérée des dirigeants politiques
Dans son livre Ni putes ni soumises, Fadela Amara raconte comment elle a vu apparaître dans les années 90 un courant islamiste intégriste, qui s’est développé dans la mouvance des Frères musulmans, parce que « de nombreux jeunes des cités étaient en plein désarroi, confrontés à l’échec scolaire, au chômage, aux discriminations ». L’islam leur apparut comme « une nouvelle morale régulatrice qui évitait à ces jeunes désoeuvrés de basculer dans la délinquance. Ainsi, assez subitement dans les années 1990-1995, ces imams radicaux sont devenus une référence dans certaines cités ».
Et - soulignons-le - « les pouvoirs locaux, les élus des collectivités territoriales et notamment les maires, de toutes tendances politiques, les ont reconnus et installés comme interlocuteurs privilégiés ».
Fadela Amara ajoute : « Cela a été terrible pour les militants de ma génération (...) Nous savions le danger que cela pouvait comporter d’une manière générale, mais en particulier pour le statut des filles ».
Sarkozy, qui a patronné la fondation d’un organisme officiel, le Conseil français du culte musulman, en 2003, dans lequel il a intégré l’UOIF, Union des organisations islamiques de France, organisation islamiste intégriste inspirée des Frères musulmans, Sarkozy donc explique dans son récent livre : « Je suis convaincu que l’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté (...) A mon sens, il est aussi important d’ouvrir des lieux de culte dans les grandes zones urbaines que d’inaugurer des salles de sport... ». Cela résume cyniquement toute une politique délibérée de soutien aux institutions religieuses.
Les organisations islamistes en ont bien profité, comme il fallait s’y attendre. Elles se livrent à une véritable offensive cherchant à exploiter à leur profit les ressentiments des jeunes issus de l’immigration, victimes du chômage, des discriminations, des formes multiples de l’exclusion sociale - du racisme.
Ces frustrations, ces sentiments d’humiliation, ont des fondements bien réels dans la société française. Ils ont pu favoriser un regain de religiosité, voulue ou subie, tout comme une recherche de compensation qui s’exprime à travers la violence contre les femmes...
Le thème du retour aux traditions de l’islam a rencontré de l’écho : le dévoilement des femmes auquel on assistait dans la période précédente a été remplacé par un processus de réhabilitation du voile. Mimouna Hadjam, de l’association Afrika de La Courneuve, raconte : « avec la multiplication des associations islamistes, des mosquées qui dispensent les cours, on voit se développer le nombre de petites filles «en apprentissage de foulard». Le mercredi et le samedi, on voit dans les cités des gamines, âgées de moins de 10 ans, de plus en plus nombreuses, se diriger vers les cours religieux, foulard sur la tête ».
Le voile, le hidjab, sans même parler de la grande tenue qui ressemble à un linceul, est un emblème ostentatoire de différence non seulement avec les garçons mais avec l’ensemble du reste de la société, un signe de non-assimilation. C’est en même temps un rappel permanent à l’ordre islamique. Le voile des femmes est un signe affiché de soumission.
Les intégristes musulmans mènent une politique militante
L’un d’entre eux, Tariq Ramadan, se rattache aux Frères musulmans égyptiens, par sa famille (il est petit-fils de Hassan el-Banna, qui en fut le fondateur), et surtout par la propagande qu’il véhicule.
D’une famille vivant en exil à Genève, où elle a réussi à empêcher la représentation d’une pièce de Voltaire, Mahomet et le fanatisme, en 1993, il n’est pas véritablement un universitaire comme il est parfois présenté, mais un prédicateur. Et sur ce plan, il est très actif. Il a écrit de nombreux livres et articles, et surtout prononcé un grand nombre de conférences (lors desquelles, faut-il le dire, femmes et hommes sont assis séparément) enregistrées et vendues, paraît-il à près de 50 000 exemplaires par an, par une maison d’éditions proche, Tawhid, basée à Lyon. Son discours y est bien moins hypocrite que celui qu’il tient devant les journalistes de gauche.
Caroline Fourest, rédactrice en chef de la revue ProChoix, s’est donné la peine d’étudier le contenu de cette centaine de cassettes.
