Dossier 11-12-13: Des origines du féminisme au début du 20ème siècle en Iran

Publication Author: 
Janet Afary
Date: 
juin 1996
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doss11-12-13/f
number of pages: 
262
“Les femmes perses avaient effectué un grand bond et étaient presque devenues, depuis 1907, les plus progressistes sinon les plus radicales au monde. Qu’une telle déclaration aille à l’encontre des idées du siècle n’y change rien. Tels sont les faits ... Durant les années cruciales qui ont suivi la révolution réussie mais pacifique de 1906 contre les oppressions et la cruauté du Shah Muzaffarn’d-Din, une lumière fébrile et parfois violente a brillé dans le regard voilé des Persanes, et dans leur lutte pour la liberté et pour ses expressions modernes, elle a brillé à travers certaines des coutumes les plus sacrées qui, pendant des siècles, ont assujetti leur sexe sur la Terre d’Iran”.

Morgan Shuster, 1912.

La première décennie du 20ème siècle est souvent associée à la naissance du mouvement socialiste des femmes aux Etats-Unis et en Europe. Aux Etats-Unis, on fait remonter les origines de la Journée internationale des femmes (International Working Women’s Day) à la grève des employés de l’industrie du vêtement de New York, en 1908. En Allemagne, Clara Zetkin dirigea l’organisation féminine de masse du German Social Democracy (SPD), organisation à laquelle, Rosa Luxemburg contribua de façon significative. En Russie, après la Révolution de 1905, émergea un important mouvement des femmes socialistes, au sein duquel Alexandra Kollontai joua un rôle de premier plan.

Cependant, si on examine, au cours de la même décennie, ce qui se passe dans certaines parties de l’Amérique Latine, de l’Afrique et de l’Asie, on se rend compte de la participation croissante des femmes à un certain nombre de soulèvements nationaux et sociaux[1]. Nous voyons, surtout au Japon, en Chine et en Iran, que les femmes non seulement jouent un rôle spécifique dans les mouvements sociaux de cette période, mais encore expriment des revendications spécifiquement féministes et socialistes au fur et à mesure de l’avancée du mouvement. Au Japon, après la guerre russo-japonaise de 1904, qui se termina par la défaite de la Russie et mena à la Révolution russe de 1905, les femmes socialistes participant au mouvement pacifiste japonais se firent de plus en plus entendre en tant que féministes. Fukuda Hideko, une veuve mère de trois enfants, fonda l’organisation socialiste féministe Women of the World, entre les années 1907-1909, organisation qui lutta contre la polygamie, la prostitution et l’exclusion des femmes de la politique[2]. En Chine, Qiu Jin, fervente nationaliste, introduisit les questions féministes dans le mouvement. Dans un essai émouvant, écrit à l’automne de 1904, elle insista sur le fait que “nous, les deux cent millions de femmes de Chine, sommes les objets les moins bien traités de la terre”. Elle parla des pères qui, à la naissance d’une fille, la maudissaient par ces paroles “Oh, quel jour funeste! Voici une autre créature inutile”. De même, elle se plaignit amèrement de la tradition alors en cours du bandage des pieds qui torturait les filles pendant de longues années. Qiu Jin rejoignit les groupes nationalistes de Sun Yat Sen et fut ultérieurement exécutée après l’échec d’une insurrection à laquelle elle participait[3].

En Iran, il y eut l’émergence, durant la Révolution constitutionnelle de 1906-1911, d’un nouveau mouvement radical des femmes, formé de conseils semi-clandestins de femmes, appelés anjuman des femmes. L’histoire des anjuman des femmes a d’abord été rendu publique par Morgan Shuster, jeune conseiller financier américain auprès du nouveau gouvernement, dans son livre “The Strangling of Persia” (l’Etranglement de la Perse, 1912). Shuster qui à plusieurs occasions durant son séjour, avait reçu l’assistance de ces conseils de femmes, a parlé de la contribution de ces anjuman à la cause révolutionnaire avec beaucoup d’admiration. En effet, il écrit : “Que dirons-nous des femmes voilées du Proche-Orient qui, du jour au lendemain, deviennent enseignantes, journalistes, fondent des clubs féminins et débattent de sujets politiques?” IL a également décrit, brièvement, mais avec des détails précis, la marche de plusieurs centaines de femmes armées sur le parlement durant les derniers jours de la révolution[4].

Il a fallu attendre 60 années et la naissance du Mouvement de libération des femmes pour que, grâce à trois études biographiques publiées en Iran, de nouvelles informations sur les dirigeantes de ce premier mouvement soient disponibles[5]. C’est cependant la révolution iranienne de 1978-79 qui a donné une résonnance contemporaine à l’histoire presque oubliée des anjuman de femmes, ainsi qu’à la nécessité urgente de rappeler les racines autochtones du féminisme iranien. Une fois de plus, une nouvelle forme de démocratie à la base avait surgi spontanément à travers le pays, de même que de nombreuses anjuman et d’autres associations de femmes[6]. Les Manifestations historiques du 8-12 mars 1979, regroupant jusqu’à 100.000 femmes, furent un défi tant à Khomeini, qui lança son appel pour revoiler les femmes, qu’à Bani-Sadr, le président éduqué dans les écoles françaises, qui soutenait les directives de Khomeini. Les féministes eurent également à affronter beaucoup de partisans de la gauche qui s’opposaient au mouvement des femmes ou le minimisaient sous le prétexte que le féminisme était un “phénomène occidental”, et non un mouvement autochtone, que c’était un mouvement “bourgeois” et donc faisant donc “diversion” dans la lutte de la nation contre le Shah et ses partisans occidentaux[7]. Le récit de Shuster fut remis à l’ordre du jour par le mouvement des jeunes iraniennes qui initièrent la recherche, dans les poubelles de l’histoire, sur les origines du féminisme dans la littérature et la politique.

