Dossier 14-15: Déclaration des Droits par un Tribunal Indépendant de Femmes

Publication Author: 
Tribunal Indépendant de Femmes
Date: 
novembre 1996
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doss14-15/f
number of pages: 
195
Nous nous engageons à rompre le silence qui couvre cette violence, à troubler le sommeil de ce monde qui accepte le silence et ferme les yeux sur la violence, à combattre cela ainsi que toutes formes de violence, aussi longtemps que nous vivrons, à créer une chaîne de solidarité avec tous ceux qui nous aident dans notre lutte à travers le monde, surtout dans le tiers-monde et plus particulièrement dans le monde arabe, afin de nous opposer à tous ceux qui usurpent nos droits au sein de la famille, au niveau des gouvernements arabes despotiques, des tendances politiques réactionnaires issues de l'Islam politique, ainsi que du nouvel ordre mondial qui favorise le développement de ces tendances dans notre monde arabe en imposant des relations de dépendance et d'oppression politique, économique et sociale. Nous rejetons la violence parce qu'elle est un abus des droits des femmes, qui font partie des droits humains, parce qu'elle est une violation de la dignité humaine des femmes et parce qu'elle est la pire de toutes les formes de discrimination exercées à leur encontre. Elle devrait donc être traitée comme toutes les autres formes de discrimination figurant dans les traités internationaux et dans la Déclaration sur l'élimination de la violence contre les femmes;

• Nous rejetons cette violence et la combattrons sur tous les terrains, locaux et internationaux, même si elle est bien déguisée et même si elle est justifiée;

• Nous la rejetons, quelle que soit la façon dont elle est catégorisée, qu'elle soit politique, économique, au sein de la famille, psychologique, morale ou sexuelle;

• Nous la rejetons, quelle que soit l'entité qui l'exerce contre nous, père, frère, mari, fils, gouverneur, occupation, ou même le nouveau ordre mondial à l'élaboration duquel nous étions absentes ; qu'elle soit signée par des Etats, des institutions religieuses, des instances locales, régionales ou internationales;

• Nous la rejetons, où qu'elle se produise, dans le berceau, au foyer, dans la rue, sur le lieu de travail, dans le camp de réfugiés ou en prison;

• Nous la rejetons, quel que soit le moment où elle se produit, durant notre enfance, à l'adolescence ou à l'âge adulte;

• Nous la rejetons en temps de guerre comme en temps de paix;

• Nous la rejetons, quel que soit le nom qu'on lui donne ou sous lequel elle se cache, honneur, traditions, lois, pratique dominante ou priorité nationale;

• Nous la rejetons, qu'elle soit individuelle ou qu'elle affecte des groupes ; qu'elle soit contenue dans une loi ou qu'elle en découle. Nous la rejetons parce qu'elle est un abus de nos droits et parce que nous ne renonçons pas à ces droits. Nous travaillons et continuons à travailler pour prendre le contrôle de ces droits à tous les niveaux.

Sur le plan politique

Nous sommes en droit, ainsi que toutes nos populations, de vivre librement dans une patrie indépendante qui nous appartient et que nous bâtissons de façon à protéger les droits humains. Nous sommes en droit de nous organiser de façon indépendante et libre, d'oeuvrer en commun pour construire une société civile démocratique et égalitaire dans toutes les parties de notre pays. Nous sommes en droit de ne pas être opprimées, arrêtées ou torturées pour nos opinions et de combattre pour la liberté et l'égalité. Nous sommes en droit de ne pas servir d'otages, avec nos enfants, pour nos maris, nos frères, nos pères et d'autres hommes de la famille pourchassés pour des raisons politiques et autres.

Nous sommes en droit de résister à l'oppression exercée par nos gouvernements, qui nous manipulent, corps et âmes, comme des pions, pour exercer leur oppression. Nous sommes en droit de nous opposer aux institutions fondamentalistes parce qu'elles utilisent la religion pour nous opprimer. Nous sommes en droit d'avoir les opinions de notre choix et de les exprimer sans crainte ni intimidation. Nous sommes en droit de refuser d'alimenter des guerres que nous n'avons pas initiées, des conflits politiques que nous n'avons pas choisis et des politiques à l'élaboration desquelles nous n'avons pas participé.

Sur le plan de social et familial

Nous constituons la moitié du monde et sommes source de vie pour l'autre moitié. Nous sommes en droit d'y vivre en tant qu'êtres humains jouissant de tous nos droits, et dont le corps, la personnalité et la personne sont respectés. Nous sommes en droit d'être pleinement maîtresses de notre corps, sans qu'il soit mutilé par l'excision, sous prétexte d'honneur et de chasteté définis par une société masculine. Nous sommes en droit d'avoir les opinions de notre choix, et de faire un tri dans notre héritage, sans être restreintes à des moules figés et punies si nous les rejetons ou tentons de les éliminer. Nous sommes en droit de décider qui épouser, quand et où, ou même de ne pas nous marier du tout, sans être couvertes d'opprobre par la société.

Nous sommes en droit de définir notre conception de l'honneur et de refuser que cet honneur soit limité à une partie de notre corps, dont les hommes abusent, puis nous en payons le prix avec nos vies, de leurs propres mains. Nous sommes en droit de ne pas de ne pas être humiliées dans nos foyers, dans la rue ou sur notre lieu de travail. Nous sommes en droit de ne pas être battues, insultées ou humiliées.

Sur le plan juridique

Nous avons droit à la parité totale devant la loi, tout comme nous sommes en droit de participer à l'élaboration et à la mise en vigueur de la loi. Nous sommes en droit d'être des juges et des témoins à part entière. Nous sommes en droit de légiférer contre ceux qui usent de la violence envers nous. Nous sommes en droit d'abolir la notion de crimes relatifs à notre sexe et de les appeler par leurs vrais noms. On ne tue pas pour l'honneur, mais on tue avec préméditation. Le viol n'est pas une question sexuelle ; c'est un crime lié à la violence.

Nous sommes en droit d'avoir un droit civil qui nous traite comme les égales des hommes. Nous avons le même droit au mariage, au divorce, au témoignage, à l'héritage, à l'octroi de notre citoyenneté à nos enfants, et à prendre soin de nous-mêmes et de nos enfants. Nous sommes en droit d'être des citoyennes à part entière, et n'acceptons ni prétextes ni justifications portant atteinte à ce droit.

Ce sont là nos droits. Nous n'acceptons ni atteintes ni abus. Tout abus, total ou partiel, est une violence que nous combattrons.

La déclaration ci-dessus a été rédigée par des participantes du Tribunal des femmes contre la violence politique et sociale à l'égard des femmes. Le tribunal était organisé par Al-Taller (une coalition d'ONG indépendantes basée en Tunisie) et par d'autres groupes. Cette réunion a eu lieu en vue de préparer la réunion des ONG de la Conférence mondiale sur les femmes à Pékin.

Source: Ce document a été reproduit à partir d'une information diffusée par Usenet sur Internet.