Il en ressort que cette prédication est non seulement anti-moderniste et anti-progressiste, mais aussi anti-scientifique, car Tariq Ramadan condamne lui aussi l’évolutionnisme - comme les intégristes protestants et catholiques. Il est anti-droits des femmes, pour le voile, contre le mariage des musulmanes avec des non-musulmans (pas l’inverse), il s’oppose à toute libération de la femme « aux dépens de la famille », il préconise le contrôle de l’école et du sport. En matière de lapidation, tout ce qu’il a concédé, un soir où il était sur un plateau de télévision (novembre 2003), c’est qu’il acceptait de demander un moratoire à son application. Mais il ne l’a pas condamnée.
Pour Tariq Ramadan, « La société iranienne aujourd’hui, parmi les sociétés musulmanes, est la plus en avance sur la promotion des femmes »... ! Et il a un programme d’action bien mûri : « Plus on sera présent, plus des femmes avec leur hidjab seront présentes, sur le plan social, présentes dans la discussion, expliquant leurs démarches, expliquant qui elles sont (...), plus on habituera les mentalités et plus les choses changeront » ...
Tariq Ramadan est lié à Alain Gresh, le rédacteur en chef du Monde diplomatique. Ils ont en commun écrit des livres, comme L’islam en questions, et fait des conférences communes. Gresh est lui aussi capable de dire « Je crois que l’Iran est un des pays où les femmes, dans le monde musulman, ont le plus de droits », parce qu’il y a, ou il y a eu, quelques femmes députées ou ministres !
En effet, en France, « les femmes avec leur hidjab » (quand ce n’est pas avec le grand voile noir) sont de plus en plus présentes, et le symbole qu’elles véhiculent est un véritable danger dans leurs quartiers pour celles qui refusent de le porter. Le voile, ce n’est pas un banal morceau de tissu, c’est une arme contre les insoumises. C’est un défi politique.
Complicités et complaisances
Il est sans aucun doute dramatique que ces intégristes trouvent des complices parmi les intellectuels en France et en Europe. Et le problème va bien au-delà d’un cas comme celui d’Alain Gresh et du Monde diplomatique. Tariq Ramadan a su trouver de nombreuses complaisances au sein par exemple de la Ligue de l’Enseignement, où il a animé un groupe de travail intitulé Islam et laïcité; au sein de la Ligue des Droits de l’homme, qui s’est activée pour défendre les filles voilées dans les écoles ; dans le milieu universitaire, dans les rédactions de journaux même réputés éclairés, et même chez certaines intellectuelles féministes de la première heure (pas toutes !).
Dans le mouvement altermondialiste, dans les partis de gauche et y compris au sein de l’extrême gauche, on a aussi manifesté une complaisance ouverte envers les islamistes et leur voile islamique : au nom de la solidarité anti-impérialiste, car l’islam serait le principal ennemi de l’mpérialisme, ou sous couvert de ne pas donner prise au racisme, ou encore sous prétexte de ne pas stigmatiser les femmes issues de l’immigration - on les abandonnées à l’emprise des barbus de l’islam.
Afin de réduire les critiques et réserves au silence, certains se sont mis à crier à l’« islamophobie », tout comme le public des conférences de Tariq Ramadan. Dénoncer l’islamisme paralyse certains, peut-être par peur de passer pour réactionnaires, par un sentiment de culpabilité face au racisme anti-arabe, ou par démagogie. Mais ils ne craignent pas de reprendre le terme d’islamophobie comme injure, ce terme qui, à l’origine, a été lancé par les mollahs iraniens comme un anathème sur leurs opposants...
Ces gens ont trouvé des femmes pour mener leur combat anti-féministe. L’idée d’un « féminisme islamique » - d’un « féminisme pluriel » - est même à la mode parmi certaines étudiantes et intellectuelles, qui le justifient comme « une autre approche de la modernité »...
Il n’est évidemment pas nouveau que des opprimés en arrivent à justifier leur propre oppression - comme il arrive que des prolétaires justifient leur exploitation par le patronat. Il a fallu lutter contre des femmes pour défendre le droit de vote des femmes, et y compris dans le mouvement des années 70, pour imposer le droit à l’interruption volontaire de grossesse ! Et combien d’instituteurs et d’institutrices ont dû s’opposer pied à pied à des mères pour que leurs filles puissent aller à l’école y apprendre à lire et les arracher à la tutelle des curés !
