Dossier 11-12-13: Politique d’inscription sexiste au Soudan

Date: 
juin 1996
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La situation de l’éducation varie d’une société à l’autre selon les systèmes politiques, économiques, sociaux et culturels et les relations qui existent dans cette société. Le présent article donne un aperçu de la situation de l’éducation au Soudan. Le Soudan est un des pays sous-développés influencés par la culture arabo-islamique, spécialement dans les régions du Nord. Dans un de ses derniers numéros, Al-Midan, un quotidien de Khartoum, la capitale du Soudan, a publié des interviews d’un certain nombre de personnes ayant des points de vue politiques et idéologiques différents, sur la question de l’accès des femmes à l’enseignement supérieur au Soudan. Nous espérons susciter ainsi un débat actif sur les différentes formes que prend ce problème dans d’autres endroits.

Une politique, ou une tendance générale, semble se dégager dans nos institutions d’enseignement supérieur, à savoir, la réduction lente et progressive des chances des étudiantes à accéder à l’Université et aux instituts universitaires sous différents prétextes. Si nous gardons le silence, nous contribuerons à perpétuer le statut actuel des femmes soudanaises, et même à les ramener à une situation qu’elles ont surmontée depuis les années soixante.

Introduction

Au cours des récentes années, on a commencé à remarquer que les étudiantes avaient de meilleurs résultats aux examens d’entrée soudanais. Ces derniers temps, certains commencent à être irrités par cet état de fait, comme le reconnaît le ministre de l’Education du gouvernement de transition. Cependant, on n’en est pas resté là ; en effet, certains collèges et facultés de sciences sont réservés exclusivement aux étudiants, tels que le département de génie civil section géomètres de l’université de Khartoum, le département des techniciens géomètres de l’institut polytechnique, le collège de génie mécanique à Atbara, le collège d’agronomie et de ressources naturelles à Aby Hraz, le collège d’agronomie à Aby Naama et le collège du Saint Coran. L’entrée à ces institutions a été exclusivement réservé aux hommes, pratique dictée par la politique d’incription.

Certains collèges ont réduit le nombre d’étudiantes admises dans leurs facultés en exigeant des filles des notes plus élevées. Ainsi, le collège de médecine vétérinaire de Koko a admis 39 étudiants contre 4 étudiantes. L’institut d’agronomie de Shambat a fixé un total de 343 points pour admettre les garçons contre 368 points pour admettre les filles. En conséquence, l’institut a admis 106 étudiants mais seulement 22 étudiantes.

L’institut des techniciens du secrétariat a fixé la note d’admission à 357 points pour les étudiants et à 368 points pour les étudiantes et 28 étudiants y ont donc été admis contre 26 étudiantes. L’institut supérieur d’éducation physique a fixé une note d’admission de 351 points pour les étudiants et de 345 points pour les étudiantes ; 51 étudiants ont donc été admis contre seulement 22 étudiantes.

Pas de lois restreignant l’admission des femmes

Cette discrimination flagrante entre les étudiants est-elle fondée sur des lois ou des projets de loi récemment promulgués? Un responsable du bureau d’inscription de l’université et de l’enseignement supérieur a nié l’existence de toute discrimination sexiste concernant l’admission à ces institutions. Il a en outre affirmé que le nombre d’étudiantes admises dans les universités et autres instituts d’enseignement supérieur était chaque année en progression régulière. Le pourcentage de filles admises dans l’enseignement supérieur est passé, selon lui, de 11% en 1990 à 39% actuellement. Dans certains collèges de l’université de Khartoum, le pourcentage d’étudiantes s’élève même à 50%.

Il a ajouté que le pourcentage d’étudiantes admises à l’université de Khartoum était de 41,4% alors que dans certains pays industrialisés, ce pourcentage ne dépassait pas 40%. Il a également déclaré : “J’aimerais souligner le fait qu’il n’y a ni lois ni projets de loi limitant l’accès des étudiantes à l’université et à d’autres institutions de l’enseignement supérieur. Qui plus est, le service des inscriptions prend ses décisions, non à partir du sexe du candidat, mais en se basant sur les résultats scolaires et la qualification scientifique”.

