Mauritanie: L'esclavage pèse encore lourd sur la société

Source: 
Magharebia
Certains mauritaniens sont encore victimes de l'esclavage, en dépit du fait que le Gouvernement ait édité des lois afin de criminaliser cette pratique.
Au cours d'un séminaire intitulé "La Discrimination en Héritage", et qui s'est tenu à Tunis le 24 janvier, des organisations mauritaniennes des Droits de l'Homme et des activistes se sont insurgés contre l'esclavage, dont ils affirment qu'il ronge encore la société mauritanienne.
"L'esclavage est une réalité douloureuse en Mauritanie", a déclaré Bairam Ould Messaoud, président de l'organisation mauritanienne SOS Esclaves. "Certaines familles possèdent encore des esclaves et les font circuler entre les maisons et les fermes, sans aucune intervention du Gouvernement".

Les activistes ont également appelés les femmes qui participaient au séminaire à aider par tous les moyens possibles à débarrasser la Mauritanie de ce qu'ils ont qualifié de "fardeau et de problème" au coeur de la société mauritanienne, en particulier dans les banlieues est et sud.

En dépit du fait que l'esclavage ait été mis hors-la-loi par le Gouvernement en 1984, Ould Messaoud a déclaré que cette interdiction légale avait échoué à outrepasser les pouvoirs traditionnels, et qu'elle n'avait jamais fonctionné. "les esclaves sont liés à leurs maîtres par des menottes intellectuelles, religieuses et financières. A moins que les esclaves ne soient financièrement affranchis, l'esclavage continuera à avoir la main haute", a-t-il conclu.

En 2006, le Gouvernement avait fait passer une nouvelle loi imposant une amende s'élevant de 200 000 à un million d'Ouguiyas à tout individu reconnu coupable d'implication dans le trafic d'êtres humains.

Mais même cette loi n'a pas été respectée sur le terrain, dit la mauritanienne Aminatou Bent Mokhtar, Présidente de l'Association des Femmes Soutiens de Famille. Les autorités, ajoute-t-elle, font peu de choses pour mettre un terme aux souffrances de nombreuses filles qui endurent des formes d'abus divers, dont l'abus sexuel.

Les autres participants au séminaire ont été sidérés d'entendre de tels compte-rendus sur l'esclavage en Mauritanie.

"J'appelle les citoyennes en Mauritanie à agir à l'échelle la plus grande pour que de telles pratiques puissent se défaire", a dit Nabiah Hadoush, une des responsables de l'Association des Femmes marocaines.

"Nous, au Maroc, sommes prêtes à les soutenir à travers nos relations régionales et internationales. Pourquoi ne pas créer un partenariat au niveau du Maghreb pour faire cesser de telles pratiques qui violent les Droits de l'Homme ?", a-t-elle demandé. "C'est insulter tous les citoyens d'Afrique du Nord. Nous ne l'accepterons jamais au XXIème siècle".

Nfesia Iben, membre du Comité directeur de l'Association marocaine de Défense des Droits de la Femme, a suggéré la formation d'une alliance féminine visant à défendre les victimes du trafic d'êtres humains en Mauritanie.

"Nous devons écrire au Gouvernement mauritanien et aux associations des Droits de l'Homme...Pour les informer que ce qu'il se passe est honteux et que nous ne devrions jamais garder le silence à ce sujet", ajoute-t-elle.

Selon l'activiste mauritanienne Sarah Al Sadeq, les vendeurs de femmes esclaves trouvent habituellement leurs victimes dans les zones pauvres ou parmi les paysans qui ont rejoint la capitale, dans le but de fuir des années continues de sécheresse.

Al Sadeq raconte que l'un des problèmes auxquels les activistes et les organisations se heurtent face à l'esclavage est le manque d'un effectif gouvernemental suffisant pour évaluer son envergure.

"Les institutions de la société civile n'ont pas les ressources financières pour établir des statistiques précises, et les autorités ne prêtent attention à ce problème que difficilement", explique-t-elle.

Les chiffres de l'ONU avancent qu'il y a presque 1.2 million d'enfants victimes du trafic d'êtres humains dans le monde ; ils sont approximativement 246 millions à travailler dès leur jeune âge. Les trafiquants collectent annuellement environ 31 milliards de dollars du commerce d'esclaves.

Même lorsque les esclaves sont affranchis, leur manque d'éducation et de connaissance de leur environnement limite souvent leur nouvelle liberté.

"Des esclaves affranchis ne peuvent pas être socialement indépendants", dit la journaliste Maryam Bent Mohamed Laghzaf, "parce qu'ils ont échoué à l'être financièrement. En fait, l'esclavage réel est l'esclavage financier, il n'est pas racial, comme certains le présument. De nombreux maîtres ont affranchi leurs esclaves il y a déjà longtemps, mais ces derniers se sont trouvés dans des situations économiques très dures qui les ont mené à souhaiter revenir vivre sous l'autorité de leurs maîtres".

Elle conclut en affirmant que c'est de la responsabilité du Gouvernement d'offrir une aide financière et éducative afin que ces victimes puissent se trouver en mesure de prendre un nouveau départ.

D'un autre côté, le Gouvernement mauritanien insiste sur le fait que l'esclavage appartient au passé, et que le peu restant est en train de disparaître.

"L'Etat est actuellement engagé dans la lutte contre les vestiges de l'esclavage, et il offre des opportunités d'égalité à toutes les catégories sociales", dit Mohamad Lamain Ould Idad, Commissaire aux Droits de l'Homme. "Le budget alloué par mon secteur à ce projet s'élève à 1.4 milliard d' Ouguiyas."

Ould Idad dit qu'il a rencontré des groupes d'esclaves pour entendre leurs expériences. "Certaines victimes racontent les histoires tragiques de la réalité douloureuse dont ils ont souffert, sans aucune baguette magique pour les aider à y mettre un terme", dit-il.

Bilal, 50 ans, est l'une de ces victimes. Il est né dans un milieu, dit-il, où la société ne pratiquait ni l'égalité, ni la justice.

"Mon père emmenait les chameaux brouter toute la journée", raconte-t-il. "Ma mère s'occupait des chevaux. J'ai été dévoré par l'humiliation et la mortification tout au long de mon enfance entière, durant ma vie adulte si restreinte, avec mes rêve avortés. Et tout cela à cause de mon teint noir, avec lequel je suis arrivé dans un monde d'oppression".

02 mars 2009

Par Mohamed Yahya Ould Abdel Wedoud à Nouakchott et Jamel Arfaoui à Tunis

Source : Magharebia