D’autres disent : c’est une affaire personnelle, il faut laisser leur liberté de choix aux jeunes filles qui veulent porter le voile. Selon eux, elles ne le vivent pas forcément comme un signe de soumission... C’est évidemment une hypocrisie, et une hypocrisie dangereuse pour toutes les femmes musulmanes qui n’ont pas la moindre envie de se soumettre à ce genre d’oppression.
Quel crédit accorder aux propos des fameuses soeurs Lévy, d’Aubervilliers, qui parlent du port du foulard comme de leur choix personnel ? Dans un livre d’interviews qui leur est consacré, elles vont jusqu’à affirmer « Si une personne qui a commis l’adultère souhaite se repentir par la lapidation, c’est son choix et elle y va librement »... On peut espérer pour elles que, aussi perturbées soient-elles, ce choix-là, elles ne le feraient pas pour elles-mêmes...
L’offensive en faveur du hidjab s’accompagne d’attaques contre la mixité : dans les écoles, cela commence. Il y a aussi les exigences pour des piscines séparées hommes-femmes, les cas où les filles musulmanes ne vont plus dans des centres de loisirs, ou bien dans des classes de neige, des classes vertes, etc., à cause de la mixité des bâtiments !
Un des arguments les plus avancés pour justifier la tolérance envers ces pratiques d’un autre âge consiste à dire que ce serait un problème « identitaire », une affaire de « racines culturelles », de traditions qu’il faudrait respecter au nom du respect de la différence des cultures.
L’argument relève du pur mépris. Pourquoi les traditions des autres seraient-elles forcément plus respectables que celles qu’ici des générations ont combattues et plus ou moins balayées (pas dans toutes les têtes, il faut croire) ? Les mêmes ont bien combattu et dénoncé les catholiques intégristes ! La pratique de l’excision est-elle respectable, la polygamie, le gynécée ou le harem sont-ils respectables ? Les traditions de l’Église catholique, la chasse aux sorcières, les enfermements de filles ayant « fauté », la tradition biblique de l’enfantement dans la douleur - on n’en finirait pas - , font partie de nos « racines » en Europe occidentale ! Ces racines-là ne méritent justement que d’être ... déracinées, et ce qui est valable pour les femmes ici l’est pour toutes, partout : la dignité des femmes ne se divise pas !
L’attitude intellectuelle qui consiste à placer toutes les cultures, des plus primitives aux plus modernes, sur un même pied, recouvre généralement une pensée réactionnaire. En l’occurrence, elle est pratique pour justifier un statut inférieur pour les femmes. Et puis, vis-à-vis de la population maghrébine, c’est du paternalisme, ce qui est souvent une forme de mépris.
La dignité des femmes ne se divise pas !
On peut se demander où est passée, dans les milieux qui se veulent éclairés, laïcs, progressistes et même parfois socialistes, où est passée la solidarité avec celles qui luttent, ici et ailleurs : les femmes turques en butte à la pression islamiste, les femmes d’Afghanistan, du Pakistan, du Bangladesh comme Taslima Nasreen, elle qui dénonce non seulement le fondamentalisme mais le Coran tout entier, qui dénonce le fait que, même si la lapidation n’est plus légale au Bangladesh, elle se pratique quotidiennement dans les villages, et qui face à cette barbarie ne craint pas, elle, de dire aux femmes de son pays : « A celles qui ne se battent pas pour cesser l’oppression de ce système patriarcal et religieux, je dis : Honte à vous ! » (interview à L’Express, avril 2003).
Où est passée la solidarité avec les femmes du Maghreb, les femmes algériennes qui mènent une résistance héroïque ?
A ce sujet, il faut citer des passages de l’appel lancé l’an dernier par l’avocate féministe Wassyla Tamzali, sous le titre « Féministes, je vous écris d’Alger » :
... « Depuis de longues années, les pensées des féministes françaises et des féministes du Sud que nous sommes se croisent, et, sur les discriminations sexistes, nous avons toujours eu globalement les mêmes démarches. Cela confortait notre conviction que le féminisme était universel (...) Enfin, pensions-nous, nos amies féministes, sur ce sujet du voile qu’elles connaissent parfaitement, sauront tordre le cou au relativisme culturel qui fleurit bizarrement jusque dans les rangs de la gauche intellectuelle, dans les enceintes sacralisées, comme la Ligue des droits de l’homme ! Eh bien non ! (...) accepter la pratique, maghrébine ou pas, musulmane ou pas, de cacher ses cheveux, de ne pas se faire soigner par un homme, de ne pas serrer la main des hommes, [c’est] accepter des pratiques de stricte ségrégation sexiste (...)
