Dossier 14-15: Naissance, nationalisme et guerre

Publication Author: 
Stasa Zajovic
Date: 
novembre 1996
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doss14-15/f
number of pages: 
195
Du fondamentalisme ethnique au fondamentalisme religieux
Commentaire de l'éditrice:


L'article de Stasa Zajovic, tiré de Femmes en noir - Belgrade, est évocateur pour tous ceux qui vivent dans des pays pluri-ethniques, pluri-religieux, pluri-culturels, menacés par la montée du nationalisme - ou du communautarisme - où la haine de l'autre, étroitement mêlée aux politiques démographiques (sous une forme douce qui peut évoluer, dans sa forme plus grave, en purification ethnique), place les femmes au premier rang de ces politiques. Femmes en noir - Belgrade est une organisation originale qui a préservé, durant toute la guerre en ex-Yougoslavie, les liens si nécessaires entre les femmes de différentes communautés, a aidé toutes les initiatives de femmes pluri-ethniques et pluri-religieuses et a également travaillé avec les réfugiés de toutes origines dans les camps. Elles ont été les premières à dénoncer les atrocités commises par le régime serbe et les camps de prostitution installés pour le régime, mais aussi les atrocités commises par les autres communautés et les bordels installés par les troupes de pacification des Nations-Unies. Elles ont également mis en évidence la relation étroite entre l'intensification de la violence liée à la guerre et celle de la violence domestique, montrant ainsi que la guerre était une brutalisation effective de la société toute entière. Inutile de dire que Femmes en noir a été la cible de la répression en Serbie.

Dans cet article, Stasa, une des figures de proue de Femmes en noir-Belgrade, souligne la similarité qui existe entre l'ex-Yougoslavie et l'Allemagne nazie, toutes deux ayant impliqué la femme dans un modèle de maternité qui sert au mieux les intérêts d'un régime belliciste, expansionniste, nationaliste et raciste. Il nous a semblé intéressant d'adjoindre à son article deux documents qui ont été distribués, lors du forum des ONG de Pékin à la Conférence des Nations-Unies sur les femmes, par des femmes affiliées à des groupes fondamentalistes. Le premier document, non signé, reproduit in extenso, présente le modèle proposé de la femme musulmane en relation avec la moralité et la glorification de la maternité. Le second est une déclaration de l'académie de recherche islamique Al-Azhar Al-Sharif, publiée par le bureau du Grand Imam et adressée à la Conférence de Pékin. Nous en avons extrait les paragraphes sur les femmes et la moralité, ainsi que sur la maternité et la guerre. Ils illustrent, dans le contexte du fondamentalisme religieux, le modèle analysé par Stasa dans le contexte du fondamentalisme ethnique.

A la fin des années 80, la consolidation du nationalisme en tant qu'idéologie d'Etat en Serbie a conduit au renforcement de la propagande dirigée contre les femmes. Il est bien connu que dans des périodes de crise aigüe, de régression économique ou de répression marquée, on invite les femmes à retourner au "foyer et à la famille" ; on les qualifie d'"anges de la terre natale", de mères idéales, d'épouses fidèles ... Une telle propagande est destinée, entre autres, à retarder ou à prévenir les tensions sociales, les explosions de mécontentement social causées par des licenciements massifs de travailleurs et de travailleuses. Les femmes sont les premières à être licenciées ; on exige d'elles qu'elles cèdent leurs emplois aux hommes. A la fin des années 80 et au début des années 90, au moment où plus de la moitié des entreprises subissaient des pertes économiques sérieuses, commencèrent les préparatifs en vue de licenciements massifs, surtout de travailleuses.

C'est pour cette raison qu'au début de 1990, les démographes et les médecins, avec le soutien sans réserves de médias et d'institutions financés par le régime, présentèrent quelques "propositions juridiques très intéressantes relatives aux femmes". Malgré le manque de fondement réaliste de ces fausses promesses, il serait intéressant de signaler quelques-uns de ces "projets" pour leur cynisme et leur dévalorisation des femmes.