En 1978, l’essai de Mangol Bayat-Philipp, “Women and Revolution in Iran, 1905-1911” examinait, entre autres, les débats menés en 1911 au Parlement par les constitutionnalistes, tous des hommes, sur le suffrage des femmes. Human Natiq, dans “Nigahi bi Barkhi va Mabarizati-i-Zanan dar Dura-i-mashrutiyat” (Aperçu sur quelques écrits et luttes des femmes durant la période constitutionnelle), dénicha les écrits de Bibi Khanum, activiste de la fin du 19ème siècle et de Taj al-Saltanah, la princesse Qajar qui avait participé aux anjuman de femmes. “Iranian Women in the Constitutional Revolution” (1982), de Abdul Husayn, qui fut réimprimé par les jeunes féministes iraniennes en Allemagne, se concentrait sur l’histoire des activités révolutionnaires des femmes à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle[8].

Le présent essai, qui fait partie d’un travail en cours sur les origines du mouvement des femmes en Iran, au début du 20ème siècle, examine cette période sous deux angles intéressants. Tout d’abord, il se fonde sur une masse de documents récemment découverts, dont des lettres, des articles et des reportages par des femmes ou sur les femmes tirés de journaux de la période constitutionnelle, ainsi que des rapports diplomatiques britanniques, des récits de voyages européens et américains, et d’autres sources secondaires en persan, français et anglais. Deuxièmement, en suivant la méthodologie Hegelienne-Marxienne, il tente de situer la dialectique du mouvement des femmes dans le cadre historique, sur les plans national et international. Nous faisons porter notre attention non seulement sur les actions des femmes, mais aussi sur le développement de leurs pensées, au moment où elles se trouvent confrontées à de nouvelles contradictions, qu’elles tentent de les transcender et qu’elles parviennent ainsi à une nouvelle prise de conscience du champ de leurs revendications, des obstacles à surmonter, et du défi à relever pour établir un nouveau type de relations humaines. Ainsi, nous en venons à voir les femmes non seulement comme des activistes et des partisans du mouvement, mais aussi comme des penseurs critiques qui, souvent, s’opposaient aux hommes qui dirigeaient la Révolution constitutionnelle sur des questions sociales et politiques. Les femmes soutenaient le nouveau parlement mais critiquaient également l’inaction des délégués. Sans support institutionnel, elles créèrent un réseau d’associaltions, d’écoles de filles, d’hôpitaux, et elles participèrent activement aux débats politiques dans le pays. A certaines occasions, elles s’opposèrent à l’aile conservatrice des ulama (religieux) ainsi qu’aux délégués au parlement. Les femmes d’Azerbaijan prirent les armes et participèrent au mouvement de résistance durant la guerre civil de Tabriz, en 1908-1909. Au cours des années 1909-1911, les femmes affiliées à la très influente tendance sociale démocrate soulevèrent plusieurs questions qui sont aujourd’hui considérées comme des revendications féministes, telles que la facilité avec laquelle les hommes divorcent et la polygamie. Nous examinerons également certaines des activités des hommes qui soutenaient le mouvement des femmes, à savoir des journalistes, et des délégués au parlement, dont le soutien individuel, bien que jamais encouragé par le gouvernement constitutionnel, a fait toute la différence. Le rôle de ces premiers partisans du mouvement des femmes devient crucial, surtout par rapport au faible soutien que les femmes ont reçu de la part des hommes durant la Révolution de 1978-79.

Le 5 août 1906, une coalition d’intellectuels, de commerçants, de membres de l’Ulama et d’artisans, par une série de grèves et de sits-ins, obligea le Shah Musaffar al-Din à signer une proclamation royale, qui donnait à la nation le droit à former un Majlis (parlement), qui ouvrit ses portes le 7 octobre 1907, et à une Constitution, qui fut ratifiée le 30 décembre 1906. Les Lois électorales de septembre 1906 avaient accordé un droit de suffrage à la noblesse, aux religieux, aux propriétaires terriens, aux commerçants et aux corporations des classes moyennes, mais avaient expressément interdit aux femmes toute participation au processus politique, ce qui les mettait au rang des “meurtriers, des voleurs et des criminels”, qui en étaient également exclus[9].

La direction élitiste du Mouvement constitutionnel s’attribuait le mérite de s’être engagé dans la voie d’une démocratie de type européen. Cependant, c’est dans les conseils à la base, appelés anjuman, qui s’étaient formés spontanément à travers le pays[10], que l’on retrouvait l’expression la plus significative et la plus directe de la démocratie. Le mot anjuman était un mot de vieux persan utilisé par le poète Fardusi dans son épopée Shahnamah, pour faire référence à un lieu de rencontre pour des consultations. Juste après la période pré-révolutionnaire de 1905, quelques anjuman clandestins avaient vu le jour. Cependant, ils constituaient essentiellement de petits groupes d’études formés d’intellectuels qui se consacraient à la critique du régime absolutiste[11]. Par contre, les anjuman post-révolutionnaires étaient des organisations de masse, ouvertes et actives qui devinrent bientôt des organes de démocratie directe. Les Lois électorales prévoyaient la constitution d’anjuman dans les villes pour superviser les élections locales[12]. Mais les anjuman dépassèrent de loin le rôle restreint qui leur avait été assigné. Outre les anjuman provinciaux et départementaux qui supervisaient la collecte des impôts et qui exerçaient leur autorité sur le gouverneur local, il y eut l’éclosion de centaines d’anjuman populaires à travers le pays à la fin de l’automne de 1906 et durant toute l’année 1907. Dans la seule ville de Téhéran, près de 200 anjuman furent constitués[13]. Certains anjuman avaient une base corporative et ethnique, et furent ainsi à l’origine de l’activité syndicale dans le pays. D’autres avaient une orientation sociale et politique marquée, même s’ils ne recevaient aucun soutien officiel[14]. L’anjuman provincial le plus influent était celui de Tabriz, dans la province d’Azerbaijan, qui avait une section très puissante, à Téhéran, avec près de 3000 membres. L’anjuman de Tabriz s’attaqua à toutes les institutions poli-tiques du pays, y compris à l’aile conservatrice du Ulama et et fit figure de contre-gouvernement en Azerbaijan[15]. Cet anjuman parvint bientôt à créer une presse libre, à faire baisser le prix du pain, à fixer le prix d’autres produits de base et à débuter un système d’enseignement laïque.

