Mondial: Des musulmanes à l'heure du «jihad antisexiste»
Source:
Libération Pratiquantes et féministes, elles veulent combattre le patriarcat de l'intérieur.
«Le processus de libération n'est pas le monopole du féminisme séculariste.»
Le cheveu en bataille et le sourire contagieux, l'écrivaine et philologue française Layla Bousquet revendique la pluralité des luttes féministes, dont celles menées dans le cadre d'une pratique religieuse. Ex-militante féministe de la première heure elle appartenait au Mlac (Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception, créé en 1973) , elle a ensuite travaillé avec des groupes de femmes chrétiennes, juives et musulmanes. Elle est devenue musulmane il y a une vingtaine d'années. «Il y a aujourd'hui dans l'islam un vaste mouvement féminin qui, forcément long et compliqué, remet puissamment en question le patriarcat.»
Mollahs
Layla Bousquet fait partie de la vingtaine d'intervenantes qui, le week-end dernier à Barcelone, ont animé le premier congrès tenu en Europe sur le «féminisme islamique». «Personnellement, je préfère parler de féminisme musulman, l'adjectif "islamique" ayant de mauvaises résonances», ajoute-t-elle. Organisé par la Junta islamica catalana (composée d'Espagnols islamisés), parrainé par les autorités de Catalogne et de Madrid, ce congrès a fait un état des lieux des mouvements féministes musulmans : de la Nigériane Mufuliat Fijabi à l'ONG Baobab luttant contre les châtiments corporels, en passant par les Sisters of Islam ferraillant avec le pouvoir islamiste ou l'avocate pakistano-canadienne Raheel Raza qui se bat contre la «misogynie des mollahs», etc.
«Il s'agit d'une révolution culturelle au sein de l'islam dont on ne parle pas assez, estime Abennur Prado, l'un des organisateurs. Il y a eu des balbutiements en Egypte, dans les années 20 puis, dans les années 90, une forte poussée de féminisme musulman un peu partout, dans une bonne mesure en réaction au wahhabisme et aux dogmes ultraorthodoxes. Aujourd'hui, même si les avancées sont timides, ces mouvements ont pris de la force, jettent des ponts entre eux, établissent des stratégies communes.» Leur credo : la nécessité d'un «jihad des sexes», une guerre contre les «interprétations machistes et sexistes» du Coran.
Expulsion
«Rien dans les textes sacrés ne parle d'infériorité de la femme. Mais on souffre d'une tradition inique faite par les hommes et pour les hommes», s'emporte Asma Barlas, ex-diplomate pakistanaise expulsée de son pays en 1983, aujourd'hui professeur au Ithaca College, dans l'Etat de New York. Comme ses consoeurs, cette dernière est consciente que le fait de résider dans une démocratie (telle Amina Wadud, lire ci-contre) aide le féminisme musulman à aller de l'avant. «Si je tenais le même discours au Pakistan, j'aurais déjà une fatwa et on tenterait de me supprimer», poursuit Asma Barlas.
Ces musulmanes, qui admettent une «immense dette morale» à l'égard des féministes occidentales, revendiquent les mêmes droits que les hommes. Elles fustigent la polygamie, les mariages arrangés, militent pour le droit au divorce, à la propriété et à toute fonction monopolisée par la gent masculine. Vouent aux gémonies les républiques islamiques et ce qui, dans la Charia, discrimine la femme. Pourtant, elles se sentent mal à l'aise vis-à-vis du féminisme laïque. «On est prises en étau entre les fondamentalistes islamiques et les féministes occidentales, pour qui religion rime forcément avec oppression, dit la sociologue iranienne Valentine Moghadam, de l'Unesco. Or, en revenant aux sources coraniques, on peut parfaitement lutter pour nos droits.»
par François MUSSEAU
mercredi 02 novembre 2005
Mollahs
Layla Bousquet fait partie de la vingtaine d'intervenantes qui, le week-end dernier à Barcelone, ont animé le premier congrès tenu en Europe sur le «féminisme islamique». «Personnellement, je préfère parler de féminisme musulman, l'adjectif "islamique" ayant de mauvaises résonances», ajoute-t-elle. Organisé par la Junta islamica catalana (composée d'Espagnols islamisés), parrainé par les autorités de Catalogne et de Madrid, ce congrès a fait un état des lieux des mouvements féministes musulmans : de la Nigériane Mufuliat Fijabi à l'ONG Baobab luttant contre les châtiments corporels, en passant par les Sisters of Islam ferraillant avec le pouvoir islamiste ou l'avocate pakistano-canadienne Raheel Raza qui se bat contre la «misogynie des mollahs», etc.
«Il s'agit d'une révolution culturelle au sein de l'islam dont on ne parle pas assez, estime Abennur Prado, l'un des organisateurs. Il y a eu des balbutiements en Egypte, dans les années 20 puis, dans les années 90, une forte poussée de féminisme musulman un peu partout, dans une bonne mesure en réaction au wahhabisme et aux dogmes ultraorthodoxes. Aujourd'hui, même si les avancées sont timides, ces mouvements ont pris de la force, jettent des ponts entre eux, établissent des stratégies communes.» Leur credo : la nécessité d'un «jihad des sexes», une guerre contre les «interprétations machistes et sexistes» du Coran.
Expulsion
«Rien dans les textes sacrés ne parle d'infériorité de la femme. Mais on souffre d'une tradition inique faite par les hommes et pour les hommes», s'emporte Asma Barlas, ex-diplomate pakistanaise expulsée de son pays en 1983, aujourd'hui professeur au Ithaca College, dans l'Etat de New York. Comme ses consoeurs, cette dernière est consciente que le fait de résider dans une démocratie (telle Amina Wadud, lire ci-contre) aide le féminisme musulman à aller de l'avant. «Si je tenais le même discours au Pakistan, j'aurais déjà une fatwa et on tenterait de me supprimer», poursuit Asma Barlas.
Ces musulmanes, qui admettent une «immense dette morale» à l'égard des féministes occidentales, revendiquent les mêmes droits que les hommes. Elles fustigent la polygamie, les mariages arrangés, militent pour le droit au divorce, à la propriété et à toute fonction monopolisée par la gent masculine. Vouent aux gémonies les républiques islamiques et ce qui, dans la Charia, discrimine la femme. Pourtant, elles se sentent mal à l'aise vis-à-vis du féminisme laïque. «On est prises en étau entre les fondamentalistes islamiques et les féministes occidentales, pour qui religion rime forcément avec oppression, dit la sociologue iranienne Valentine Moghadam, de l'Unesco. Or, en revenant aux sources coraniques, on peut parfaitement lutter pour nos droits.»
par François MUSSEAU
mercredi 02 novembre 2005