Projets consacrés aux épouses et aux mères

En février 1990, un médecin, Ivan Knajter, qui se disait également expert en démographie, proposa des "innovations juridiques destinées à aider à la réaffirmation de la famille". Il projetait de faire payer un impôt aux hommes et aux femmes célibataires ou divorcés, âgés de plus de trente ans. Selon ses explications, l'impôt représenterait dix pour cent du salaire des récalcitrants. Le but de cette entreprise était de "prévenir la baisse désastreuse de la natalité en Serbie" ; on ne voit pas très bien en quoi il serait si important que les enfants soient issus d'un mariage ou qu'ils naissent hors mariage. Selon le soi-disant expert, "les personnes qui refusent d'accepter volontairement le devoir du mariage devrait être y être contraintes". Cette idée n'était jamais venue même à Staline! C'est à son époque que fut lancée l'image de la "femme-héroïne de la maternité, sous la moustache bienveillante de l'oncle Joseph". Hitler demandait aux femmes allemandes de mettre leur corps à la disposition du renouvellement de la race aryenne. Et tous les deux se considéraient comme des pères collectifs, soit de la classe ouvrière, soit de la nation.

Soucieux de lever les doutes sur son propre "pedigree politico-moral", et face à la nécessité de faire un choix entre les pères collectifs de la nation possibles en Serbie (le président de la république, le chef de l'église ou le chef d'état-major de l'armée), Knajter voulut avant tout se concilier les femmes. Selon lui, "une fois mariée, l'épouse serait considérée comme employée, et bénéficierait de toutes les prestations sociales. Le mariage serait son lieu de travail[1]". Il a juste oublié un détail : qui paierait le salaire? La sécurité sociale, des fonds spéciaux de l'Etat, les syndicats, le mari, un soutien de famille ou peut-être le Père de la Nation? Finalement, pour étayer son projet, il avance un second argument, autre que la "prévention de la baisse désastreuse de la natalité". "Cette proposition créerait de nombreuses opportunités de travail". Bien sûr, des opportunités pour les hommes, qui seraient ultérieurement mobilisés et envoyés au front pour défendre la mère-patrie, alors que, dans le même temps, les femmes donneraient naissance à de la chair à canon. Dans l'Allemagne nazie, c'est le 7 avril 1943 que débuta la "purification des femmes", c'est-à-dire les licenciements massifs de femmes travailleuses. Les pères et les fils des nations, partout dans le monde, sont d'accord avec Hitler quand il dit : "En politique, il faut s'assurer le soutien des femmes, car les hommes les suivent spontanément". Tel n'est malheureusement pas le cas ; en fait, c'est tout à fait le contraire qui prévaut, surtout dans les sociétés militarisées.

Mobilisation des mères - Sauvegarde de la nation contre l'extinction

Cette propagande s'est développée en deux phases, bien qu'elles se soient constamment recoupées. La première phase, qui débuta dès le milieu des années 80, était consacrée à l'élaboration de différents projets visant à l'"élimination de la peste blanche". La seconde phase de la campagne visait à la promotion de la maternité pour des raisons patriotiques, à savoir le renforcement de la sécurité nationale.

Au début de la "première phase", les démographes adoptèrent une approche territoriale, en affirmant qu'en Serbie centrale et orientale ainsi que dans le Vojvodine, la natalité connaissait une baisse alarmante alors qu'elle subissait hausse inquiétante dans le Kosovo. Les démographes n'avaient pas encore introduit le critère ethnique à ce moment là. Le déséquilibre du développement démographique était plutôt expliqué soit par des facteurs économiques soit par des transformations dans le système de valeurs. Pour y remédier, des mesures essentiellement administratives furent proposées, le modèle de la "famille idéale" - trois enfants - fut popularisé, etc.