Selon lui : “Il ne faudrait pas oublier qu’il y a des collèges réservés exclusivement aux filles, comme le collège des infirmières. Il avait d’abord été envisagé d’ouvrir le collège également aux hommes, mais par la suite, on est revenu sur cette décision. Il y a également le collège universitaire d’Al-Ahfad et le collège d’enseignement ménager qui n’accueillent que des étudiantes alors qu’ils étaient auparavant ouverts aux deux sexes. Il y a également un collège réservé exclusivement aux filles à l’université islamique”.

Il a conclu : “Il est vrai que certains collèges sont réservés exclusivement aux garçons, mais c’est sur la recommandation de ces collèges et de ces facultés. Ceci est peut-être dû à la hausse des frais de scolarité dans ces collèges ou au fait que l’on veut que l’éducation soit fonctionnelle. En effet, certaines spécialisations ne conviennent pas aux femmes, et en outre, certains responsables d’entreprises d’Etat ont émis des réserves concernant le nombre croissant de femmes diplômées travaillant dans leurs entreprises. Et ce, pour diverses raisons : elles ne peuvent pas travailler dans des conditions pénibles, elles ont des problèmes à changer de lieu de travail ou à faire du travail de terrain, et elles doivent parfois abandonner leur travail en raison des charges familiales, etc.”

La formation des géomètres et les femmes

Le département géomètres de l’université de Khartoum est une des facultés dont l’accès est interdit aux femmes. Le Dr. Abdullah a déclaré : “C’était là un fait très courant même dans des pays développés tels que la Grande-Bretagne. Nous avons persuadé beaucoup de candidates de s’orienter vers d’autres départements pour leur éviter les difficultés auxquelles elles seraient confrontées”. Il a également déclaré : “tout ceci n’est pas fait pour porter préjudice aux femmes mais les faibles ressources dont nous disposons actuellement doivent être utilisées pour former ceux qui sont plus aptes à endurer les contraintes de cette profession. Cependant, nous sommes entièrement convaincus qu’intellectuellement, les femmes ne sont pas moins éligibles que les hommes”.

L’autre point de vue

Quel est le point de vue de l’étudiante en ingénierie sur ce sujet? A-t-elle des doutes sur ses capacités à endurer les contraintes de l’étude et du travail?

Voici ce qu’en pense Amal Assan Samaarit, diplômée du département de génie électrique qui travaille dans ce même département : “J’ai fait une demande d’inscription à l’université de Khartoum au cours de l’année universitaire 1978-79. J’étais intéressée par la formation de géomètre mais ma demande d’inscription a été refusée parce que je suis une femme et sous prétexte que je ne pourrais pas supporter les contraintes des études et du travail. Telle était la conviction des responsables, non la mienne. En ce qui me concerne, je suis profondément convaincue de ma capacité à faire face à toutes les contraintes. J’ai donc été transférée au département de génie électrique”. Elle ajoute : “Je trouve que la politique d’inscription à ce département est défavorable aux femmes et entrave le développement de leurs capacités”.

Selon une autre étudiante du département de génie civil - section géomètre : “J’ai déjà fait une formation de terrain dans la région de Mount Awlyaa. Il nous fallait travailler toute la journée. Notre équipe étant composée d’étudiants et d’étudiantes, nous avons bien sûr rencontré certaines difficultés mais je n’ai pas eu l’impression de ne pas être à la hauteur. Il faut dépasser le préjugé selon lequel les étudiantes ne peuvent pas supporter les contraintes des études dans certains départements. Le département de génie civil - section géomètres doit être ouvert aux filles si l’on ne veut pas créer un précédent qui ménerait à l’interdiction d’accéder à tous les autres départements dans l’avenir, sous divers prétextes. Le fond du problème, c’est qu’il faut tester les capacités des filles dans la pratique. En outre, les capacités physiques et mentales varient d’une personne à l’autre, sans que le sexe de la personne ne soit en jeu”.

Admission planifiée

En examinant les admissions de l’année dernière à l’institut polytechnique, nous nous sommes rendu compte que la politique adoptée était de restreindre les chances d’accès des étudiantes et de réduire leur nombre d’une façon ou d’une autre. Les conditions requises sont plus strictes pour les filles que pour les garçons.

Mr. Hafdth Mohammed Otheman, secrétaire académique de l’institut, confirme les faits mentionnés ci-dessus. Il déclare que les conditions d’admission sont les même pour les deux sexes mais que l’Institut a une politique définie “d’admission planifiée”. Dans le cadre de cette politique, chaque collège annonce le nombre d’étudiants et d’étudiantes devant être admis pendant l’année concernée, en spécifiant le pourcentage par sexe. A l’école de secrétariat, le pourcentage est toujours de 50% pour les garçons et de 50% pour les filles, alors qu’au département de techniciens vétérinaires, il est fixé à 90% et 10% respectivement.