Refuser le voile ne signifie pas accepter le racisme ! (...) [dans nos pays] les féministes étaient montrées comme les alliées objectives des Occidentaux (...) J’ai trop souffert de cette mauvaise foi-là pour accepter celle-ci, venant de féministes et de démocrates ! (...) Nous luttons contre les régimes que l’on connaît, et faut-il ajouter l’opposition de ceux qui devraient être à nos côtés (...) Je veux simplement rappeler que la peur de stigmatiser le christianisme n’a pas arrêté la lutte des féministes (...) Alors, ce qui est bon pour une religion ne l’est pas pour l’autre ? (...)
Peut-on dire que ce qui conduit la pensée féministe en général n’est pas bon pour ce qui concerne les femmes dites musulmanes ? Nous avons déjà assez de mal comme ça pour que des intellectuelles ajoutent leurs voix - et quelles voix ! - à ceux qui pensent avec Tariq Ramadan qu’il existe un genre femme musulmane. (....) »
Wassyla Tamzali s’adresse aux femmes féministes qu’elle connaît bien. On comprend son amertume. Et nous pouvons ajouter que ceux qui, dans l’extrême gauche, prétendent être en même temps « en solidarité avec les femmes qui s’opposent au port imposé du foulard » et « contre toute exclusion de celles qui décident de le porter », comme si les deux attitudes se valaient, et qu’il n’y ait pas à choisir son camp, de la part de ceux-là c’est une trahison envers toutes les femmes qui se sont battues et se battent pour se libérer.
Exposé du Cercle Léon Trotsky du 4 février 2005
Mis à jour le 06/02/2005 sur le site Internet de LUTTE OUVRIERE
L’intégrisme islamiste en France
- Une politique délibérée des dirigeants politiques
- Les intégristes musulmans mènent une politique militante
- Complicités et complaisances
- La dignité des femmes ne se divise pas !
Une politique délibérée des dirigeants politiques
Dans son livre Ni putes ni soumises, Fadela Amara raconte comment elle a vu apparaître dans les années 90 un courant islamiste intégriste, qui s’est développé dans la mouvance des Frères musulmans, parce que « de nombreux jeunes des cités étaient en plein désarroi, confrontés à l’échec scolaire, au chômage, aux discriminations ». L’islam leur apparut comme « une nouvelle morale régulatrice qui évitait à ces jeunes désoeuvrés de basculer dans la délinquance. Ainsi, assez subitement dans les années 1990-1995, ces imams radicaux sont devenus une référence dans certaines cités ».
Et - soulignons-le - « les pouvoirs locaux, les élus des collectivités territoriales et notamment les maires, de toutes tendances politiques, les ont reconnus et installés comme interlocuteurs privilégiés ».
Fadela Amara ajoute : « Cela a été terrible pour les militants de ma génération (...) Nous savions le danger que cela pouvait comporter d’une manière générale, mais en particulier pour le statut des filles ».
Sarkozy, qui a patronné la fondation d’un organisme officiel, le Conseil français du culte musulman, en 2003, dans lequel il a intégré l’UOIF, Union des organisations islamiques de France, organisation islamiste intégriste inspirée des Frères musulmans, Sarkozy donc explique dans son récent livre : « Je suis convaincu que l’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté (...) A mon sens, il est aussi important d’ouvrir des lieux de culte dans les grandes zones urbaines que d’inaugurer des salles de sport... ». Cela résume cyniquement toute une politique délibérée de soutien aux institutions religieuses.
Les organisations islamistes en ont bien profité, comme il fallait s’y attendre. Elles se livrent à une véritable offensive cherchant à exploiter à leur profit les ressentiments des jeunes issus de l’immigration, victimes du chômage, des discriminations, des formes multiples de l’exclusion sociale - du racisme.
