Sénégal : Les femmes de Casamance appellent à la paix

Source: 
Pambazuka News

Depuis 1982 que la violence s’est installée en Casamance, les perspectives de paix entre le gouvernement du Sénégal et le MFDC, un mouvement indépendantiste, ne se sont jamais concrétisées de manière durable. Aux longues périodes d’accalmie succèdent régulièrement des flambées de violence qui remettent en cause les négociations et les processus de paix qui s’engagent. Depuis plusieurs mois, la cette région sud du Sénégal est à nouveau tombée dans ce cycle de violence. Et pour les femmes de cette région qui lancent cet appel, il est temps que cela cesse.

Manifeste sur le dialogue et l'ouverture de négociation entre le gouvernement du Sénégal et le MFDC pour un règlement définitif du conflit Casamançais

1) Qu'est ce qui se passe aujourd'hui?

La Casamance est dans tous ses états! La violence armée est entrain de regagner du terrain, presque partout en Casamance. Des populations, du fait de l'insécurité, assistent à de violents affrontements entre combattants du MFDC (Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance) et militaires de l'armée nationale du Sénégal. Mais, comme d’habitude, ce sont les populations qui payent les conséquences de cette reprise de tension. De mai à novembre 2009, la reprise des affrontements entre l’armée et les combattants du MFDC aurait fait près de 25 blessés et 16 morts selon la presse sénégalaise. Trop, c’est trop!

2) Le conflit Casamançais, reconnu en tant que tel ou pas, n'arrange personne !

  • Les populations veulent voir leurs enfants s’épanouir et réussir sans courir de risques avec les mines ou avec un environnement non sécurisé : elles veulent que «la famille se retrouve dans la vie villageoise», elles veulent que «les villages chantent et dansent», elles veulent «dormir tranquillement», elles veulent que «chacun retrouve son foyer»

Les populations souffrent des difficultés croissantes de la vie quotidienne et de l’insuffisance des services sociaux de base: santé, éducation. Dans certains endroits à cause de l'insécurité les rizières et les champs sont abandonnés en pleine activité culturale. La libre circulation des biens et des personnes est sous menace épisodique.

Une région déstabilisée, qui voit se développer le trafic de la drogue, qui assiste impuissante à l'exploitation incontrôlée de ses ressources naturelles, où l'insécurité hypothèque le tourisme, et annihile tout effort économique, est vouée à une mort lente.

En effet, les conséquences qui en découlent seront la pauvreté, une santé publique détériorée, des espaces naturels affectés. A la longue, il y a le risque d’une catastrophe écologique et sociale dont personne ne se relèvera. Et si nous échappons à ces conséquences, ce sont nos enfants qui verront leur avenir hypothéqué. Est ce réellement ce que nous souhaitons? Non! Tout le peuple sénégalais voudrait vivre dans la tranquillité, vaquer librement à ses occupations, se mouvoir sans crainte, s’épanouir dans la dignité et dans un respect mutuel.

  • Les hommes du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance auraient aimé soutenir leurs parents au moment de leur vieillesse, des adultes qui aspirent à vivre en paix, en sécurité et par dessus tout à voir leurs enfants grandir, réussir leur vie. Le MFDC voudrait une Casamance de paix, d'abondance et une grande considération pour sa culture riche, diverse. Des jeunes hommes restent dans le maquis pendant des années, d'autres y ont passé toute leur jeunesse. Est ce qu’ils préfèrent être loin de leurs familles, de leurs parents qui prennent de l'âge ou meurent souvent en leur absence ? Non! Ont-ils choisi de ne pas envoyer leurs enfants à l’école? Non.
  • L’Etat du Sénégal voudrait la paix sociale sur toute l'étendue de son territoire et un développement harmonieux de toutes les régions et servir d'exemple de stabilité, de démocratie au plan sous régional et international. Ce qui peut être hypothéqué quand un conflit majeur éclate quelque part. Les populations souffrent des déplacements, de la perte de leurs parents, de leurs biens, de leurs maisons. Des perspectives réelles, de trouver un travail convenable, de mener une vie décente, s'évanouissent.

Qu'est ce qu'une région en guerre peut rapporter à l’Etat? Est ce que c'est dans une situation de conflit que le Sénégal peut tirer profit des richesses de la Casamance ? Non. Est ce que la Casamance en conflit peut attirer des touristes qui profitent de leur séjour pour visiter des régions? Non. Est ce que la communication déficiente au sein du pays favorise une bonne visibilité du Sénégal à l’extérieur? Non.

  • Quant à la société civile, elle travaille depuis des années dans le sens d'atténuer les effets négatifs du conflit sur les populations. Elle les aide à remonter leur moral, à réhabiliter leurs maisons, et à rebâtir les bases économiques de leur survie. Aussi n’a-t-elle pas intérêt à devoir recommencer perpétuellement ces actions ou de voir ses efforts s'évaporer dans un nouveau déclenchement de violence, de destruction physique et morale.

3) La situation en Casamance n'a ni couleur ethnique, ni couleur religieuse

Le Sénégal, avec la région de la Casamance en particulier, peut être fier de sa diversité culturelle, de la cohabitation pacifique de ses citoyens. On peut être fier de l'appréciation mutuelle positive des religions. Les liens de famille ne connaissent pas de limites ethnique ni religieuse. Dans le monde actuel, où les conflits sont ethnicisés, les religions utilisées pour camoufler des aspirations au pouvoir, la diversité et la bonne cohabitation sont des acquis fondamentaux, une richesse, un trésor qu'il ne faut jamais sacrifier pour quelque raison que ce soit. Nous déclarons que la Casamance est une région multiculturelle et tolérante dans un Sénégal multiculturel et tolérant!

