Afghanistan: L'exil de Friba Rezayee, judoka afghane apeurée

Source: 
Le Monde
Friba Rezayee se cache, elle a peur. Elle a quitté l'Afghanistan et s'est réfugiée à l'étranger.
Elle ne peut plus s'entraîner", raconte Haïdar Shoukria, chargée des sports et de l'éducation physique auprès du ministre des études supérieures d'Afghanistan.
Egalement présidente de Negar, association de défense de la femme afghane, créée en septembre 1996 au lendemain de la prise de Kaboul par les talibans, elle est l'une des dernières personnes à avoir vu la judoka avant son exil.

Friba Rezayee est l'une des deux sportives qui ont défilé sous le drapeau afghan à Athènes, en juillet 2004. Elle avait 17 ans, tout comme la sprinteuse Robina Muquim Yaar. Elles étaient les premières femmes de leur pays à participer à des Jeux olympiques (Le Monde du 16 août 2004). Tout un symbole.

"Je ne pense pas que Friba soit inquiétée directement parce qu'elle pratique le sport", précise toutefois Haïdar Shoukria. Au mois de mai, sa soeur aînée, Shaima, 24 ans, a été retrouvée assassinée, tuée d'une balle dans la tête, dans son appartement de Kaboul. Comme Friba, elle avait choisi de vivre libre, quitte à braver les pressions sociales et religieuses qui demeurent en son pays.

Shaima était présentatrice sur Tolo TV, une chaîne privée qui connaît un grand succès auprès de la jeunesse kabouli. Elle animait l'émission "Hop", programme musical au ton résolument moderne, diffusant de la musique occidentale. La jeune femme s'était attiré les foudres des conservateurs et des religieux.

"L'enquête n'a toujours pas abouti, s'indigne Haïdar Shoukria. La justice s'est un peu endormie, mais moi je n'abandonne pas, et je veux trouver le responsable." La famille Rezayee est chiite et appartient à la minorité hazara. C'est là, selon la présidente de Negar, qu'il faudrait chercher les raisons du meurtre de la présentatrice, plus que dans la participation de sa jeune soeur aux Jeux olympiques.

En attendant, Friba a préféré quitté le pays. Le Comité international olympique (CIO) a été alerté, et il vient de demander au comité national afghan ­ revenu dans le giron olympique depuis l'été 2003 ­ des précisions sur la situation de la jeune sportive. Vendredi 30 septembre, il n'avait toujours reçu aucune réponse.

Marie-Georges Buffet, ancienne ministre des sports et présidente de l'association Afghans Afghanes, qui a beaucoup oeuvré pour la présence d'une délégation mixte à Athènes, a de son côté saisi les autorités françaises afin qu'elles interviennent en faveur des deux jeunes athlètes. Selon Haïdar Shoukria, Robina Muquim Yaar ne subirait cependant pas d'autre pression que sociale.

Depuis le mois de mai, la conseillère gouvernementale a rendu visite plusieurs fois au père de Shaima et Friba. L'homme est inconsolable. Sur le mur blanc de son modeste appartement de Kaboul, il a affiché la photo de Friba, à Athènes, le drapeau de son pays sur les épaules, et un grand sourire lumineux sur le visage. Haïdar Shoukria lui a promis qu'il reverrait un jour sa fille ainsi, drapeau et sourire, faisant le tour d'un stade.

Olivier Zilbertin
Article paru dans l'édition du 05.10.05