Le discours démocratique - dans la ligne de l'expansion de l'idéologie nationaliste - prit bientôt une coloration raciste et répressive. De janvier 1990 à ce jour, tous les avant-projets de loi font référence au "principe ethnique". La Résolution sur le Renouvellement de la Population de janvier 1990, ainsi que les amendements de mai 1990, proposent une politique démographique double : pro-nataliste pour la Serbie et le Vojvodine et anti-nataliste pour le Kosovo. Il était immédiatement manifeste que les différences de situations démographiques étaient utilisées, d'une part pour propager la haine nationaliste, et de l'autre, pour mettre en place un autre instrument de séparation patriarcale et de discrimination à l'encontre des femmes sur une base ethnique. Les féministes de Belgrade manifestèrent leur opposition et leur indignation : "Des mesures coercitives de politique démographique sont appliquées dans des pays où les droits humains sont violés quotidiennement, où l'Etat encourage délibérément l'intolérance ethnique et raciale. L'introduction de gestions coercitives dans le réseau déjà inadéquat des services de gynécologie du Kosovo est inacceptable, car le droit aux services de santé est une question de civilisation et non une question idéologique. Ces mesures répressives ne produisent pas les résultats 'désirés', et ne peuvent non plus servir de substituts aux transformations dans les domaines économique, social et de l'éducation. Si les femmes jouissaient réellement de la possibilité du droit de choisir, le problème démographique n'existerait pas. Au lieu des mesures administratives de la politique de population, les différences de développement démographique devraient stimuler la mise en place de conditions où les femmes seraient en mesure de conquérir leurs droits de la reproduction[2]".

Les documents officiels commencèrent à se multiplier - par exemple, la Résolution sur le Renouvellement de la Population - et parmi ceux-ci, "The Warning" (L'avertissement) mériterait d'être signalé pour son caractère raciste et néo-malthusien. Neuf institutions nationales "significatives" travaillèrent à l'élaboration de ce document. Le parti au pouvoir, le Parti socialiste de Serbie, en fit un des trois documents officiels de son congrès. "The Warning" met directement l'accent sur la "menace" que les populations minoritaires constituent pour la majorité, car "les Albanais, les Musulmans et les Gitans, en raison de leurs taux de natalité plus élevés, s'écartent des taux de reproduction nationaux, humainement acceptables, [ils] menacent donc les droits des autres peuples[3]". En d'autres termes, les femmes des nations citées ci-dessus (et non les hommes, car ils ne portent toujours pas d'enfants!) participent à la "conspiration générale contre le peuple serbe" ; elles mettent au monde des enfants pour des raisons séparatistes, fondamentalistes, et donc les femmes serbes devraient porter des enfants pour des raisons patriotiques et morales : "Il faudrait mobiliser la volonté de mettre au monde des enfants[4]".

Les partis nouvellement constitués se sont joints aux appels des démographes, des médecins et des institutions étatiques en vue d'une mobilisation pour la maternité. Dans leurs relations avec les femmes, presque tous les partis ont raté le test de la démocratie ; leurs idées sont imprégnées de langage militariste. Ainsi, le programme de l'Association de tous les Serbes du Monde a publié, avant les premières élections pluripartites, la déclaration suivante : "Dans ces temps difficiles pour notre Etat, ne pas avoir d'enfants, en tant que comportement national, sera considéré comme une trahison". Dans la même veine, le Renouveau Populaire Serbe suggérait la création d'un fonds destiné aux femmes serbes ayant quatre enfants ou plus. Dans le style de tous les verbiages nationalistes moralisateurs, Mirko Jovic, dirigeant du parti, déclarait également : "Mettre sur un même pied d'égalité les enfants illégitimes et ceux issus d'un mariage constitue une forme de guerre spéciale livrée contre le peuple serbe". Les nationalistes aiment parler d'honnêteté, de retour aux sources et d'idylle médiévale ; ainsi, le programme de 1990 du Mouvement du Renouveau Serbe stipule qu'un des objectifs de sa politique est "la restauration de la famille, le retour aux coutumes, la garantie de conditions pour une vie honnête. Le Mouvement du Renouveau Serbe mettra ses capacités au service du renouveau de la personnalité serbe, et luttera pour l'épanouissement de ces vertus de l'homme serbe qui feront bientôt partie du code moral serbe". C'est dans les termes suivants que les féministes répondirent aux politiciens serbes inquiets de l'extinction de la nation : "Nous suggérons à tous les gardiens de la moralité serbe d'étudier le principe de la procréation par parthénogénèse (conception sans péché) et de faire des clones pour engendrer d'innombrables copies de Serbes. Nous suggérons également le financement de ce génie génétique par des coopératives. On peut supposer que les jeunes foetus serbes seront immédiatement baptisés, puis incités et formés à la haine et à la guerre contre les nombreux ennemis du peuple serbe[5]".