L’Anjuman de Tabriz jouissait du soutien des anjumans révolutionnaires des Mujahidin. Les Mujahidin (littéralement, combattants de la guerre sainte du Jihad), dont le siège, Firqih Ijtima’iyun Amiyun (Comité des démocrates sociaux), se trouvait dans le Caucase russe, étaient essentiellement des travailleurs immigrés iraniens. A cette époque, en raison du chômage en Iran, il y avait généralement des centaines de milliers de travailleurs iraniens qui passaient des années en Russie, surtout pour beaucoup d’entre eux, dans les champs de pétrole de Baky. La plupart de ces travailleurs s’étaient radicalisés au contact de la première expérience de la Révolution russe de 1905. Le Firqih Ijtima’iyun Amiyun, formé en 1905, gardait des liens étroits tant avec le Parti Himmat social démocrate Musulman (Muslim Social Democratic Himmat Party), qu’avec les Comités de Baky et de Tiflis du Parti social démocrate russe (Russian Social Democratic Party - RSDWP)[16]. Les intellectuels de la social-démocratie devaient devenir très influents durant la Seconde période constitutionnelle de 1909-1911, en contribuant à la formation de l’important Parti démocrate au parlement, et en participant au pouvoir dans le cabinet de 1910.

Finalement, il est important de noter que le phénomène des anjuman ne se limitait pas aux villes. A travers des grèves contre le loyer, les impôts, des sit-ins et des révoltes persistantes, des anjuman de paysans et d’artisans se constituèrent, surtout en Azerbaijan et à Gilan, et exigèrent l’abrogation des régimes fonciers séculaires et semi-féodaux. Ils critiquaient également autant les anjuman des villes que les Majlis pour ne pas avoir fait bénéficier les paysans des droits démocratiques nouvellement acquis. Nous allons examiner à présent les anjuman de femmes qui ont également joué un rôle remarquable dans la transformation de la révolution essentiellement politique de 1906 en début de révolution sociale.

Peu après la constitution du Majlis en octobre 1906, et dans le but de réduire la dépendance de l’Iran vis-à-vis de l’emprunt étranger, il fut proposé de créer une banque nationale. Les femmes, qui avaient soutenu activement la révolution, commencèrent à se mobiliser autour de la question du projet de banque. Les travailleuses apportèrent leurs salaires, d’autres, leurs bijoux (qui étaient souvent leurs seuls biens réels) et certaines, leur héritage[17]. Dans le même ordre d’idée, beaucoup de femmes à Téhéran et dans les provinces, participèrent au mouvement qui recommandait de porter des tissus locaux et de cesser d’acheter des textiles importés d’Europe. C’était un mouvement similaire au mouvement Swadeshi des femmes indiennes de la même période, mouvement qui tendait au boycott des produits britanniques[18]. Le boycott des textiles européens était perçu comme un moyen de libérer la nation de sa dépendance envers les importations européennes. Ainsi, à Tabriz, des réunions de femmes furent organisées autour de cette question. Elles plaidèrent pour que les femmes “portent leurs vieux vêtements pendant un certain temps”, dans l’espoir que la nation commencerait à fabriquer ses propres textiles dans un avenir proche[19]. La participation et la politisation des femmes dans le mouvement nationaliste prit une nouvelle dimension en abordant des questions concernant les femmes et en créant des anjuman de femmes ainsi que des écoles de filles.

Les femmes se tournèrent d’abord vers le parlement nouvellement constitué pour chercher de l’assistance. Le 30 décembre 1906, jour de la signature de la Constitution par le Shah Muzaffar al-Din, Majlis, le journal du parlement nouvellement édité, publia la pétition d’une femme en faveur de l’éducation et de la participation sociale des femmes, pétition qui fut présenté au parlement. Dans sa lettre, qui était adressée à Sayyid Muhammad Tabata’i, un religieux pro-constitutionnaliste de premier plan, l’auteur déclarait que l’Iran était à la traîne de la caravane de la civilisation car les femmes n’y avaient pas accès à l’éducation. Elle exigeait du gouvernement nouvellement formé qu’il agisse de façon responsable et qu’il prenne des mesures, comme cela avait déjà été fait en faveur des jeunes garçons, pour créer des écoles[20]. La réponse du journal Majlis montra immédiatement la forte opposition, de la majorité des délégués à la participation politique des femmes. On dit aux femmes qu’elles avaient le droit de revendiquer l’accès à l’éducation, mais uniquement à celle qui les préparait à “élever les enfants” et à accomplir les tâches domestiques. On leur conseillait, en termes peu voilés, de rester à l’écart de la politique et des affaires du gouvernement, qui étaient considérés comme une prérogative des hommes[21].

Au lieu d’attendre de la direction masculine, un changement d’état d’esprit et un soutien institutionnel, les femmes s’activèrent elles-mêmes. Une des premières réunions de femmes eut lieu en janvier 1907, et adopta 10 résolutions, dont celles concernant la revendication de l’accès des filles à l’éducation et l’abolition des dots onéreuses[22]. En 1910, 50 écoles de filles furent ouvertes à Téhéran et un congrès de femmes sur l’éducation fut organisé dans cette ville[23]. Au cours de la même année, un journal de femmes fut publié à Téhéran. Danish, (La Connaissance), hebdomadaire de huit pages, décrit comme étant “le seul journal persan rédigé exclusivement pour des femmes et débattant de sujets présentant un intérêt spécifique pour elles” était publié par une femme opticienne, appelée Docteur Kahhal, qui pratiquait sa profession et produisait son journal dans les mêmes locaux. Le journal portait en en-tête une déclaration stipulant qu’il ne publierait que des questions relevant de la sphère domestique et “qu’en aucune circonstance, il ne traiterait de politique et de questions relatives à la nation”[24], ce qui était manifestement un compromis avec les autorités pour permettre au journal de paraître.