Nous avons cherché à savoir quelles étaient les raisons de cette politique et depuis quand elle était mise en oeuvre. Le secrétaire académique a déclaré que la procédure adoptée découle d’une politique générale mise en oeuvre par l’institut au temps de Muhi’addin Sabir. Il soutient qu’une telle procédure préserve les chances d’admission des filles. Ainsi, le département de secrétariat était exclusivement ouvert aux filles, puis il a été ouvert aux deux sexes. Il y a eu un afflux de demandes d’inscription émanant de garçons qui empêchent l’accès des filles au département. C’est ainsi que les autorités ont eu l’idée de fixer la parité entre les deux sexes.

Au département des techniciens vétérinaires de Kolo, la part réservée aux filles n’est que de 10%, en raison, dit-il, de la nature du travail dans ce département. Selon lui, le travail exigé dans ce département est dur, les étudiants devant passer plusieurs mois dans des camps en plein air. Les étudiants doivent également être sur le terrain dans des parcs à bétail et des étables où le travail avec les animaux est très dur, tâches que les femmes ne peuvent assumer. C’est pour cela que le pourcentage d’admission des filles a été fixé à 10% et qu’elles ne peuvent être affectées qu’à certains endroits qui leur conviennent tels que les laboratoires de recherche et la production laitière.

Les résidences universitaires sont en cause

Le professeur Hassan Abdul-Noor, doyen de l’institut de sylviculture Soba, dit qu’il n’a pas d’objection à l’admission des filles, quel qu’en soit le nombre, sur la base des résultats de la libre concurrence. L’institut, ajoute-t-il, n’a pas de politique discriminatoire. Cependant, ce qui bloque l’admission des étudiantes, c’est le problème de leur hébergement dans le voisinage de l’institut. Il a souligné que l’institut avait obtenu un prêt pour construire des résidences pour les étudiants et les étudiantes. A l’achèvement de ces résidences, les étudiantes pourront être admises inconditionnellement. Le doyen déclare qu’il s’apprête à organiser une conférence des agronomes fin janvier. Les experts en agriculture seront invités à élaborer des programmes d’enseignement qui prennent en compte l’intérêt des zones rurales. A la lumière des recommandations qui seront adoptées lors de la conférence, les besoins du secteur agricole en personnel des deux sexes seront déterminés.

Selon le doyen du collège d’agronomie Abu Hraz, le service des inscriptions du collège n’accepte pas d’étudiantes parce qu’on estime que le site d’Abu Ghazar et d’Abu Naama est dans une zone à risques pour les femmes. Il affirme que l’administration ne s’oppose pas à ce que les étudiantes aient accès à l’institut. Le seul obstacle est le problème de l’hébergement. Les résidences existantes sont conçues pour héberger des garçons exclusivement. Le collège a envisagé de construire des résidences pour les filles mais le projet ne s’est pas matérialisé en raison du manque de ressources.

Nous avons poursuivi nos investigations et pris contact avec d’autres pédagogues et professeurs d’université :

Le Dr. Jalaluddin Taib, département de géographie de la faculté des lettres de l’université de Khartoum nous a déclaré : “Le recrutement en fonction du sexe va à l’encontre des droits humains élémentaires et est un prolongement des préjugés contre les femmes et, dans ses principes, une attitude anormale et inacceptable”.

Toujours selon lui : “A la faculté de géographie, nous dispensons une formation de géomètres au cours de laquelle les étudiantes ont démontré qu’elles ne sont ni moins capables ni moins appliquées que leurs condisciples hommes, en ce qui concerne le travail et les études. Elles font le travail de terrain dans des conditions climatiques inclémentes. Elles vivent dans des zones montagneuses difficiles. Elles font leurs études sous la tente en plein air. L’administration de la faculté n’a jamais eu l’impression que tout ceci avait sapé leur résistance”.

Pour conclure, le Dr. Jalaluddin espére que la politique de l’éducation ne sera pas une politique d’exclusion. Au cours des dernières années, le nombre d’étudiantes a augmenté et leur niveau a dépassé celui de leurs condisciples masculins. Cette année, elles représentaient 8 à 10% des étudiants admis à l’université de Khartoum, ce qui implique une diversité d’aptitudes, de tendances et d’attitudes. Il faut donner les chances sur la base des résultats, sans tenir compte du sexe du candidat”.