Ces frustrations, ces sentiments d’humiliation, ont des fondements bien réels dans la société française. Ils ont pu favoriser un regain de religiosité, voulue ou subie, tout comme une recherche de compensation qui s’exprime à travers la violence contre les femmes...
Le thème du retour aux traditions de l’islam a rencontré de l’écho : le dévoilement des femmes auquel on assistait dans la période précédente a été remplacé par un processus de réhabilitation du voile. Mimouna Hadjam, de l’association Afrika de La Courneuve, raconte : « avec la multiplication des associations islamistes, des mosquées qui dispensent les cours, on voit se développer le nombre de petites filles «en apprentissage de foulard». Le mercredi et le samedi, on voit dans les cités des gamines, âgées de moins de 10 ans, de plus en plus nombreuses, se diriger vers les cours religieux, foulard sur la tête ».
Le voile, le hidjab, sans même parler de la grande tenue qui ressemble à un linceul, est un emblème ostentatoire de différence non seulement avec les garçons mais avec l’ensemble du reste de la société, un signe de non-assimilation. C’est en même temps un rappel permanent à l’ordre islamique. Le voile des femmes est un signe affiché de soumission.
Les intégristes musulmans mènent une politique militante
L’un d’entre eux, Tariq Ramadan, se rattache aux Frères musulmans égyptiens, par sa famille (il est petit-fils de Hassan el-Banna, qui en fut le fondateur), et surtout par la propagande qu’il véhicule.
D’une famille vivant en exil à Genève, où elle a réussi à empêcher la représentation d’une pièce de Voltaire, Mahomet et le fanatisme, en 1993, il n’est pas véritablement un universitaire comme il est parfois présenté, mais un prédicateur. Et sur ce plan, il est très actif. Il a écrit de nombreux livres et articles, et surtout prononcé un grand nombre de conférences (lors desquelles, faut-il le dire, femmes et hommes sont assis séparément) enregistrées et vendues, paraît-il à près de 50 000 exemplaires par an, par une maison d’éditions proche, Tawhid, basée à Lyon. Son discours y est bien moins hypocrite que celui qu’il tient devant les journalistes de gauche.
Caroline Fourest, rédactrice en chef de la revue ProChoix, s’est donné la peine d’étudier le contenu de cette centaine de cassettes.
Il en ressort que cette prédication est non seulement anti-moderniste et anti-progressiste, mais aussi anti-scientifique, car Tariq Ramadan condamne lui aussi l’évolutionnisme - comme les intégristes protestants et catholiques. Il est anti-droits des femmes, pour le voile, contre le mariage des musulmanes avec des non-musulmans (pas l’inverse), il s’oppose à toute libération de la femme « aux dépens de la famille », il préconise le contrôle de l’école et du sport. En matière de lapidation, tout ce qu’il a concédé, un soir où il était sur un plateau de télévision (novembre 2003), c’est qu’il acceptait de demander un moratoire à son application. Mais il ne l’a pas condamnée.
Pour Tariq Ramadan, « La société iranienne aujourd’hui, parmi les sociétés musulmanes, est la plus en avance sur la promotion des femmes »... ! Et il a un programme d’action bien mûri : « Plus on sera présent, plus des femmes avec leur hidjab seront présentes, sur le plan social, présentes dans la discussion, expliquant leurs démarches, expliquant qui elles sont (...), plus on habituera les mentalités et plus les choses changeront » ...
Tariq Ramadan est lié à Alain Gresh, le rédacteur en chef du Monde diplomatique. Ils ont en commun écrit des livres, comme L’islam en questions, et fait des conférences communes. Gresh est lui aussi capable de dire « Je crois que l’Iran est un des pays où les femmes, dans le monde musulman, ont le plus de droits », parce qu’il y a, ou il y a eu, quelques femmes députées ou ministres !
En effet, en France, « les femmes avec leur hidjab » (quand ce n’est pas avec le grand voile noir) sont de plus en plus présentes, et le symbole qu’elles véhiculent est un véritable danger dans leurs quartiers pour celles qui refusent de le porter. Le voile, ce n’est pas un banal morceau de tissu, c’est une arme contre les insoumises. C’est un défi politique.
