France: Mémoires d’une féministe iconoclaste, par Yvonne Knibiehler (livre)
Née dans un milieu petit-bourgeois traditionnel où les filles étaient élevées pour rester au foyer, elle décide de faire des études supérieures. En 1945, elle obtient l’agrégation d’histoire. «Tu ne trouveras pas de mari», l’avait-on avertie. Ce ne sera pas. Il lui faut ensuite faire face à l’exigence que pose la société des années cinquante, celle «d’avoir un monde à réinventer», celle de l’engagement politique. Après réflexion, la jeune enseignante renonce à ce type d’engagement. Cela nous vaut un beau passage sur «l’exceptionnelle fécondité du marxisme, du matérialisme historique, pour la recherche en histoire» et sur la générosité et les illusions de ses collègues communistes d’alors.
Depuis 1949, sa vie est celle de beaucoup de femmes à l’époque du baby-boom. C’est-à-dire qu’elle enseigne en élevant ses trois enfants. Elle connaît «la culpabilité accablante et la fatigue des mères qui travaillent», même si son mariage est heureux et qu’elle n’a pas de problème financier. Il est intéressant de noter qu’à ses yeux, le nouveau départ du féminisme après la guerre date de 1956, année de la fondation du mouvement de la Maternité heureuse qui deviendra le Planning familial, et non pas de 1970 et du MLF.
1970 est l’année où elle soutient sa thèse, après être entrée comme assistante en 1964 à l’université d’Aix-en-Provence. Le défi de la rédaction d’un tel travail universitaire était alors encore extrêmement rare pour une femme. À quarante-huit ans, sa sensibilité, l’époque et le lieu vont déterminer son engagement dans le féminisme; engagement intellectuel très productif dans deux directions : l’histoire des travailleuses du social (assistantes sociales, infirmières, sages-femmes) et l’histoire des mères, une oeuvre novatrice.
Pour l’auteure, en effet, la maternité reste une pièce maîtresse de l’identité féminine et c’est aussi une fonction sociale qui doit être traitée comme telle. Affirmée dès les années 1970, cette position lui a valu une certaine marginalité. Les «bonnes mères» se méfiaient d’elle parce qu’elle était féministe et les féministes s’en défiaient parce qu’elle défendait pour les femmes le droit d’être mère en même temps, et sans hésitation aucune, que celui de ne pas l’être. La dernière partie de ses Mémoires expose de façon synthétique les diverses questions qui se posent aux femmes d’aujourd’hui dans une perspective féministe. Cette synthèse est le fruit de toute une vie de recherche et d’audaces.
Par: Jocelyne George, historienne
3 avril 2007