Cameroun: La question homosexuelle en Afrique
La situation est plus difficile en Afrique. Les infos venues du Sénégal ces derniers jours montrent à quel point la situation de ces gens est délicate. La pesanteur sociale, les traditions, les religions, jouent contre sa reconnaissance et le politique ne peut que suivre. Malgré les recours aux droits de l’homme, l’homosexualité a du mal à être visible en Afrique et c’est pourquoi il nous a semblé important d’inviter un chercheur qui vient de publier le seul livre paru sur la question et voici ses réflexions.
Ce travail de sociologie est un travail de recherche pour comprendre avant de juger, suivons- le.
Pourquoi avoir pris comme sujet « la question homosexuelle en Afrique » ? Est-ce pour choquer, informer, lever le voile ou faire prendre conscience du phénomène dans un continent ou il passe mal ?
Dans l’immédiat, je n’ai été motivé que par le désir de faire un travail de sociologie, qui implique le chercheur se préoccupe d’une réalité sociale donnée, à fin de ressortir ses différentes trajectoires, ses non dits, ses ambivalences bref ses manifestations. Or il se trouve que la sociologie a été toujours étiquetée comme une science subversive, en ceci qu’elle se préoccupe des choses qui dérangent, des faits dont tout le monde ne veut pas nécessairement entendre parler, des controverses. C’est pourquoi à un moment donné au Cameroun, le département de Philosophie où l’on donnait des cours de sociologie a été fermée : pour subversion.
Mais avec le recul, au-delà des considérations que je viens de présenter qu’on pourrait considérer comme ‘noble’, je pense que mon but était de lever le voile sur un mythe culturellement et politiquement informés et présenter la réalité de l’homosexualité telle qu’elle est en Afrique et non telle qu’on se représente qu’elle serait : sorcellerie ; pédophilie ; criminalité ; outil ascension sociale ; comportement contre nature…L’effort ne fut rien d’autre que l’essai de compréhension d’une réalité sociale, à partir de plusieurs point de vue : celui des religions pratiquées sur le continent (christianisme, islam) ; celui des catégories africaines se réclamant d’une identité homosexuelle et vivant en Afrique, mais aussi à partir de l’histoire de l’Afrique. Ces différents angles ont servi de triangulation pour la validation de mes hypothèses. J’espère que j’y suis parvenu et surtout que ceux qui ont pu me lire ont été enrichis. N’oublions pas que la compréhension d’une réalité donnée n’est pas forcément son acceptation, donc il ne faut pas avoir peur, à mon sens, d’oser amorcer la démarche qui consiste à porter un regard critique sur un fait, et cela sous divers aspects.
D’après vos recherches je signale que vous êtes des rares chercheurs africains à travailler sur ce sujet) pouvez-vous dire si l’homosexualité est un phénomène ou un comportement naturel et normal ?
On en vient là à la sempiternelle question de la genèse de l’homosexualité. Serait-elle génétique ou construite socialement ? La première thèse est dite essentialiste et s’oppose à la seconde qui est présentée comme constructiviste. Je partage la seconde dont le postulat est que rien n’est donné, tout est construit, déconstruit, reconstruit, conquis. Et le fait sexuel n’échappe pas à cette logique. Simone De Beauvoir disait qu’on ne naissait pas femme mais qu’on apprenait à le devenir. Cela est valable pour la sexualité humaine : on ne n’est pas hétérosexuel, on apprend à le devenir en fonction de son milieu social de production, de son environnement physique, mais surtout de son idiosyncrasie. C’est valable pour le comportement homosexuel, qui soit dit en passant, en plus de l’hétérosexualité s’inscrit avec la bisexualité dans le vaste espace qu’on nomme la sexualité.
