Canada: Le Canada perturbé par ses polygames
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Le Monde Phénomène marginal au Canada, la polygamie est devenue un sujet de débat public, opposant les défenseurs d'une pratique associée à leur "liberté religieuse" à ceux qui prônent le maintien de son interdiction au nom des droits des femmes et des enfants.
Interdite par une loi de 1892, la polygamie est passible de cinq ans de prison, au Canada, mais elle n'a donné lieu qu'à de rares condamnations, dans un passé lointain.
Avec la hausse de l'immigration, notamment en provenance du Moyen-Orient et d'Afrique, le pays fait face à une recrudescence de demandes de visas présentées par des hommes mariés à plusieurs femmes. Des enfants nés de telles unions ont été autorisés à entrer sur le territoire, mais les demandes émanant de plusieurs conjointes sont systématiquement rejetées.
Cependant, des groupes musulmans n'hésitent plus à réclamer ouvertement le droit à la polygamie au nom de la liberté religieuse, tandis que des opposants, appuyés pas l'association Femmes sous lois musulmanes, lancent une pétition pour "stopper la polygamie au Canada". Homa Arjomand, militante d'origine iranienne qui s'est battue contre les tribunaux d'arbitrage islamique à Toronto, mène aujourd'hui le même combat contre les écoles islamiques et contre une éventuelle légalisation de la polygamie, "crime contre les droits des femmes et des enfants qui devrait être vraiment puni". Pour Mme Arjomand, "polygamie rime avec barbarie".
En Colombie-Britannique, ce ne sont pas des musulmans, mais un millier de membres d'une secte de mormons fondamentalistes, installés à Bountiful, à la frontière des Etats-Unis, qui mettent à l'ordre du jour la question de la polygamie. Ils suivent cette pratique, "obligation religieuse suprême", en toute quiétude depuis soixante ans. L'Utah voisin ayant renoncé à la polygamie pour être admis, en 1896, au sein des Etats-Unis, des dissidents ont formé l'Eglise fondamentaliste de Jésus-Christ des Saints des derniers jours, secte qui compterait dix mille membres en Utah même, au Texas et au Canada. Leur chef spirituel, Warren Jeffs, crédité de cinquante épouses, est recherché par le FBI pour agressions sexuelles.
La communauté de Bountiful fait aussi l'objet d'une enquête de la gendarmerie royale du Canada à propos d'accusations de crimes sexuels et d'exploitation de jeunes filles. En décembre, le ministre de la justice de l'Utah a sonné l'alarme, affirmant qu'on s'y livrait à un trafic transfrontalier de jeunes épouses, parfois adolescentes, aux profit d'hommes d'âge mûr. Les autorités de Colombie-Britannique avaient longtemps tergiversé pour intenter des poursuites, craignant que ces mormons dissidents n'invoquent la liberté religieuse contre la loi.
Depuis la mi-janvier, le débat s'est amplifié avec la publication d'un rapport sur "la polygamie au Canada et ses conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants". On y recommandait de décriminaliser la polygamie, afin d'aider les femmes à dénoncer ces pratiques sans craindre d'être elles-mêmes accusées et de clarifier leurs droits en matière de pensions alimentaires ou de réversion, ainsi que de succession.
L'avocat Julius Grey est farouchement opposé à un changement de la loi, dans laquelle il voit "un garde-fou pour préserver cette valeur occidentale fondamentale qu'est le mariage monogame, hétérosexuel ou, désormais, homosexuel". On n'empêchera personne d'avoir plusieurs relations à la fois, voire de contracter plusieurs mariages religieux, observe M. Grey. Mais on a "le droit d'imposer la monogamie" dans le mariage civil, estime-t-il, même à des immigrants originaires de pays polygames. Il dénonce le "multiculturalisme à outrance tel qu'il est pratiqué au Canada, privilégiant le droit à la différence de groupes, au nom de l'islam ou de la religion mormone, plutôt que de protéger les individus et les libertés individuelles". Le débat n'est pas près de se clore.
Anne Pélouas
Article paru dans l'édition du 11.02.06
Cependant, des groupes musulmans n'hésitent plus à réclamer ouvertement le droit à la polygamie au nom de la liberté religieuse, tandis que des opposants, appuyés pas l'association Femmes sous lois musulmanes, lancent une pétition pour "stopper la polygamie au Canada". Homa Arjomand, militante d'origine iranienne qui s'est battue contre les tribunaux d'arbitrage islamique à Toronto, mène aujourd'hui le même combat contre les écoles islamiques et contre une éventuelle légalisation de la polygamie, "crime contre les droits des femmes et des enfants qui devrait être vraiment puni". Pour Mme Arjomand, "polygamie rime avec barbarie".
En Colombie-Britannique, ce ne sont pas des musulmans, mais un millier de membres d'une secte de mormons fondamentalistes, installés à Bountiful, à la frontière des Etats-Unis, qui mettent à l'ordre du jour la question de la polygamie. Ils suivent cette pratique, "obligation religieuse suprême", en toute quiétude depuis soixante ans. L'Utah voisin ayant renoncé à la polygamie pour être admis, en 1896, au sein des Etats-Unis, des dissidents ont formé l'Eglise fondamentaliste de Jésus-Christ des Saints des derniers jours, secte qui compterait dix mille membres en Utah même, au Texas et au Canada. Leur chef spirituel, Warren Jeffs, crédité de cinquante épouses, est recherché par le FBI pour agressions sexuelles.
La communauté de Bountiful fait aussi l'objet d'une enquête de la gendarmerie royale du Canada à propos d'accusations de crimes sexuels et d'exploitation de jeunes filles. En décembre, le ministre de la justice de l'Utah a sonné l'alarme, affirmant qu'on s'y livrait à un trafic transfrontalier de jeunes épouses, parfois adolescentes, aux profit d'hommes d'âge mûr. Les autorités de Colombie-Britannique avaient longtemps tergiversé pour intenter des poursuites, craignant que ces mormons dissidents n'invoquent la liberté religieuse contre la loi.
Depuis la mi-janvier, le débat s'est amplifié avec la publication d'un rapport sur "la polygamie au Canada et ses conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants". On y recommandait de décriminaliser la polygamie, afin d'aider les femmes à dénoncer ces pratiques sans craindre d'être elles-mêmes accusées et de clarifier leurs droits en matière de pensions alimentaires ou de réversion, ainsi que de succession.
L'avocat Julius Grey est farouchement opposé à un changement de la loi, dans laquelle il voit "un garde-fou pour préserver cette valeur occidentale fondamentale qu'est le mariage monogame, hétérosexuel ou, désormais, homosexuel". On n'empêchera personne d'avoir plusieurs relations à la fois, voire de contracter plusieurs mariages religieux, observe M. Grey. Mais on a "le droit d'imposer la monogamie" dans le mariage civil, estime-t-il, même à des immigrants originaires de pays polygames. Il dénonce le "multiculturalisme à outrance tel qu'il est pratiqué au Canada, privilégiant le droit à la différence de groupes, au nom de l'islam ou de la religion mormone, plutôt que de protéger les individus et les libertés individuelles". Le débat n'est pas près de se clore.
Anne Pélouas
Article paru dans l'édition du 11.02.06