Royaume-Uni: Déclaration de Gita Sahgal à son départ de Amnesty International

Source: 
WLUML

Le 09 avril 2010, Amnesty International annonçait mon départ de l’organisation. Selon notre déclaration commune, « il était convenu que Gita quitte Amnesty International, en raison de différences irréconciliables de points de vue entre Gita Sahgal et Amnesty International sur les relations entre l’organisation et Moazzam Begg et Cageprisoners ».

J’ai été recrutée pour diriger l’unité Genre, alors que l’organisation s’apprêtait à mener une campagne « Stop à la violence contre les femmes ». Je la quitte avec une profonde tristesse au moment où s’achève la campagne. Des milliers d’activistes d’Amnesty International s’y étaient joints avec enthousiasme. Plusieurs espéraient qu'elle susciterait du respect pour les droits des femmes. Il y a peu de raison, aujourd’hui, d’être optimiste.

Les hauts responsables d’Amnesty International ont choisi de répondre aux questions que je posais sur les relations de l’organisation avec Moazzam Begg en resserrant les liens avec ce dernier. Ils montrent ainsi que les vues de Moazzam Begg, de ses associés et de son organisation Cageprisoners ne les perturbent pas. Ils déclarent que l’idée de Défensive Jihad (Jihad en légitime défense) n’est pas en contradiction avec les droits humains. Ils expliquent qu’ils veulent simplement dire que la forme spécifique de Jihad violent que Moazzam Begg et les autres de Cageprisoners font valoir est une obligation individuelle qui incombe à tous les musulmans.

Je remercie les hauts responsables d’Amnesty International d’avoir reconnu et d’avoir, en plus, clarifié que cela faisait longtemps  que la légitimation de Begg suscitait des inquiétudes et que le chef du programme Asie s’était fortement opposé à toute collaboration avec lui. Quand les désaccords sont aussi profonds, il vaut mieux abréger les discussions sur les faits.
Malheureusement cette position a terni toutes les victoires en matière d’égalité pour les femmes et a tourné en ridicule l’universalité des droits. En fait, la direction a effectivement renié sa foi dans l’universalité comme fondement essentiel de l’association.

J’exprime ma sympathie à toutes les personnes qui ont combattu si durement et si longtemps avec Amnesty International pour mettre en conformité leurs actions avec les principes du mouvement. Je sais que nombre d’entre vous ont été déroutés par cette querelle et que d’autres ont eu honte de ce qui est fait en votre nom. On vous a peut-être dit qu'’il était impossible d’instaurer un débat au milieu d’une crise. Je reconnais qu'’il y a effectivement crise et que les questions les plus difficiles sont posées par les alliés des droits humains proches d’Amnesty International, en particulier dans les régions où l’on mène le jihad appuyé par les associés de Begg.

J’ai maintenant toute liberté d’offrir mon aide en tant qu'experte externe, disposant d’une connaissance intime des procédés et des politiques d’Amnesty International. Je pourrai expliquer, au cours de débats publics, avec à la fois la direction et les sections, que l’adhésion au jihad non violent, même si l’on refuse de tuer des civils, est partie intégrante d’une philosophie politique qui généralement tend à saper les droits humains et enfreint les politiques spécifiques d’Amnesty International contre les violences et les discriminations systématiques, en particulier à l’égard des femmes et des minorités.

Durant ces deux derniers mois, il y a eu des gains en matière de droits humains dans la lutte contre la torture comme norme et l’on a dénoncé les gouvernements qui en ont été complices par leur politique de « ne pas demander », « ne pas dire ». Mais ma hantise nourrie par la promotion continue de Moazzam Begg comme victime parfaite est qu'Amnesty International applique ses propres politiques visant à « ne pas demander, ne pas en parler ».

Je vous invite donc à vous joindre à moi, dans le combat que je mène pour promouvoir la responsabilité publique, à un moment, qui survient rarement dans l’histoire, où une grande organisation se doit de demander : quand on se ment à soi-même, peut-on exiger la vérité des autres ?

Gita Sahgal
Ancienne responsable par intérim de l’Unité Genre, Sexualité et Identité d’Amnesty International.