Je peux reformuler autrement : on ne naît pas homosexuel ou hétérosexuel, mais on naît sexué, c’est-à-dire avec des prédispositions à la sexualité. Les manifestations explicites d’une forme de sexualité seront différentes d’un individu à un autre en fonction des facteurs que j’ai cité plus haut. Bien sûr puisqu’il s’agit de thèse, l’avantage est qu’elle ne peut pas satisfaire tout le monde. Le débat reste ouvert et l’opportunité est donné à tout un chacun de s’appuyer sur les thèses qui lui paraitraient les plus plausibles. Je n’ai fait que parler de celles qui me convainquent sans l’imposer comme un dogme. Je respecte les autres points de vue même si je ne les partage pas.
Pour résumer, étant donné que la réalité homosexuelle apparaît dans des communautés vivant dans la nature, je ne vois pas pourquoi on dirait d’elle qu’elle ne serait pas naturelle ou sociale. La question de la normalité varie d’un milieu à un autre. Ce qui est accepté ou rejeté ici peut ne pas l’être là-bas. Il ne me semble donc pas prudent d’appliquer un principe d’universalité qui resterait à mon avis sujet à grandes controverses. Peut être faudrait-il qu’on s’accorde sur les concepts : qu’est-ce que la nature ? Où se situe la normalité ? Qui en pose les limites ? Qu’elle est sa validité et à qui s’adresse-t-elle ? L’acteur social est-il tenu de s’y conformer ? Dans les faits s’y conforme-t-il ?
Pourquoi l’homosexualité est si décriée et sévèrement punie (de mort) dans certaines contrées d’Afrique ?
Ce n’est pas qu’en Afrique cela s’observe. C’est important de le préciser. Pour proposer une piste de réponse à votre préoccupation, il me semble que le malaise vient de la compréhension que les gens ont de la réalité homosexuelle. Elle est associée à tout sauf à ce qu’elle est. Il se dégage une peur de l’inconnue qui poussée à son extrême entraîne des pertes en vie humaine des acteurs soupçonnés ou accusés d’être homosexuels. C’est la peur de l’étrange-étranger qui finit par déranger les structures psychiques, mentales et sociales les plus établies chez l’individu. C’est la peur de ce qu’on ne connaît pas et que parfois on a peur de connaître, puisqu’on n’est pas préparé à ce qu’on pourrait découvrir. C’est la peur que le mouvement de compréhension entraîne une acceptation même tacite dont on ne voudrait pas du tout entendre parler. C’est la peur qui trahit en réalité aussi un malaise existentiel chez ceux qui sont mus par la phobie de la différence.
Qu’est-ce qui en Afrique fait que l’homosexualité a du mal à se développer comme en Occident ? N’est-ce pas la survivance ou le haut niveau de religiosité ( comme au Sénégal qui vient de s’illustrer pour plus de 80% homophobe) ?
Tout dépend de ce qu’on entend par avoir du mal à se développer. L’homosexualité reste en Afrique et dans tous les endroits où elle est fortement réprimée un fait clandestin avec de nombreux tentacules. On ne peut donc pas parler d’un mal à se développer. Je parlerai plutôt d’un mal à se visibiliser. Encore que les réseaux formels nationaux et transnationaux, sous le prisme du sida ou de la défense du droit de la personne, se mettent de plus en plus en place comme je le souligne dans certaines publications.
Vous avez sans doute entendu parler d’Africagay en Afrique francophone qui réunit des associations africaines, sous la houlette de AIDES, travaillant sur les questions d’accès aux soins ou à la prévention en termes de VIH ou encore de la Pan Africa ILGA qui est la section sous régionale de l’organisation mondiale des lesbiennes, gays, bisexuels et inter sexes (LGBTI). La Pan Africa ILGA compte plus d’une quarantaine de membres constitués d’associations LGBTI africaines et à sa base en Afrique du Sud.
Pour revenir à la question de la survivance du niveau de la religiosité, il s’observe effectivement qu’en Afrique, dans certaines régions, l’identité religieuse supplante l’identité nationale. On se pense d’abord à partir de sa religion d’appartenance avant de se penser comme appartenant à une Nation. On se construit à partir des enseignements de son marabout, de son prélat et on s’y enferme parfois, semble-t-il sans distance critique. Et cette situation en effet reste critique pour le continent. Hier encore les médias rapportaient un fait inédit au Sénégal d’un individu qui a été déterré d’un cimetière musulman et remis à ses parents parce qu’il aurait été homosexuel. Plusieurs ont été scandalisés par cet façon d’agir, soi disant au nom de la religion.
