Dossier 20: Intolérance et discrimination fondées sur la religion au Soudan

Publication Author: 
Anonyme
Date: 
décembre 1997
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number of pages: 
179
Lois et instruments internationaux

La liberté de religion et de conviction figure clairement dans les trois instruments internationaux relatifs aux droits humains reconnus par tous : la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) (1966) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966). L’Article 18 du PIDCP stipule que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion et définit ce droit de manière à inclure la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.

Outre la garantie du droit à la liberté de conscience, de religion et de conviction, ces instruments interdisent explicitement la discrimination pour motif religieux. Le PIDCP stipule clairement dans l’Article 2 que les droits prévus dans le Pacte seront exercés sans distinction aucune de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

L’Article 26 stipule que :

Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

En 1981, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction.

Le cas soudanais : l’intolérance du gouvernement du Front national islamique

Le peuple soudanais est réputé pour sa tolérance en matière religieuse. L’intolérance religieuse est un phénomène nouveau dans le pays et est liée au développement du mouvement des Frères musulmans. L’intolérance et la discrimination religieuses n’ont jamais fait partie d’un programme politique officiel avant 1983 quand le régime Nimeiri (1969-1985) institua la Loi islamique, la Sharia, en septembre 1983. Une des conséquences de cette politique d’intolérance introduite par les lois de septembre de Nimeiri fut l’exécution d’Ustadh Mahmoud Mohammed Taha en 1985. Nimeiri était alors allié aux Frères musulmans, ancêtres du Front national islamique qui contrôle le gouvernement soudanais actuel.

L’intolérance et la discrimination fondées sur la religion sont devenues une politique officielle de l’actuel gouvernement soudanais (1989). On en veut pour preuve :

1) L’escalade de la guerre sous prétexte de jihad

L’intensification de la guerre dans le sud est organisée sous prétexte de jihad (guerre sainte). Les médias soudanais ainsi que les autorités publiques parlent constamment de la guerre comme d’une guerre sainte contre les infidèles et les croisés afin de protéger l’identité et le patrimoine soudanais. Les ambassades soudanaises du monde entier collectent des dons pour ce qu’ils appellent Jihad.

Cette évolution porte préjudice aux perspectives d’existence d’une société multi-confessionnelle et multiraciale comme la société soudanaise. Elle risque de transformer en conflit religieux et social, un conflit qui concerne principalement le droit du peuple sud-soudanais à disposer de lui-même et son droit à partager avec les autres peuples soudanais la richesse et le pouvoir dans le pays, à avoir les mêmes chances en matière de postes et d’emplois publics, à bénéficier des infrastructures en matière d’éducation et de santé et à disposer de perspectives de développement plus systématiques de sa région.

Cette politique fournit au public mal informé, à qui on a retiré toute source d’informations indépendante, une justification aux violences exercées contre ceux que l’Etat considère comme des infidèles. Cette démarche renforce toutes les actions de discrimination raciales et relègue les non musulmans, ainsi que les musulmans qui ne partagent pas les idées du Front national islamique, à une citoyenneté de deuxième classe.

L’Etat, pour un profit à court terme, a transformé en guerre sainte les frictions banales entre tribus voisines du nord et du sud au sujet de droits de pâture. Ce qui a ressuscité tous les souvenirs des atrocités commises pendant le commerce des esclaves au XVIIIème et XIXème siècles quand asservir et tuer des sudistes devint religieusement accepté et la mort d’un soldat nordiste le mènera directement au paradis !

2) Le Code pénal de 1991

La promulgation du Code pénal le 22 mars 1991, en plus d’introduire des sanctions sévères inhumaines, prévoit l’Article 23 sur l’apostasie (riddah). L’article stipule que :

1 : tout Musulman qui prêche l’abandon de la foi islamique, ou qui annonce sa propre intention d’abandonner cette foi, par une action manifeste, commet le crime d’apostasie.

2 : la justice doit fixer à toute personne reconnue coupable du crime d’apostasie un délai pour rejeter cette apostasie. S’il la maintient, et n’est pas un converti récent à l’Islam, il sera condamné à mort.

3 : la condamnation pour apostasie sera annulée si l’accusé abandonne cette rébellion avant que la sanction ne soit exécutée.

3) Attaques contre l’Eglise et les Chrétiens

Dans la pratique, l’Etat a fait preuve d’intolérance envers les Chrétiens. Pour la première fois dans l’histoire du Soudan, des églises ont été fermées ou brûlées. En décembre 1992 par exemple, l’armée et les Forces populaires de défense ont brûlé un prêtre et quatre hommes d’église nouba dans leur église située dans le village d’Attmour Al Naqa’a dans les Montagnes Nouba. Un témoin, Kamal Tutu, qui avait été jeté dans l’incendie, a survécu pour témoigner : “après avoir brûlé l’église avec les personnes à l’intérieur, les militaires m’ont jeté dans l’incendie et sont partis” (Human Rights Voice, Vol. 2, n°5, p. 1).

Voici ce qu’a raconté au Groupe PPE (Parti populaire européen) du Parlement européen en 1993, l’Evêque Macram Max Gassis, évêque d’El Obied et des Montagnes Nouba, qui a fui le pays pour se réfugier au Vatican :

En ce qui concerne l’Eglise, les églises chrétiennes de tout le pays ont subi les pires persécutions de l’histoire. Les prêtres, les religieuses et les catéchistes soudanais sont constamment harcelés par les forces de sécurité. Ils sont arrêtés et emprisonnés comme les Pères Constantino Pity, Nicola Adalla et David Tombe de l’Archidiocèse de Juba. Les missionnaires étrangers ont été chassés de leur paroisse ou du Soudan comme Mère Thérésa de Calcutta, les Jésuites et les Missionnaires de Comboni.

L’Evêque Macram Gassis a déclaré au Groupe PPE qu’il lui était difficile de croire que toute cette persécution et cette violence n’était pas une politique bien étudiée de l’Etat lui-même : le harcèlement auquel sont soumis les dirigeants et le personnel ecclésiastiques locaux ou étrangers, l’arrestation et la détention arbitraire de personnes innocentes, les campagnes de dénigrement dans les médias contre les Chrétiens, la décision du gouvernement de réquisitionner les écoles destinées aux enfants déplacés, les obstacles dressés contre l’église dans son action d’assistance aux personnes déplacés affamées et malades, l’islamisation forcée des Chrétiens et des adeptes de la Croyance traditionnelle africaine dans les écoles et dans les centres de distribution alimentaire ne sont que quelques exemples d’une politique gouvernementale bien définie de discrimination et de violation des droits humains.

4) Attaques contre d’autres groupes islamiques

L’intolérance a été étendue pour viser des groupes musulmans qui ont une conception et des idées différentes de celles du gouvernement du Front national islamique. Cette attitude s’est manifestée dans le traitement infligé aux groupes Ansar et Khatimya qui représentent la majorité de la population musulmane au nord du Soudan. Elle s’est également étendue aux groupes minoritaires comme ceux d’Ansar El Sunna, qui à l’époque critiquaient le gouvernement et furent taxés de Wahhabites pro-saoudiens. Le vendredi 4 février 1994, un groupe armé a attaqué des fidèles musulmans dans la mosquée de Cheikh Abu Zeid, (une des mosquées d’Ansar El-Sunna), à El Thoura, au nord d’Omdurman, faisant entre 18 et 25 morts. Aucune raison n’a été avancée pour cette attaque.

Source : cet article est d’abord paru dans le Sudan Human Rights Voice, janvier 1997, pp. 6-7.

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