Condamnations morales : caractère profondément misogyne de la propagande

Généralement, cette propagande est imprégnée de fortes condamnations morales et de haine à l'encontre des femmes. "The Warning" accuse les femmes de ne pas avoir d'enfants par "conformisme et égoïsme". Dans une de ses déclarations pathétiques sur la "mort biologique, la gangrène, la tragédie", Marko Mladenovic, un démographe officiel, révèle le désir séculaire des hommes d'usurper la capacité procréatrice des femmes : "Notre homme n'a pas d'enfants parce que son bonheur, c'est avoir du bon temps, posséder une voiture, une maison de vacances. C'est de l'égoïsme[6]". Ce militariste enragé associe les berceaux et les fusils : "Comment sauver la Serbie! Dans 15 ou 20 ans, il n'y aura plus personne pour travailler, mettre des enfants au monde et faire la guerre[7]".

L'Eglise s'est jointe avec enthousiasme à la propagation de ce qu'en 1940, Virginia Wolf appelait cette "plaie émotionnelle qu'est le fascisme". Selon l'Église : "Ceux qui s'intéressent aux plaisirs, aux divertissements, aux vacances d'été ou au meubles sont plus nombreux que ceux qui s'intéressent à faire des enfants[8]". Ou encore, "Aujourd'hui, beaucoup de femmes serbes tuent leurs enfants en avortant. Les féministes sont favorables au meurtre des enfants avant leur naissance. Elles n'ont heureusement rien à voir avec l'existence du peuple serbe[9]". Certains sont particulièrement furieux car, en dépit de tous les obstacles, il existe toujours des connections entre les féministes de Belgrade et celles de Zagreb, ces dernières étant la cible d'accusations "graves" : ces féministes de Serbie sont très liées aux féministes de Zagreb, qui "prônent l'extinction du peuple serbe[10]".

Outre la haine et la condamnation, l'Église envisage également des sanctions naturelles à l'encontre des femmes qui ne mettent pas d'enfants au monde : "Les femmes qui procréent ont rarement le cancer. Et plus elles ont d'enfants, plus elles sont immunisées contre cette horrible maladie. Les risques de cancer, surtout le cancer du sein, sont 40% plus élevés chez les femmes célibataires et celles qui empêchent la procréation que chez les femmes qui ont des enfants[11].

Mobilisation patriotique

Dans son "discours historique" prononcé à Kosovo Polje, en juin 1989, le Père de la Nation (incarné cette fois par le président de la république), Slobodan Milosevic, déclarait : "Si nous ne sommes pas bons pour le travail, nous sommes excellents pour le combat". Ce fut le commencement des véritables préparatifs pour la guerre. Il avait choisi le bon endroit - "le berceau du peuple serbe" -, mais aussi le lieu de la grande défaite collective. L'honneur offensé de la mère patrie sera vengé par des raids militaires, car "nous ne devons pas oublier qu'autrefois, nous étions une armée, grande, brave et fière. Aujourd'hui, six siècles plus tard, nous combattons à nouveau et d'autres combats sont à venir". C'est au même endroit, après la bataille du Kosovo, qu'est né le culte de la mère Jugovic héroïque, celle qui offre ses enfants à la mort. Les trompettes de la guerre résonnent à travers le pays, tandis que les nationalistes exigent que les maternités deviennent des centres de recrutement : "Pour chaque soldat serbe tombé en Slovénie, les mères serbes doivent mettre au monde cent nouveaux soldats[12]".