L’ouverture de nouvelles écoles était étroitement liée à l’action des anjuman de femmes qui furent constitués au cours des années 1907 et 1908, ainsi que durant la Seconde période constitutionnelle de 1909 à 1911. Shuster écrit qu’en 1911, l’on comptait à Téhéran près d’une douzaine de sociétés de femmes semi-secrètes. Un comité central était chargé de la coordination des affaires relatives aux anjuman[25]. Les femmes pouvaient y “trouver un bureau de renseignements, où il y avait, en permanence, quelqu’un pour répondre à leurs questions et leur fournir des explications”[26].

Les anjuman regroupaient des femmes de contextes sociaux et politiques divers[27]. Quelques-unes venaient même de familles royales, telle la remarquable princesse Taj al-Saltanah, féministe et socialiste, fille du Shah Nasir al-Din, roi absolutiste du 19ème siècle. Membre de l’Anjuman pour la liberté des femmes (Anjuman-i Azadi Zanan), elle écrivit librement à propos de son mariage forcé à l’âge de 13 ans, des histoires extra-conjugales de son mari ainsi que de son avortement clandestin[28]. La plupart des membres des Anjuman de femmes appartenaient à des familles qui avaient des sympathies pour la Révolution constitutionnelle. Beaucoup utilisèrent leurs propres ressources pour aider à financer de nouvelles écoles et de nouveaux orphelinats. Ainsi, dans l’Anjuman des dames de la nation (Anjuman-Mukhaddarat-i Vatan), il y avait l’épouse de Malik-al Mutikallimin, orateur et constitutionnaliste de premier plan qui fut tué à la suite du Coup-d’Etat de 1909, celle de Yafram Khan, dirigeant des Mujahidin, qui reconquit la capitale en 1909, et celle de Mizra Sulayman Khan Maykadah, qui dirigeait l’influent Anjuman des frères de Qazvin Gate. Il y avait également des femmes qui franchirent la barrière en adhérant à la cause constitutionnaliste, et dont les pères et les frères étaient des adversaires déterminés de la révolution[29]. Il y eut également des femmes affiliées au mouvement qui étaient peu éduquées et sans soutien familial, et dont on garde souvent peu de trace. Parmi celles-ci, il y eut Mahrukh Gawharshinas (1872-1938), qui fonda une importante école de filles à Téhéran en 1911. Pendant deux ans, elle s’occupa de cette école à l’insu de son mari. Quand ce dernier fut au courant, il se mit dans une grande colère et accusa Mahrukh d’avoir transgressé “la religion et la vertu” et d’être la honte de la famille. Au cours des années suivantes, Mahrukh introduisit la mixité dans ses écoles primaires et recruta des maîtres dans l’école secondaire ; ces initiatives furent jugées scandaleuses selon les critères de l’époque[30].

Certaines des jeunes femmes des anjuman devinrent, par la suite, des féministes très en vue des années 1920 et 1930. Sadiqaya Dawlatabadi, secrétaire de l’Anjuman des dames de la nation, fut diplômée de la Sorbonne dans les années 20 et fut la première femme à se dévoiler en public et à apparaître habillée à l’occidentale, en 1927 à Téhéran. Shams al-Muluk Javahir Kalam devait être, par la suite, la première iranienne à enseigner non voilée à Tiflis, dans les années 20, à un moment où l’organisation des femmes russes, Zhnotdel, était très active parmi les Musulmanes du Caucase[31]. Muhtatam Iskandare (1895-1924) fonda une importante organisation de femmes appelée la Société des femmes patriotes au début des années 20, avant sa mort prématurée.

Les membres conservateurs du Ulama s’opposèrent au mouvement de réforme de l’enseignement. Shaykh Fazlallah Nuri et Sayyid Ali Shushtari condamnèrent les nouvelles écoles et lancèrent une fatwa religieuse (opinion), en accusant de telles institutions d’être contraires à l’Islam, ce qui donna le feu vert aux adversaires de ces écoles. On attaquait souvent les jeunes élèves et leurs enseignants dans la rue, on leur crachait dessus et on les accusait d’avoir un comportement “peu chaste” et “immoral”[32].

Au début de la Révolution constitutionnelle, les femmes s’étaient constituées en partisans fervents des membres du Ulama qui participaient aux grèves et aux sit-ins et revendiquaient le constitutionnalisme. Cependant, après que le Ulama eut ouvertement exprimé son hostilité à l’accès des femmes à l’éducation et à leur participation à la vie politique, les femmes commencèrent à contester l’autorité des religieux par différentes voies. Certaines suivirent la voie de la “persuasion morale” en plaidant avec les religieux conservateurs et les étudiants en théologie pour qu’ils abandonnent leur opposition opiniâtre à l’accès des femmes à l’éducation et en citant des versets du Coran pour justifier leur position. D’autres furent beaucoup plus virulentes et attaquèrent ouvertement les religieux conservateurs. Dans le journal Habl-al Matin, une femme soutint que l’idée que les chefs religieux se faisaient de Dieu était inacceptable pour elle et pour les autres femmes, parce qu’elle exigeait des femmes qu’elles restent soumises à leurs pères et à leurs maris et qu’elle interdisait, sans justification, leur accès à l’éducation[33]. Les adversaires des nouvelles écoles, poursuivit-elle, prétendaient être préoccupés par le fait que ces écoles portaient atteinte à l’honneur des femmes, mais semblaient oublier que les jeunes filles qui fréquentaient les “mauvaises” écoles traditionnelles (maktab) étaient souvent victimes d’abus sexuels du fait des hommes de la famille des enseignantes (themullabaji). Par contre, les madrasah (écoles modernes) non seulement donnaient aux filles une éducation décente, mais encore les protégeaient contre de telles avances. En outre, les adversaires de l’accès des femmes à l’éducation faisaient peu cas de la vie des nombreuses femmes indigentes, illettrées et veuves, disposant de maigres ressources, qui terminaient ainsi leur vie dans la mendicité et la prostitution[34].