Votre travail prend des exemples dans beaucoup de pays par exemple en Israél l’homosexualité est considérée comme une trahison nationale et l’explication page 115 est bizarre
Je m’inspire de l’analyse d’un auteur, (DOUCE, Joseph) qui montrait en effet qu’au-delà du postulat biblique qui veut que l’homosexualité soit interdite, que ce soit en réalité une question liée au peuplement de la terre d’Israël qui motiverait l’interdit contre l’homosexualité.
Pour le cas du Cameroun vous dressez des tableaux sur la base ethnique, la résidence, l’activité, la religion, quel est l’intérêt de cela ?
C’est une démarche classique en sociologie où doivent toujours ressortir, dans des données statistiques, des éléments de l’aspect socio-démographique du groupe qu’on veut étudier. Par la suite on fait des croisements de variables qui nous permettront d’évaluer les liens entre ces données socio-démographiques et le comportement des catégories observées : quelles sont leurs types d’activités, de religion et est-ce que l’observateur peut en ressortir une incidence sur la visibilité des pratiques sexuelles en dépit des interdits sociaux. Voilà l’intérêt, et je pense l’avoir fait.
Il me semble que la pauvreté a quelque chose à voir avec le développement de l’homosexualité en Afrique qu’en pensez-vous ? Au Sénégal un DVD circule pour montrer comment certaines femmes riches recrutent des jeunes filles pauvres pour les livrer à des femmes fortunées préférant les femmes
La paupérisation des sociétés africaines a un lien significatif avec une forme de visibilisation de l’homosexualité en Afrique, qui se confond à certain niveau avec la prostitution, mais qui n’en est pas. On parle de sexualité transactionnelle, dans ce sens que la recherche d’avantages économiques ne peut être dissociée de la recherche du plaisir per se. Mais il y a aussi le que très souvent on confond homosexualité identitaire à pseudo-homosexualité ou homosexualité situationnelle. Ce dernier se sert de la pratique homosexuelle comme moyen et finalité pour atteindre un but qui est loin du plaisir sexuel. Il imite très souvent le comportement hétérosexuel.
Il existe aussi des cas où des personnes se réclamant d’une identité homosexuelle s’en serve pour des fins économiques. Mais cela n’est pas exclusif à l’homosexualité en Afrique, on l’observe aussi chez des personnes hétérosexuelles. Je pense que c’est dans le contexte de la sexualité en générale qu’il faut poser cette préoccupation et ne pas perdre de vue qu’en contexte de crise généralisée, les gens se servent non pas seulement de la sexualité, mais de tout ce qu’ils ont à leur disposition pour atteindre leur fin. Ça devient dès lors une question de survie. C’est l’instinct de mort qui fait agir. Tout comme ce pourrait aussi être lié chez d’autre à un choix assumé n’ayant rien avoir avec la pauvreté. Il faudrait prendre en considération tous ces facteurs pour s’assurer d’une analyse dans la totalité de cette préoccupation.
Votre travail va plus loin puisque , non seulement vous dressez le portait de l’homosexuel, la façon de le repérer, les lieux destinés à son exercice, les jours de rencontres , bref cette activité est facilement identifiable au Cameroun, elle tant à s’organiser.
Oui, elle tend à s’organiser, et pas seulement au Cameroun, mais dans toute l’Afrique. Je vous ai parlé brièvement de la Pan Africa ILGA, mais il existe également des organisations nationales au Cameroun, au Burundi, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Botswana, au Zimbabwe etc.
Et si vous vous rapprochez de chaque sous groupe, vous vous rendrez compte qu’il existe des codes langagiers, vestimentaires, comportementaux, des repères, bref des scripts sexuels comme on dit en sociologie, propres au milieu. C’est le fait de tous les groupes dont la minoration et l’ostracisassion les poussent à la clandestinité dans les territoires où ils se produisent et veulent se reproduire.