Il ne suffit plus de mettre des enfants au monde pour empêcher l'extinction de la nation, mais il faut à présent des fils pour défendre la patrie et pour combattre les "peuples ennemis". En liant la procréation à la guerre, les démographes nationalistes calculent avec précision l'avancée de l'ennemi : "Les derniers Serbes se défendront retranchés dans la forteresse de Kalemegdan, en 2091. Mais cette dernière bataille peut également avoir lieu plus tôt, compte tenu des pronostics pessimistes[13]". Par la suite, ce même mathématicien "démographe" en est arrivé à des calculs encore plus précis, rehaussés d'une pointe évidente de racisme : "Dans les Balkans, il y a des nations qui se multiplient comme des lapins, avec des familles de 10 à 15 enfants. Dans cinquante ans, ils atteindront Belgrade[14]". La ressemblance avec l'Allemagne nazie n'est pas une coïncidence : "Il faut faire en sorte que chaque femme allemande puisse avoir autant d'enfants qu'elle le souhaite, car, autrement, dans 20 ans, le troisième Reich n'aura plus les divisions nécessaires pour la survie de notre peuple[15]".

La logique raciste et militariste selon laquelle "nous devons les surpasser en nombre", prévaut également dans le Montenegro : "La population orthodoxe de l'Est vit dans les municipalités où le taux de natalité est faible, tandis que là où il y a une majorité d'Albanais et de Musulmans, le taux de natalité est élevé. La question du taux de natalité est d'autant plus importante que le Montenegro a pour voisins trois Etats dont les intentions sont suspectes[16]".

Cette propagande ne se limite pas aux médias. Des institutions, généreusement soutenues par l'Etat, et qui n'ont rien d'autre à proposer que des mesures répressives, continuent de surgir tous les jours, (conseils, bureaux, commissions, comités pour le renouvellement de la population). Certaines institutions, comme le Fonds pour la protection des mères et des enfants (fondé à Belgrade en janvier 1993) insistent surtout sur la contribution financière des membres, c'est-à-dire sur le versement de cotisations comme meilleur moyen de "supprimer la peste blanche". Ce qui fait penser que grâce à ces fonds "le peuple serbe tout entier s'armera pour qu'enfin, tous les Serbes vivent dans le même Etat[17]".

Certaines autres ont un point de vue plus "moderne" et considèrent le problème en termes de lois du marché : "Mettre des enfants au monde est comme toute autre industrie : la quantité de la production est proportionnelle au montant des investissements[18]". Puisque selon cet "éminent" expert, la femme est un corps dont on a la propriété, c'est l'homme qui est propriétaire du ventre et des enfants. Dans sa misogynie, il oublie les lois auxquelles il se réfère : "Bien que la grossesse résulte du rapport sexuel entre la femme et l'homme, pour suivre la logique capitaliste, on peut dire qu'au moment de la conception, le foetus appartient à 50% à la femme et à 50% à l'homme, mais en cours de grossesse, les investissements de l'homme diminuent, car tout le capital investi est la propriété de la femme[19]".

Cette attitude misogyne de la majeure partie des démographes, des médecins et des politiciens leur fait même oublier la position officielle du régime, selon laquelle : "les sanctions injustes sont responsables de tout" : "La pauvreté et les sanctions injustes ne sont pas responsables. Nous étions plus pauvres qu'à présent, mais nos prédécesseurs avaient quand même 7 ou 8 enfants[20]".

Un collègue de ce démographe qui disposait de beaucoup d'espace dans les médias officiels, écrivait : "Les sanctions et la guerre ne peuvent pas servir d'excuse. Auparavant, la naissance et le mariage étaient les actes les plus sacrés pour toutes les femmes. Actuellement, les mères conseillent à leurs filles de ne pas se marier, de ne pas avoir d'enfants, d'être égoïstes. Durant notre 35ème Semaine de la Gynécologie, nous avons établi que les femmes n'ont pas d'enfants par égoïsme (85%), par égoïsme masqué (26%) et pour de véritables raisons économiques (seulement 8%)[21]".

