Maroc: "Le féminisme face aux défis du multiculturalisme"
Le féminisme et le multiculturalisme, deux concepts qui, sans doute, ont alimenté bien des débats, à la fin du XX siècle et plus particulièrement au début de ce 3ième millénaire. Pour certains/nes le féminisme et le multiculturalisme sont considérés d'emblée comme des concepts opposés. Cette opposition fait largement l'objet de débats entre chercheurs/res, féministes, militants/tes du Sud et du Nord. Depuis plus d'une décennie, ces débats gagnent les espaces politiques et deviennent par conséquent des débats publics qui opposent les partisans de l'universalité où le principe de l'égalité, mis en avant, ne peut composer avec la spécificité culturelle, fondée sur la complémentarité des rôles sociaux. Pour d'autres, ces deux concepts ne sont pas antinomiques, le principe de l'égalité n'exclue pas le respect de l'identité culturelle.
La question des inégalités en droits et des discriminations subies par les femmes est l'un des griefs les plus importants contre l'idée d'octroyer aux groupes culturels la liberté de vivre conformément à leurs valeurs culturelles et pratiques.
L'intérêt de l'étude du conflit entre le féminisme, caractérisé par la revendication des femmes à ne pas être désavantagées par leur sexe, à jouir de la même dignité et du même choix de vie que les hommes, et le multiculturalisme, appréhendé dans son contexte social, économique et politique, caractérisé par la revendication du respect des droits des groupes et de la protection de leurs modes de vie, n'est plus à souligner. L'interrelation entre culture et genre concernant l'inégalité et le contrôle des femmes par les hommes, est encore un sujet de débat, de controverses et de polémiques.
Les critiques du multiculturalisme sont fondées sur le fait que le respect de certaines valeurs culturelles n'améliore pas la condition des femmes dans des sphères culturelles souvent patriarcales, fondées sur la discrimination des sexes dans l'espace privé et l'exclusion des femmes de l'espace public.
En retraçant l'histoire des débats sur la «différence» qui ont occupé le mouvement féministe depuis les années soixante jusqu'à aujourd'hui, on relève de nombreuses impasses. En effet, la discussion, d'abord centrée sur l'opposition «égalité - différence», a connu une seconde phase concernée par les «différences entre les femmes» pour enfin parvenir au troisième stade actuel, occupé par le thème des «différences croisées multiples: genre, race, classe». Aucune des positions ne permet d'opérer une distinction pertinente entre les revendications identitaires qui sont démocratiques et celles qui ne le sont pas, entre les différences justes et les différences injustes. De ce fait, aucune de ces positions ne peut servir de fondement à une politique féministe viable. Ni l'une ni l'autre n'est capable d'établir un lien entre une orientation culturelle fondée sur l'identité et la différence, d'une part, et une politique sociale de justice et d'égalité d'autre part.
Le débat se brouille avec la montée en force des discours sur l'identité culturelle. Lors de la conférence sur «Population et Développement» au Caire en 1994, ce discours s'est imposé, il s'est confirmé avec la 4° conférence sur les femmes à Beijing où certains groupes ont mobilisé le religieux comme moyen de contestation contre toutes les formes de domination: culturelle, économique, politique.
Le débat se complique par de nouvelles questions relatives aux alliances: comment le féminisme et l'alter mondialisme peuvent-ils ensemble lier la lutte contre les inégalités économiques et sociales? Comment le mouvement universaliste peut-il composer avec les mouvements revendiquant le respect intégral de leur culture et de leur référentiel religieux? Comment le mouvement démocratique peut-il inclure les femmes tout en respectant leur culture, souvent patriarcale? La laïcité est-elle la seule garantie de la cause des femmes?
Les questions sont nombreuses, importantes, complexes, multi - dimensionnelles et d'une grande sensibilité.
Sans doute, partout dans le monde la spécificité des droits est en train de gagner du terrain au détriment de l'universalité des droits et c'est la question des droits des femmes qui occupe le devant de la scène internationale, elle devient un enjeu politique majeur.
Les féministes d'hier et d'aujourd'hui ont-elles la même vision de l'évolution, des obstacles et des défis? Les féministes du Sud et du Nord parlent-elles le même langage? Ont-elles les mêmes priorités? Partagent-elles le même idéal? Donnent-elles le même sens à l'égalité, à la citoyenneté, à la dignité? Pourquoi les femmes africaines revendiquent-elles la décolonisation de la recherche féministe? Que comportent les concepts de tolérance, de respect de la différence? Quel seuil de la tolérance, quelles limites de la différence culturelle?
Même si ces questions ne sont pas nouvelles, le contexte actuel les remet à l'ordre du jour de façon accrue.
Toutes ces questions renvoient à des débats essentiels. Le féminisme et les féministes sont interpellés, notamment depuis que des femmes revendiquent le droit d'être féministes et d'être musulmanes. De quelles significations sont-elles porteuses? Sont-elles identiques quels que soient les lieux et les contextes? Peut-on parler d'un féminisme
Quelle est la portée et quelles sont les limites de ces nouvelles revendications / aspirations individuelles et /ou collectives? En quoi participent-elles aux transformations sociales et politiques?
C'est pourquoi ce 5° congrès des recherches féministes se propose une réflexion approfondie de ce débat, il tentera d'interroger tout ce que cache ce débat pour déconstruire les processus à l'oeuvre dans les positionnements d'incompréhension, de rejet, de repli symptomatique significatifs «d'un choc des ignorances» plutôt que d'un choc des cultures.
Il se propose également d'ouvrir de nouvelles pistes de réflexion et d'autres perspectives pour passer à une autre phase du débat sur la différence qui viserait à lier l'orientation politique fondée sur la différence culturelle à une politique d'égalité sociale.
Pour privilégier un échange fructueux entre chercheurs/res, que la langue de Georges Sand unit, nous proposons au débat les axes suivants qui intègrent les dimensions sociale, économique, culturelle et politique et interrogent les aspects théoriques, méthodologiques et pratiques du féminisme, pour la simple raison que ce sont les femmes, leur statut et leur condition, qui sont au coeur même de tous les débats de société.
Les axes du 5° congrès
1er Axe: Le féminisme en évolution: approche historique
- Du féminisme au genre: continuité ou rupture?
2ème Axe: le féminisme entre universalisme et revendication identitaire
- Féminisme et religion: que dire des femmes musulmanes se réclamant du courant féministe?
- Féminisme et laïcité: le féminisme doit-il être toujours laïc?
3° Axe: Le féminisme au service de quel développement?
- Féminisme et développement: le développement peut-il composer avec les inégalités de genre?
- Féminisme et alter-mondialisme: Quels combats possibles ensemble?
4° Axe: Féminisme et modernité
- La modernité en tant que dynamique de changement entretient des relations importantes avec le féminisme, faut-il accepter que l'accès à la modernité soit le même pour tous et toutes ou bien des voies différentes sont elles possibles?
5° Axe: Féminisme et démocratie: la démocratie a-t-elle toujours été au service des intérêts des femmes?
6° Axe: la recherche féministe est-elle toujours au service de l'action des mouvements des femmes?