Complicités et complaisances
Il est sans aucun doute dramatique que ces intégristes trouvent des complices parmi les intellectuels en France et en Europe. Et le problème va bien au-delà d’un cas comme celui d’Alain Gresh et du Monde diplomatique. Tariq Ramadan a su trouver de nombreuses complaisances au sein par exemple de la Ligue de l’Enseignement, où il a animé un groupe de travail intitulé Islam et laïcité; au sein de la Ligue des Droits de l’homme, qui s’est activée pour défendre les filles voilées dans les écoles ; dans le milieu universitaire, dans les rédactions de journaux même réputés éclairés, et même chez certaines intellectuelles féministes de la première heure (pas toutes !).
Dans le mouvement altermondialiste, dans les partis de gauche et y compris au sein de l’extrême gauche, on a aussi manifesté une complaisance ouverte envers les islamistes et leur voile islamique : au nom de la solidarité anti-impérialiste, car l’islam serait le principal ennemi de l’mpérialisme, ou sous couvert de ne pas donner prise au racisme, ou encore sous prétexte de ne pas stigmatiser les femmes issues de l’immigration - on les abandonnées à l’emprise des barbus de l’islam.
Afin de réduire les critiques et réserves au silence, certains se sont mis à crier à l’« islamophobie », tout comme le public des conférences de Tariq Ramadan. Dénoncer l’islamisme paralyse certains, peut-être par peur de passer pour réactionnaires, par un sentiment de culpabilité face au racisme anti-arabe, ou par démagogie. Mais ils ne craignent pas de reprendre le terme d’islamophobie comme injure, ce terme qui, à l’origine, a été lancé par les mollahs iraniens comme un anathème sur leurs opposants...
Ces gens ont trouvé des femmes pour mener leur combat anti-féministe. L’idée d’un « féminisme islamique » - d’un « féminisme pluriel » - est même à la mode parmi certaines étudiantes et intellectuelles, qui le justifient comme « une autre approche de la modernité »...
Il n’est évidemment pas nouveau que des opprimés en arrivent à justifier leur propre oppression - comme il arrive que des prolétaires justifient leur exploitation par le patronat. Il a fallu lutter contre des femmes pour défendre le droit de vote des femmes, et y compris dans le mouvement des années 70, pour imposer le droit à l’interruption volontaire de grossesse ! Et combien d’instituteurs et d’institutrices ont dû s’opposer pied à pied à des mères pour que leurs filles puissent aller à l’école y apprendre à lire et les arracher à la tutelle des curés !
D’autres disent : c’est une affaire personnelle, il faut laisser leur liberté de choix aux jeunes filles qui veulent porter le voile. Selon eux, elles ne le vivent pas forcément comme un signe de soumission... C’est évidemment une hypocrisie, et une hypocrisie dangereuse pour toutes les femmes musulmanes qui n’ont pas la moindre envie de se soumettre à ce genre d’oppression.
Quel crédit accorder aux propos des fameuses soeurs Lévy, d’Aubervilliers, qui parlent du port du foulard comme de leur choix personnel ? Dans un livre d’interviews qui leur est consacré, elles vont jusqu’à affirmer « Si une personne qui a commis l’adultère souhaite se repentir par la lapidation, c’est son choix et elle y va librement »... On peut espérer pour elles que, aussi perturbées soient-elles, ce choix-là, elles ne le feraient pas pour elles-mêmes...
L’offensive en faveur du hidjab s’accompagne d’attaques contre la mixité : dans les écoles, cela commence. Il y a aussi les exigences pour des piscines séparées hommes-femmes, les cas où les filles musulmanes ne vont plus dans des centres de loisirs, ou bien dans des classes de neige, des classes vertes, etc., à cause de la mixité des bâtiments !
Un des arguments les plus avancés pour justifier la tolérance envers ces pratiques d’un autre âge consiste à dire que ce serait un problème « identitaire », une affaire de « racines culturelles », de traditions qu’il faudrait respecter au nom du respect de la différence des cultures.
L’argument relève du pur mépris. Pourquoi les traditions des autres seraient-elles forcément plus respectables que celles qu’ici des générations ont combattues et plus ou moins balayées (pas dans toutes les têtes, il faut croire) ? Les mêmes ont bien combattu et dénoncé les catholiques intégristes ! La pratique de l’excision est-elle respectable, la polygamie, le gynécée ou le harem sont-ils respectables ? Les traditions de l’Église catholique, la chasse aux sorcières, les enfermements de filles ayant « fauté », la tradition biblique de l’enfantement dans la douleur - on n’en finirait pas - , font partie de nos « racines » en Europe occidentale ! Ces racines-là ne méritent justement que d’être ... déracinées, et ce qui est valable pour les femmes ici l’est pour toutes, partout : la dignité des femmes ne se divise pas !