Mais c'en était trop pour le Président de la république, qui les désavoua en leur rappelant que dans leur hystérie nationale et misogyne, ils ne devaient pas oublier le fait que "les sanctions sont en train de tuer nos bébés à venir[22]". Etant donné que, dans les sociétés militaristes, on a toujours présumé que "la maternité était la contrepartie de la guerre, ou que la guerre était le complément symétrique de la maternité" (E. Badinter), on a accompagné tout cela d'un langage et de rituels appropriés. Nicole Laroux montre, par l'exemple de Sparte, comment "l'accouchement est associé à la guerre, le fantassin à la femme en travail. Le mot ponos, qui signifie "douleur" est utilisé tant pour le jeune homme qui s'entraîne à fortifier son corps que pour la femme en proie aux douleurs de l'accouchement. La maternité est perçue comme étant comparable à un combat[23]".

Dans l'Allemagne nazie, on décernait des médailles aux "bonnes mères fertiles" qui avaient mis au monde et élevé des guerriers. En Serbie, à Kosovo Polje, depuis juin 1993, l'Eglise décerne des médailles aux soldats et aux mères ayant quatre enfants ou plus : "Nous avons créé la décoration de la mère Jugovic afin d'encourager notre peuple à avoir plus d'enfants". L'an passé, 16 médailles d'or et 14 médailles d'argent ont été décernées. N'étant pas satisfaite des "résultats", l'Eglise a averti : "Autrefois, les mères pouvaient envoyer jusqu'à neuf fils à l'armée de l'empereur pour combattre pour la liberté de leur pays et de leur foi orthodoxe. Nous avons encore de telles mères, aujourd'hui, mais en très petit nombre[24]". Depuis juin 1994, "seulement" 27 médailles ont été attribuées. Les femmes serbes ont de moins en moins d'enfants, et les hommes serbes sont de moins en moins disposés à aller à la guerre.

[1] "Borba", "Politika", mars 1990.

[2] Lettre ouverte au public, de la deuxième session du parlement des femmes, juin 1991.

[3] "The Warning", 30 juin 1992, p. 2.

[4] Ibid, pp. 5 et 2.

[5] The Belgrade Women's Lobby, octobre 1990.

[6] "Politika", 5 mars 1993.

[7] Ibid.

[8] "Borba", 30 juin 1993. Déclaration faite par Artemije, épiscope de Rasa et Prizren.

[9] "Politika", 27 mars 1993. Déclaration faite par Vasilije, évêque orthodoxe de Zvornik et de Tuzla.

[10] Adasevic, au cours de l'émission de Radio-Belgrade II Channel intitulée "Réservé à ...", avril 1994.

[11] "Puisse Dieu aider les Serbes à s'unir, croire en Dieu et se multiplier", message de l'évêque Nikolaj, affiché dans les rues de Belgrade, octobre 1992.

[12] Rada Trajkovic, président de l'association "Patrie", juillet 1991.

[13] M. Mladenovic, "Politika", 5 mars 1993.

[14] M. Mladenovic, au cours de l'émission de Radio-Belgrade "Réservé à ...", avril 1994.

[15] Rita Thalmaun, "Etre femme sous le IIIème Reich", p. 137.

[16] "Politika", 20 juillet 1993. Déclaration faite par Radovan Bakovic, professeur à la Faculté de philosophie de Niksic.

[17] "Vreme", 31 mai 1993.

[18] M. Mladenovic, au cours de l'émission de Radio-Belgrade "Réservé à ...", avril 1994.

[19] Frances Kissling, "Yo aborto, tu abortas, todos callamos", journal féministe "Voz de la mujer", Mexico, mai 1990, N°4, p. 24.

[20] Radmilo Jovanoc, médecin, in "Politika", 10 mai 1994.

[21] S. Adasevic, au cours de l'émission de Radio-Belgrade II Channel intitulée "Réservé à ...", avril 1994.

[22] S. Milosevic, dans le texte de l'abolition de Danica Draskovic et de Vuk Draskovic, juillet 1993.

[23] Nicole Laroux, "Le lit et la guerre", in la revue "L'homme", janvier/mars 1981, XXXI.

[24] "Borba", 30 juin 1993, Déclaration faite par Artemije, épiscope de Rasa et Prizren.