Mauritanie: Déclaration de soutien à Aminettou Mint el Moctar

Source: 
http://www.wluml.org/media/statement-support-aminettou-mint-el-moctar

La Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO) organisait, le 31 décembre 2014, une Conférence de presse pour rendre compte de la situation des Droits humains en Mauritanie, suite à l'arrestation et à la détention arbitraires de Biram Dah Abeid, Président de l'Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA) et de huit (8) autres défenseurs des droits humains. La conférence a eu lieu en présence de deux membres du mouvement. Fatou Sow, Directrice internationale et Codou Bop, membre du Bureau de WLUML ont participé à la conférence pour dénoncer la fatwa qui pèse sur Aminettou Mint El-Moctar, présidente de l’Association des Femmes chefs de famille.

English version here

C'est un véritable arrêt de mort qui était émis, en juin dernier, à l'encontre de Madame Aminettou Mint El Moctar, présidente de l'Association Femmes chefs de famille (AFCF), à Nouakchott. Il ne s'agissait pas d'un acte de la justice mauritanienne, mais d'une fatwa prononcée par Yadhih Ould Dahi, le chef d'un courant islamiste radical, Ahbab Errassoul. Cette fatwa était relayée dans plusieurs mosquées du pays et dans les media, ce qui lui valut de violentes menaces de personnes très ordinaires. Les autorités judiciaires refusaient de recevoir la plainte qu'elle tentait de déposer contre le chef religieux. Pourtant la pression reste très forte.

Pourquoi tant d'animosité, voire de haine? Aminettou Mint El Moctar avait eu l'audace, dans la République islamique de Mauritanie, de s'associer à un groupe de défense de Cheikh Ould Mohamed Mkheitir condamné à mort pour ses blogs jugés blasphématoires sur le Prophète et l'islam. En effet, le jeune homme reprochait à la société mauritanienne de maintenir «un ordre social inique hérité de l'époque [du prophète]» et la «marginalisation, au nom de l'islam,» de castes comme les forgerons, les griots et les esclaves. On sait que si l'esclavage est aboli, depuis 1980, la question est loin d'être résolue.

La fatwa appelle au meurtre lancé par Yadhih Ould Dahi, quand elle déclare: «Cette malveillante [Aminettou Mint El Moctar] qui défend Mkheitir et dit qu'il est détenu d'opinion et qui a demandé sa libération et qu'on lui rende son épouse, celle qui décrit le groupe des amis de prophète comme des Boko Haram et des Takfiri car ils n'ont fait que demander de l'équité pour le prophète et le respect de son honneur, qu'elle soit damnée par Allah, les anges et les gens réunis. Aujourd'hui j'annonce avec la bénédiction d'Allah son apostasie pour avoir minimisé les atteintes à l'honneur du prophète. C'est une infidèle dont le sang et le bien sont licites. Quiconque la tue ou lui arrache les deux yeux sera rétribué chez Allah». Outre la violence du propos, ce qui inquiète, c'est la capacité et la liberté détenues par un seul individu ou des groupes, quel que soit leur statut, d'être en position de lancer une telle sentence, sans que les autorités politiques et administratives ne s'en alarment. Elles gardent un silence complice.

Cette pouvoir d'exaction de Yadhih Ould Dahi est fondé sur la pénalisation du blasphème et de l'apostasie, dans le droit mauritanien. Le blasphème est considéré comme toute parole portant outrage à la religion et a fait partie de nombreuses législations dans le monde. Même s'il est progressivement banni, la question reste centrée autour de la notion de «diffamation des religions» votée de justesse, lors de l'Assemblée générale des Nations Unies, en 2010. Pour beaucoup de pays musulmans, c'est une manière de lutter contre l'islamophobie. L'apostasie, dont Mkheitir est accusé, fait l'objet d'article du code pénal mauritanien (1983). L'article dispose 306 que: «Tout musulman coupable du crime d'apostasie, soit par parole, soit par action de façon apparente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de trois jours. S'il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu'apostat, et ses biens seront confisqués au profit du Trésor. S'il se repent avant l'exécution de cette sentence, le parquet saisira la Cour suprême, à l'effet de sa réhabilitation dans tous ses droits, sans préjudice d'une peine correctionnelle prévue au 1er paragraphe du présent article».

Ces questions sont au cœur d'importants enjeux idéologiques et de choix politiques dans nos sociétés contemporaines qui nous interpellent à plusieurs niveaux. Si l'on peut revendiquer la liberté religieuse, elle doit pouvoir être associée à la liberté d'expression. Ce que Madame Aminettou Mint El Moctar dénonce, c'est la manipulation de la religion à des fins politiques qui entraînent bien des dérives.

Le réseau international de solidarité, Women Living Under Muslim Laws, lui apporte tout son soutien dans cette lutte et exige des autorités politiques et administratives d'assurer sa protection physique et morale. Il exige aussi la libération de Mkheitir, dont la liberté d'opinion est sacrifiée au nom de la morale d'Etat.

Fatou Sow, 31.12.14