Vous avez des hypothèses pour expliquer le développement de l’homosexualité : la crise, l’influence des médias et du politique sur les pratiques sexuelles, je ne comprends pas parce que, l’homme peut être maître de son destin et refuser toute influence. ( page 131)
Ce sont les hypothèses qui expliquent la visibilisation de l’homosexualité, j’entends le processus qui vise à mettre en public un comportement sexuel en dépit des interdits. L’homme est certes maître de son destin et c’est parce qu’il veut prendre la direction de son devenir qu’il pourra choisir de publiciser son orientation sexuelle, quitte à choquer, à déranger. C’est de cela qu’il est question dans mon ouvrage. La crise, l’influence des médias mais aussi son vécu psychologique va pousser l’individu à un moment donné de sa vie à ne plus rester enfermer dans un placard. Il enverra donc des signaux pour dire ce qu’il est, la manière dont il veut être vu et voire d’être accepter tel quel.
L’homosexualité est cachée en Afrique en général ; mais elle devient visible en meme temps qu’elle donne à voir des issues fatales. Que pensez-vous du sort actuel réservé aux homosexuels en Afrique
Les homosexuels en Afrique ont un sort qui reste préoccupant. C’est pourquoi se pose avec acuité ses derniers temps la question de la dépénalisation de l’homosexualité sur le continent. L’idée est de souligner qu’ils ne sont pas des citoyens entièrement à part, mais des citoyens à part entière ; qu’ils ont leur mot à dire sur le fonctionnement de la cité comme tout le peuple ; qu’ils ont le droit de vivre ici ou ailleurs à cause du droit incontestable du sol ; et qu’en fin cette question du sort des homosexuels en Afrique pourrait à la longue contribuer à enrichir la problématique de l’immigration, clandestine ou officielle sous la forme de demande d’asile. Mais la persécution des homosexuels en Afrique peut aussi servir de filon rentable à certains réseaux pour faciliter justement cette question liée aux demandes d’asile.
La conséquence risquerait dès lors d’être que ceux qui sont le plus dans le besoin ne bénéficient pas des dispositions existantes, tandis que ceux qui ne sont pas dans le besoin (homosexuels ou non) s’en serviraient pour d’autres fins. J’ai été contacté à plusieurs reprises pour des cas où certains présidents d’associations travaillant avec les minorités homosexuelles en Afrique se serviraient de l’homophobie ambiante pour mettre sur pied des réseaux d’immigration clandestine. La pratique consiste à délivrer une fausse lettre de recommandation signée par le président de l’association mentionnant que le détenteur est membre de ladite association et serait persécuté pour son homosexualité dans son pays. Il peut dès lors une fois arrivée dans un aéroport de l’espace Schengen, surtout en Belgique, faire sa demande d’asile. Il paraît même que c’est très rentable.
Vous êtes plus connu et reconnu en dehors de l’Afrique , pourquoi ne signer vous pas des dédicaces en Afrique , avez-vous peur des coups de matraques parce que vous serez considérez qui favorise le développement de cette pratique ?
Nul n’est prophète chez soi. Et il ne sert à rien d’essayer de botter dans une fourmilière, auquel cas il ne faudrait pas se plaindre si on est attaqué par les fourmis magnans. L’important pour moi est que le modeste travail que je fais autour de la question homosexuelle en Afrique soit connu. Ce qui est le cas et j’espère continuera de l’être. Si sans signer de dédicaces en Afrique mes travaux font parler d’eux et que je peux circuler en toute liberté, pour quoi davantage attirer une attention dont je me passerais volontiers, ce d’autant plus que je continue de travailler sur cette problématique, dans le même continent. Ma position et ma posture deviennent dès lors purement stratégiques pour avoir plus de données. Ce n’est pas en étant derrière les barreaux que je pourrais les obtenir.
Merci à vous et bon courage
C’est moi qui vous remercie.
11 mai 2009
Par Pape Cissoko
Source : Grioo.com