L’attitude intellectuelle qui consiste à placer toutes les cultures, des plus primitives aux plus modernes, sur un même pied, recouvre généralement une pensée réactionnaire. En l’occurrence, elle est pratique pour justifier un statut inférieur pour les femmes. Et puis, vis-à-vis de la population maghrébine, c’est du paternalisme, ce qui est souvent une forme de mépris.
La dignité des femmes ne se divise pas !
On peut se demander où est passée, dans les milieux qui se veulent éclairés, laïcs, progressistes et même parfois socialistes, où est passée la solidarité avec celles qui luttent, ici et ailleurs : les femmes turques en butte à la pression islamiste, les femmes d’Afghanistan, du Pakistan, du Bangladesh comme Taslima Nasreen, elle qui dénonce non seulement le fondamentalisme mais le Coran tout entier, qui dénonce le fait que, même si la lapidation n’est plus légale au Bangladesh, elle se pratique quotidiennement dans les villages, et qui face à cette barbarie ne craint pas, elle, de dire aux femmes de son pays : « A celles qui ne se battent pas pour cesser l’oppression de ce système patriarcal et religieux, je dis : Honte à vous ! » (interview à L’Express, avril 2003).
Où est passée la solidarité avec les femmes du Maghreb, les femmes algériennes qui mènent une résistance héroïque ?
A ce sujet, il faut citer des passages de l’appel lancé l’an dernier par l’avocate féministe Wassyla Tamzali, sous le titre « Féministes, je vous écris d’Alger » :
... « Depuis de longues années, les pensées des féministes françaises et des féministes du Sud que nous sommes se croisent, et, sur les discriminations sexistes, nous avons toujours eu globalement les mêmes démarches. Cela confortait notre conviction que le féminisme était universel (...) Enfin, pensions-nous, nos amies féministes, sur ce sujet du voile qu’elles connaissent parfaitement, sauront tordre le cou au relativisme culturel qui fleurit bizarrement jusque dans les rangs de la gauche intellectuelle, dans les enceintes sacralisées, comme la Ligue des droits de l’homme ! Eh bien non ! (...) accepter la pratique, maghrébine ou pas, musulmane ou pas, de cacher ses cheveux, de ne pas se faire soigner par un homme, de ne pas serrer la main des hommes, [c’est] accepter des pratiques de stricte ségrégation sexiste (...)
Refuser le voile ne signifie pas accepter le racisme ! (...) [dans nos pays] les féministes étaient montrées comme les alliées objectives des Occidentaux (...) J’ai trop souffert de cette mauvaise foi-là pour accepter celle-ci, venant de féministes et de démocrates ! (...) Nous luttons contre les régimes que l’on connaît, et faut-il ajouter l’opposition de ceux qui devraient être à nos côtés (...) Je veux simplement rappeler que la peur de stigmatiser le christianisme n’a pas arrêté la lutte des féministes (...) Alors, ce qui est bon pour une religion ne l’est pas pour l’autre ? (...)
Peut-on dire que ce qui conduit la pensée féministe en général n’est pas bon pour ce qui concerne les femmes dites musulmanes ? Nous avons déjà assez de mal comme ça pour que des intellectuelles ajoutent leurs voix - et quelles voix ! - à ceux qui pensent avec Tariq Ramadan qu’il existe un genre femme musulmane. (....) »
Wassyla Tamzali s’adresse aux femmes féministes qu’elle connaît bien. On comprend son amertume. Et nous pouvons ajouter que ceux qui, dans l’extrême gauche, prétendent être en même temps « en solidarité avec les femmes qui s’opposent au port imposé du foulard » et « contre toute exclusion de celles qui décident de le porter », comme si les deux attitudes se valaient, et qu’il n’y ait pas à choisir son camp, de la part de ceux-là c’est une trahison envers toutes les femmes qui se sont battues et se battent pour se libérer.