Meilleurs performances chez les étudiantes

Selon le Dr. Farah Hassan Adam, doyen du collège d’agronomie à l’université de Khartoum : “Des voix se sont élevées depuis des années pour signaler que les filles sont admises à l’université en nombre de plus en plus important. Ces personnes pensent qu’il faut introduire des restrictions et réduire le nombre des étudiantes. Ils estiment qu’on essaie d’atteindre un équilibre alors qu’il faut donner leurs chances à ceux qui ont de meilleurs résultats”.

A propos de l’admission au collège d’agronomie, le Dr. Farah déclare : “Cette année, sur 390 demandes d’inscription, on comptait 200 filles et 190 garçons. Cependant, le collège ne peut recevoir que 141 étudiants. Nous allons donc nous baser sur les résultats pour le recrutement”.

Le Dr. Farah souligne : “Dans certaines facultés de ce collège, le nombre de filles dépasse celui des garçons parce que les filles sont plus travailleuses même dans le travail agricole où elles ont manifesté leur supériorité”.

Le Dr. Farah poursuit : “On ressasse depuis de nombreuses années le thème de la “différenciation des sexes”. Ceci fait partie d’une tendance réactionnaire de plus en plus importante qui prône “l’Islamisation de l’éducation” et qui va sans doute mener à une partition de l’éducation basée sur le sexe”.

Qu’en pense la fédération des femmes?

Il fallait entendre le point de vue d’une organisation nationale qui mène la lutte pour l’égalité entre les sexes. Nous avons interviewé Fatima Qhmad, présidente de la fédération des femmes qui avait ceci à dire : “La fédération des femmes a été la première à porter le flambeau pour l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes, ainsi que pour leur participation à la sphère de la production. La fédération a mené des campagnes en vue de l’égalité des chances dans l’enseignement supérieur, universitaire, technique et professionnel. Il a fallu mener une lutte difficile pour mettre en pratique ces droits qui, même lorsqu’ils sont légalement établis, se heurtent à des barrières et des opinions opposées à l’égalité des sexes et aux droits des femmes. Il est du devoir des femmes instruites de lutter contre ces tendances et de révéler ces cas de discrimination sexiste. En s’appuyant sur la loi, une femme victime de discrimination peut aller en justice pour plaider son cas”.

Toujours selon Fatima : “Le rôle de la Fédération des femmes est d’éduquer les femmes qui n’ont pas confiance en leurs capacités et qui sont influencées par ces idées. Ceci se fait en même temps que l’on démasque la pensée dogmatique et rigide à travers la presse et les autres média. Une nouvelle campagne doit être lancée pour venir à bout de ces idées défavorables aux femmes”.

Conclusion

Nous nous trouvons face à unproblème de discrimination flagrante concernant l’entrée à l’université des filles qui souhaitent recevoir une éducation. La Déclaration universelle des droits de la personne, signée également par le Soudan, s’oppose formellement à la discrimination liée au sexe ou à la religion. Nous savons que le progrès social repose sur les deux sexes. Tous deux sont également doués. Le sexisme est étranger à l’enseignement.

Les premières enseignantes étaient des pionnières en raison de leur dévouement et de leur endurance. Elles avaient pénétré dans des zones rudes et éloignés en brandissant le flambeau du savoir pour accomplir leur mission sacrée de façon désintéressée. Il ne faudrait pas se servir du fait que certaines femmes refusent les affectations pour adopter une attitude de parti pris contre l’éducation des filles et l’égalités des chances pour l’emploi. Les hommes comme les femmes soulèvent des objections quand il s’agit de travailler dans des zones éloignées. Ceci n’a rien à voir avec le sexe. C’est plutôt un résultat de la détérioration des conditions de travail dans les provinces où l’on se retrouve généralement confronté à la difficulté de trouver un logement adéquat ainsi qu’à d’autres problèmes de la vie quotidienne. D’où le choix de travailler dans la capitale. L’Etat ne devrait-il pas créer des conditions de travail favorables dans les zones rurales pour être en mesure d’exiger que ses directives en matière d’affectations soient appliquées?

Reproduit de: IUS Magazine for the Democratization and Reform of Education, 1988, pp. 10-13.