Les attaques des femmes n’étaient pas exclusivement dirigées contre les ulama et les étudiants en théologie. Le désenchantement général vis-à-vis du Majlis, particulièrement de la part des femmes, devint manifeste dès l’automne de 1907. L’Union secrète des femmes publia, dans le journal Nida-ya Vatan, une lettre ouverte aux délégués, pour exiger leur démission. L’union proposait de prendre le pouvoir pendant une période limitée pour exécuter un programme radical de réorganisation nationale qui, entre autres, fournirait de la nourriture aux nécessiteux et mettrait un terme à toutes les formes d’autocratie :

“Nous nous chargerons d’organiser les lois, de coordonner la police, de nommer les gouverneurs, d’envoyer des réglementations dans les provinces, de déraciner la cruauté et l’autocratie et de détruire ceux qui n’ont pas de compassion. Nous ouvrirons de force les silos de blé et d’orge des riches et mettrons sur pied une organisation pour la distribution du pain ; nous entrerons de force dans les caveaux des ministres qui ont sucé le sang de la nation au lieu de créer la Banque Nationale. Nous repousserons les forces ottomanes, raménerons à leurs foyers les paysannes de Quchan prises en esclavage, règlerons les affaires de la cité, rendrons l’eau potable pour les populations, nettoierons les rues et les ruelles, et après tout cela, nous donnerons notre démission et laisserons à d’autres le soin de poursuivre les réformes qui restent à entreprendre”[35].

Durant cette période, plusieurs hommes, journalistes, poètes et même quelques délégués auprès du Majlis proclamèrent leur soutien aux droits des femmes. La satire sociale d’Ali Akbar Dhkhuda, rédacteur en chef de Sur-i-Israfil (1907-1908), le soutien prudent de Vakil-al-Ru’aya et deTaqizadah, représentants du Majlis, ainsi que la poésie d’Iraj Mirza (1874-1925), firent beaucoup pour mettre la question de la libération des femmes à l’ordre du jour.

Le Majlis finit par débattre des revendications des femmes pour faire reconnaître leurs anjuman. En mars 1908, juste un mois avant la fermeture du premier Majlis par un coup d’Etat royaliste, Mirza Murtaza Quli présenta une pétition au nom du l’Anjuman des femmes (Anjuman-i-Nisvan), pour revendiquer la reconnaisance des associations féminines. Il posa le problème sous la forme suivante : les revendications des femmes étaient-elles “conformes aux lois [islamiques] de la Sharia? Plusieurs délégués auprès du Majlis, dont Aqa Mirza Mahmud, dénoncèrent le fait que Mirza Murtaza Quli ait abordé ce sujet et soutinrent que “de telles questions ne devaient être débattues au Majlis”. Ils exigèrent que le ministère de l’intérieur et la police interviennent pour empêcher la formation de ces anjuman. Cependant, certains délégués plus libéraux apportèrent un soutien timide à la proposition. Vakil-al-Ru’aya, délégué de Hamadan, posa la question suivante ; “Quel risque y-a-t-il si un groupe de femmes s’organisent et apprennent les unes des autres à bien se comporter?” et il ajouta que les anjuman de femmes n’étaient pas contraires aux lois de l’Islam tant que les femmes ne débattaient pas, lors de leurs réunions, de questions “nuisibles à la religion et à la société”. Taqizadah, délégué libéral d’Azerbaijan, reprit les arguments de Vakil-al-Ru’aya et s’exprima également en faveur des anjuman de femmes. Il insista sur le fait qu’aucune interdiction ne frappait ces anjuman. Les musulmanes avaient toujours organisé des réunions et la Constitution ne comportait aucune disposition relative à l’interdiction de telles sociétés[36].

Les prises de position des délégués libéraux aboutirent à un renversement de l’opinion au parlement. Ceux qui, à l’origine, étaient opposés aux anjuman, les jugeaient à présent plus acceptables, à la condition que les femmes y débattent de “sujets autorisés” tels que la campagne contre l’utilisation de textiles importés, l’enseignement ménager et la couture. D’autres soutenaient qu’il était peut-être “prématuré” de mener de tels débats au parlement et que la presse constituait un forum plus adéquat pour cela. Enfin, l’autorité religieuse de l’Imam Juma’h (Imam de la prière du vendredi) mit un terme aux débats en décrétant que, selon les Lois de la Sharia, les femmes pouvaient tenir leurs réunions. Cependant, étant donné le caractère sensible de la question, et compte tenu de l’interdiction de certaines discussions au sein des anjuman de femmes, il préférait ne pas poursuivre les débats devant le Majlis. Ainsi, les délégués ne s’étaient pas ralliés à l’opposition conservatrice pour qualifier les anjuman de femmes de “non-islamiques”. Mais ils avaient insisté pour que les anjuman ne soient pas politiques et avaient refusé de leur fournir toute assistance juridique et financière et toute portection[37].

Les droits des femmes reçurent un soutien plus manifeste de la part de, Dikhuda, poète, écrivain et auteur satirique. En effet, dans sa colonne hebdomadaire, Dikhuda dénonçait souvent l’hypocrisie de la communauté masculine, y compris les ulama qui prêchaient aux femmes certaines croyances et certaines normes de conduite tout en en pratiquant d’autres. Il n’hésitait pas non plus, dans ses colonnes, à exprimer son opposition au voile. Dans ses textes satiriques, il faisait souvent référence à la subordination des femmes à leurs pères et à leurs maris, ainsi qu’à des questions telles que celles du mariage des enfants, du mariage sans amour et de la polygamie. Il dénonça l’Akhdun (religieux du bas clergé) semi-analphabète, qui profita de sa position au sein du clergé pour transformer son bureau à la mosquée en maison de passe, se maria par intérêt, pratiqua la polygamie et se conduisit de façon honteuse en dépensant jusqu’au dernier sou la dot de sa femme[38]. Dihkhuda fustigiait également les délégués auprès du Majlis qui refusaient d’apporter leur soutien à la création de nouvelles institutions sociales et d’enseignement pour les femmes, au moment où celles-ci continuaient à organiser des anjuman et à ouvrir des écoles.