4) Nous reconnaissons que dans le passé, des efforts ont été consentis par tous les acteurs

Depuis le début de cette crise, la société civile n'a pas baissé les bras. Elle s'est engagée aux cotés des populations, de l'Etat et du MFDC pour un apaisement de l'espace. Beaucoup d'organisations se battent à des niveaux micro, méso ou macro pour un développement durable et cherchent des synergies.

Les deux acteurs principaux en conflit, le Gouvernement du Sénégal d’une part et le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance d’autre part, ont, à plusieurs reprises, tenté de régler cette crise par la voie de négociations et des accords de cessez le feu ont été signés (1991 à Cacheu en Guinée Bissau, 1993 à Ziguinchor, 2004 à Ziguinchor). Surtout le dernier accord a donné beaucoup d’espoir. Cependant il n’est constaté ni entendu nulle part du côté du Gouvernement et du côté du MFDC des démarches pour que les deux parties s'assoient enfin à la table des négociations pouvant aboutir à une paix définitive.

5) La situation des déplacés en particulier

Après avoir vécu 8, 15, même 20 ans chez des parents dans d’autres villages ou bien à Ziguinchor, les personnes déplacées sont fatiguées et désespérées. Après avoir laissé tout derrière eux, partagé des chambres avec beaucoup de gens, où trouver une porte de sortie si jusqu'à présent on ne peut pas retourner chez soi à cause des mines, à cause de l'insécurité qui s’accentue encore ?

Où trouver les moyens de prendre en charge un loyer en ville, de métayer les champs d'autrui tout en étant coupé de ses propres terres et vergers? Où trouver de quoi manger? Certaines populations déplacées ont été aussi désespérées de rentrer dans leurs villages respectifs pour se libérer des tracasseries de la vie en ville qu'elles ont même procédé aux risques de déminage par le kadiandou (Ndlr : un outil aratoire traditionnel) !

6) La demande actuelle

Nous ne sommes pas des politiques, nous sommes des femmes, de simples citoyens. Nous sommes des membres d'organisations de la société civile qui travaillent en Casamance et nous interpellons toute bonne volonté à se joindre à notre cri de cœur pour éviter de rater une chance historique de résoudre le problème en Casamance et de retomber dans les atrocités de la guerre.
Depuis presque trente ans la Casamance est le théâtre d’une violence inouïe. Toute une génération est née et a grandi dans la guerre. Est ce que cela a ouvert les pistes d'un avenir prospère et heureux pour tout le monde? Non! La guerre a plutôt laissé des traces profondes dans les cœurs du peuple et une Casamance qui continue à souffrir.

La logique de la violence est de créer de nouveau la violence. On peut l'observer un peu partout à travers le monde: on crée malheureusement toujours des motifs de réactions en chaîne, des motifs de revendication. Quand allons-nous nous décider à arrêter cette machine infernale, ce cercle vicieux pour ne pas tomber ensemble dans l'abîme?

Aujourd'hui la question n’est pas de savoir qui a tort ou qui a raison. On n'est même pas encore arrivé au point de discuter comment organiser notre cohabitation sur la planète, en Afrique de l'Ouest, au Sénégal ou en Casamance. La question aujourd'hui c'est d'abord une demande radicale de s'abstenir de la violence.

Il est temps que nous tous, nous nous traitions avec respect. Personne ne doit être minimisé ni diabolisé. Quelle que soit sa conviction politique, chacun doit être reconnu en tant qu'être humain avec le droit de se prononcer, de parler de ses expériences qui l'ont amené là où il/elle est. La base de la paix c'est partager des perspectives, ce n'est pas de s'imposer avec la force physique ou même la force de la parole. Partager les perspectives pour en faire une perspective commune plus large, plus compréhensive, plus inclusive. Nous tous sommes interpellés à contribuer, par notre propre effort, à commencer à communiquer avec respect vis-à-vis de l’autre. Dans les cultures traditionnelles casamançaises, les femmes avaient le droit de s'interposer entre les belligérants qui sont obligés de déposer leurs armes. C'est dans cette tradition que nous appelons à un cessez-le-feu immédiat et radical. Ce sont des femmes de la société civile qui appellent tout le monde à la raison.

Sénégalaises, Sénégalais, nous ne devons plus cacher les besoins qui nous lient. Commençons à reconnaître que, du président de la République jusqu'au combattant, du paysan jusqu'à l'agent de développement, nous partageons les mêmes besoins: d'être respectés par la société, le désir de bien vivre, d'être libre de s'épanouir, de bouger, de vaquer à nos occupations, d'être reconnus dans notre travail, d'être en famille, de pratiquer chacun sa religion, de nous impliquer dans les questions de la société, de partager les souffrances et de fêter les bons moments de la vie.

Nos principes de communication sont:

  • La transparence
  • La communication respectueuse: cherchons les besoins qui nous lient tous!
  • La reconnaissance de l'autre comme partenaire de dialogue: La séparation entre le thème discuté et la personne qui fait le propos
  • Une discussion concentrée sur les contenus et sur la recherche d'un large consensus
  • Une communication non violente sans accusations, stigmatisations, généralisations.

Nous demandons

  • Une absence totale de la violence!
  • La mise en œuvre d’un véritable processus de négociation entre l’Etat et le MFDC

Soutenez le manifeste en le signant!

Ziguinchor, le 17 décembre 2009

Organisations signataires :

CONGAD
CRSFPC/Usoforal
AJAC Lukaal
AJAEDO
APAC
Kagamen Sénégal
Kabonkétoor
GRDR
FAFS
Enfance et Paix
WANEP Sénégal
Caritas Ziguinchor
Fédération des Associations Féminines du Sénégal, cellule de Ziguinchor
Africare

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11 janvier 2010