“Au moment où nos femmes s’organisaient et ont plusieurs fois présenté des pétitions au Majlis et aux membres du cabinet, plaidaient pour être autorisées à créer de nouvelles écoles et de nouveaux anjuman de femmes, pourquoi nos représentants et les membres du cabinet non seulement ne leur ont-ils apporté aucun soutien, mais encore, se sont-ils opposés à leurs revendications?”[39]

Le 23 juin 1908, à l’instigation du Shah Muhammad Ali, la Brigade cosaque russe qui était à son service bombarda le Majlis et mit provisoirement un terme au gouvernement constitutionnel. Tabriz résista et subit les attaques des forces royalsites. La guerre civile à Tabriz dura dix mois, période durant laquelle les résidents,hommes et femmes, opposèrent une résistance farouche.

Les Grecs de l’Antiquité pensaient que l’Azerbaijan et la région ouest proche de la mer Caspienne comptaient parmi les régions peuplées par la tribu mytique des combattantes amazones. Des échos de cette ancienne tradition matrilinéaire ont persisté jusqu’au 20ème siècle[40], et, comme pour perpétuer la légende, les femmes d’Azerbaïjan formèrent leurs propres contingents de combattantes et luttèrent, parfois déguisées en hommes, aux côtés des partisans du constitutionnalisme. Les journaux de l’époque rapportèrent que l’on trouvait sur les champs de bataille des corps de femmes portant des vêtements d’hommes. D’autres témoins oculaires racontèrent qu’un jeune soldat blessé refusa de se déshabiller pour être soigné. Quand Sattar Khan, commandant des forces de Tabriz, intervint finalement, le soldat blessé confessa à Sattar, profondément ému, : ”Je ne suis pas un homme, mais une femme”[41].

Au cours de l’été 1909, les forces constitutionnalistes reconquirent la capitale Téhéran, avec l’aide des révolutionnaires arméniens, géorgiens et musulmans du Caucase, ainsi que celle des tribus Bakhtiori d’Isfahan. Avec le rétablissement du parlement, le mouvement des femmes se fit entendre de façon beaucoup plus manifeste ; il commença à contester le sexisme qui prévalait dans la culture musulmane et iranienne et à s’attaquer aux questions, jusqu’alors taboues, de la polygamie et des divorces fréquents. Une série d’essais très remarquables intitulés “Journal d’une érudite” fut publiée dans Iran-I Nu, principal journal social démocrate de l’époque. Nous ne connaissons pas l’auteur, qui signait ses articles du pseudonyme de Tahiri ; cependant, en lisant son argumentation, on ne peut s’empêcher de penser à des voix semblables qui se sont fait entendre tout au long de la lutte des femmes pour la liberté.

Au moment où la Révolution Française battait son plein, Mary Wollstonecraft, soutenait, dans “A Vindication of the Rights of Women” (1792), que les acquis de la révolution, tels que le droit à la citoyenneté, devaient être également étendus aux femmes. Elle avait tenté de convaincre les hommes qu’en cultivant son esprit et son corps, la femme deviendrait moins dépendante de son apparence, aurait une plus grande confiance en elle et que donc la stabilité de la famille s’en trouverait accrue[42].

De même, Tahirih, chroniqueuse éloquente d’Iran-I Nu, qui s’adressait surtout à la classe moyenne et qui parsemait ses articles de poèmes, tenta de convaincre les hommes des mérites des femmes et des mères instruites. Elle insistait sur le fait que la promotion des femmes était essentielle au progrès de la nation, et demandait aux hommes de changer la façon dont ils traitaient les femmes. Les hommes n’avaient aucune loyauté à l’égard de leurs femmes et soutenaient que “Dieu nous a facilité les choses en nous permettant, si [un mariage] n’est pas à notre convenance, de divorcer et de prendre une autre épouse”. Tahirih réagissait à de tels arguments avec colère et indignation et se demandait comment on pouvait avoir “tant d’ignorance et de cruauté envers d’autres êtres humains! Un homme aimerait-il que sa femme prenne plusieurs maris? Impossible!”[43]

A ceux qui soutenaient que, conformément à la Sharia, les Musulmans avaient le droit de pratiquer la polygamie, elle répondait, dans la tradition des féministes du siècle dernier au Moyen Orient, que le prophète Muhammad avait stipulé que l’homme polygame devait traiter toutes ses épouses avec équité. “Un homme peut-il traiter équitablement ses deux épouses? Non, c’est impossible”, répondait-elle. Les co-épouses éprouvent de l’aversion l’une pour l’autre, et quelque soit la façon dont un homme traite l’une des épouses, l’autre éprouvera toujours du ressentiment. En poursuivant le raisonnement dans cette voie, on en arrivait à la revendication d’une réforme majeure des lois sur le mariage, ce qui était, pour l’époque, une proposition hérétique. Ainsi, Tahirih, presque en désespoir de cause, n’en arriva pas à cette revendication, mais reporta son attention sur les femmes elles-mêmes. Elle se réfugia derrière l’idée que si la femme était instruite et parfaite, qu’elle faisait régner une atmosphère saine dans le foyer, l’homme n’éprouverait peut-être pas le besoin d’exercer son droit à la polygamie et préférerait un mariage monogame[44].

En raison de la longue tradition des divorces faciles pour les hommes et de la polygamie, soutenait Tahirih, les femmes ne formaient pas de liens affectifs durables avec leur mari. On disait toujours aux femmes : “Ce foyer et ce mari sont temporaires”. Et quand un mariage ne marchait pas, il fallait chercher un autre mari. Le conseil de la “mère infortunée” à sa “fille tout aussi malheureuse” était le suivant :

“Chère fille! Pense à toi! Ne forme jamais de liens affectifs durables avec l’homme inconstant. Prends garde que ton mari ne devienne jamais riche et prospère. Dès qu’il aura deux chemises, il prendra une seconde épouse et te rendra la vie difficile. Au moins, ma chère fille, pense à ton avenir et fais qu’il te paie. Ainsi, dans tes jours sombres, tu auras quelques économies, et quand tu rendras visite au mullah, diseur de bonne aventure, qui fait des prières pour apporter la chance, tu n’auras pas honte ; et même si tu finis par divorcer, tu ne rentreras pas les mains vides chez ton prochain mari”[45].

Il fallait changer une telle mentalité. Les femmes devaient avoir un sentiment de confiance et de sécurité pour être en mesure de rendre leur famille heureuse et d’élever décemment leurs enfants. Cependant, après avoir usurpé tous les avantages dans la vie et privé les femmes de privilèges tels que l’éducation, les voyages, les sciences, ces mêmes hommes avaient encore l’audace de proclamer que “les femmes dans notre nation ne sont toujours pas dignes de recevoir une éducation”. “Mais où, dans quelle école avez-vous testé notre manque de potentiel?”, demandait Tahirih. Quand nous avez-vous ouvert vos écoles? Quand nous avez-vous trouvé des maîtres? Quand nous avez-ous fourni les moyens de nous instruire pour pouvoir attester de notre “absence de potentiel?”

Il ne fallait pas prêter attention aux absurdités proférées par les hommes à propos de la soi-disant inintelligence des femmes, de leur faiblesse et de leur manque de potentiel, concluait-elle. En fait, les femmes étaient non seulement égales aux hommes, mais encore, à bien des égards, plus fortes qu’eux.

“Dieu Tout Puissant nous a créées égales aux hommes, et, en vérité, certains de nos pouvoirs sont plus grands que ceux des hommes. Ainsi, aucun homme ne peut porter un enfant, contrairement à nous. Nos avons beaucoup plus de loyauté et d’amour que les hommes. Par notre intelligence, notre perspicacité, nous surpassons les hommes. Par notre force, notre vigueur, nous sommes les plus grandes, car aucun homme n’endurera une minute la multitude de blessures, d’ennuis, et de malheurs que nous subissons en tant que femmes. Nous ne sommes donc en aucune façon inférieures aux hommes. Pourquoi alors sommes nous devenues les créatures les plus viles, et la cause de l’infamie de notre chère nation?”[46].

Avec la défaite du parti démocratique au Parlement, au cours de l’hiver de 1911, l’association musulmane conservatrice Hay’ati Itihadiya Islami (Conseil de l’union Islamique), adversaire déterminé du constitutionnalisme, commença à manifester publiquement son opposition au constitutionnalisme. Au printemps de 1911, il y eut de nouvelles restrictions à la participation sociale des femmes. Un Arménien, et un constitutionnaliste, le docteur Stepanian, se plaignit auprès du Majlis du fait que la police une fois de plus, interdisait aux femmes de circuler, l’après-midi, dans les quartiers commerçants de la ville de Téhéran, et qu’ainsi, “les femmes n’osaient plus quitter leurs domiciles”[47].

C’est dans ce climat tendu, au moment même où le Majlis était critiqué pour son inefficacité, que Vakil al-Ru’aya, le délégué qui avait d’abord soutenu le droit des femmes à constituer des anjuman, prit l’initiative plus audacieuse d’introduire une seconde pétition demandant le droit de vote des femmes. L’incident, qui fut effacé des proccès-verbaux du Majlis, fut signalé par un journaliste étonné du London Times dont le pays était également embarqué dans des débats sur le droit au suffrage des femmes :

“Les partisans du droit de vote des femmes seraient heureux d’apprendre que, même au coeur des épreuves et des problèmes actuels de la Perse, pays où un ex-Shah brandit son étendard et où la guerre civile bat son plein, la cause des femmes a trouvé son défenseur en la personne du Persan Meijliss [Meijlis]. Ce n’est autre que Hadji Vakil el Rooy [Vakil al-Ru’aya], Député d’Hamadan, qui, le 3 août, a étonné le Parlement en prenant avec exaltation la défense des droits des femmes”[48].

Au coeur des débats concernant le projet de nouvelles élections, à l’automne de 1911, Vakil al-Ru’aya était monté à la tribune pour déclarer que, puisque les femmes “étaient dotées d’âmes et de droits”, il fallait leur accorder le droit de vote. Selon le reporter de Times, “le parlement écouta sa harangue dans un silence de mort, incapable de décider si c’était une plaisanterie intempestive ou une déclaration sérieuse”. Vakil al-Ru’aya demanda alors à un membre de premier plan des ulama, Shaykh Asadullah, de reconnaître le bien fondé de sa revendication. Le religieux, surpris, “ne reconnut aux femmes ni âme ni droits et déclara qu’une telle affirmation causerait la chute de l’Islam”. En outre, le Président demanda formellement que cet incident soit rayé des procès-verbaux du Majlis. Ce n’est qu’à ce moment que le Majlis retrouva un semblant de normalité[49].

Cepenant, l’événement ayant été couvert par la pressse internationale, le Majlis se trouva contraint de fournir à Times sa propre version “adéquate” des faits, à savoir que Shaykh Asadullah ne disait pas que les femmes “étaient dépourvues d’âme”, mais que selon lui, leur capacité de jugement était inférieure quand il s’agissait de politique :

“Les femmes sont exclues parce que Dieu ne les a pas dotées de la capacité nécessaire pour participer à la politique et pour élire des représentants de la nation. Elles sont le sexe faible et n’ont pas la même capacité de jugement que les hommes. Cependant, les hommes ne doivent pas piétiner leurs droits mais les préserver, comme cela a été prescrit dans le Coran par Dieu Tout-Puissant”[50].

Le grand drame du mouvement des femmes iraniennes trouva sa dimension la plus manifeste et la plus internationale au moment même où la cause révolutionnaire subissait des attaques de toutes parts. Le 11 novembre 1911, le gouvernement russe, avec l’accord des Britanniques, envoya un ultimatum au Majlis pour exiger le renvoi, dans les 48 heures, du nouveau conseiller financier du gouvernement, Morgan Shuster. Les réformes financières de Shuster, accueillies avec enthousiame par les constitutionnalistes libéraux, et son refus de reconnaître l’autorité du gouvernement russe concernant les affaires internes de l’Iran, avaient enragé le gouvernement tsariste. Avec l’appui de la Grande-Bretagne, le gouvernement russe avait demandé l’expulsion de Shuster, exigé du Majlis qu’il consulte les deux puissances avant la nomination de tout autre conseiller, et menaçé d’envahir la capitale.

A travers le pays, il y eut un tollé de protestations indignées, dont celles des femmes d’Isfahan, de Qazvin et d’Azerbaijan. Jusqu’en Inde, des femmes se joignirent aux nombreuses protestations suscitées à cette occasion sur le plan international[51]. A Téhéran, plus de 50.000 manifestants descendirent dans les rues et décrètèrent une grève générale. Parmi ces manifestants, il y avait des milliers de femmes qui pleuraient amèrement et portaient ... le tissu blanc dans lequel les morts sont ensevelis, pour exprimer à la fois leur désespoir et leur volonté, leur détermination à se battre jusqu’au bout pour défendre la nation[52]. L’Anjuman des dames de la nation (Anjuman-i Mukkhaddarat-i Vatan), dont les membres étaient souvent apparentés à des constitutionnalistes de premier plan, se joignirent à plusieurs autres anjuman de femmes à Téhéran lors d’une importante manifestation devant le Majlis, le 1 décembre 1911 devant le Majlis. Bambad rapporte que des milliers de femmes participèrent à la manifistation, que beaucoup d’entre elles montèrent sur le podium et firent des discours enflammés pour défendre la révolution et exiger du Majlis qu’il résiste à l’ultimatum des puissances étrangères. La poétesse Zaynab Amin, membre fondateur du l’Anjuman des dames de la nation, et enseignante à la Shahabad Girls School (Ecole de filles), récita des poèmes de sa composition, qui prônaient la défense de la nation[53]. Dans ses écrits sur la marche des femmes sur le Majlis, Shuster faisait certainement référence à cette manifestation quand il nota qu’au nombre des manifestants, il y avait une délégation de femmes qui est entrée au Parlement :

“Venant de leurs cours et de leurs harems entourés de murs, 300 femmes du sexe faible firent une marche, les joues rougies par une détermination inébranlable. Elles étaient vêtues de leurs robes noires et avaient le visage recouvert du filet blanc de leurs voiles. Beaucoup d’entre elles cachaient des pistolets sous leurs jupes ou dans leurs manches. Elles se rendirent directement au Majlis, se rassemblèrent là et exigèrent d’être reçues par le Président”.

Il semble que certaines furent autorisées à entrer au Parlement, et informèrent le Président et les représentants de ce que pourrait être leur réaction :

“Dans le hall, elles affrontèrent le Président, et, pour que ses collègues et lui ne doutent pas de leur détermination, ces mères, ces épouses et ces filles persanes brandirent leurs revolvers, arrachèrent leurs voiles et proclamèrent leur intention de tuer leurs propres fils et leurs propres maris et d’abandonner leurs corps si les députés hésitaient à accomplir leur devoir qui était de sauvegarder la liberté et la dignité de la nation et du peuple persans”[54].

Pour appuyer son action, l’Anjuman des femmes de la nation (Anjuman-i Khavatin-i Vatan) envoya un télégramme au Majlis le 5 décembre 1911, dénonçant l’inaction des représentants. Un an et demi après la restauration de la constitution, écrivaient-elles, peu a été fait. Les troupes russes étaient “stationnées de façon permanente” dans le nord tandis que le gouvernement britannique, “envoyait, sans justification, des notes inamicales et injustes” et menaçait le parlement. Les routes et les villes continuaient à être peu sûres, des millions de Tumans étaient gaspillés, et il n’y avait même plus assez de pain, l’aliment de base de la grande majorité de la population :

“Quand la nation est si préoccupée par sa situation désastreuse, il est de votre devoir, soit d’entreprendre d’instaurer l’ordre et la prospérité en un temps spécifié, soit, si vous n’êtes pas en mesure de le faire dans ces délais, de vous résigner à solliciter l’appui des partisans britanniques du suffrage des femmes”[55].

Dans son ultimatum, le gouvernement russe exige que nous renoncions à notre indépendance en leur faveur ; les hommes d’Europe sont sourds à nos appels ; pourriez-vous, vous les femmes, nous venir en aide?”[56]

En réponse, l’Union sociale et politique des femmes envoya un télégramme pour déplorer son incapacité à influencer la position du gouvernement britannique.

“Nous ne sommes malheureusement pas en mesure d’amener le gouvernement britannique à nous accorder la liberté politique, à nous, leurs compatriotes femmes. Nous sommes tout aussi impuissantes à influencer leur action en Perse. Nous sommes de tout coeur avec nos soeurs perses et nous ressentons beaucoup d’admiration pour leurs actions patriotiques et militantes”[57].

Le mouvement des femmes se tourna non seulement vers les politiciens mais aussi vers les intellectuels. A Téhéran, un groupe de femmes se rendit au Cercle Littéraire (Majma’a Adad) et critiqua le gouvernement, pour n’avoir presque rien entrepris pour préparer la nation deux semaines après l’ultimatum. Les hommes leur répondirent que ce n’était pas à leurs associations de traiter de ces questions, même si le cabinet n’avait pas encore décidé d’une date pour se réunir[58].

La délégation Russe profita du fait que les femmes s’étaient manifestées en tant que partisans déterminés du Constitutionnalisme, pour adresser un questionnaire à l’Anjuman des dames de la nation. Ce questionnaire visait à les persuader que le Majlis et le gouvernement s’étaient très peu préoccupés d’améliorer le sort des femmes. Cependant, les femmes ne furent pas dupes, et, dans une réponse cinglante, elles exprimèrent leur indignation.

“Oui”, écrivirent-elles, le gouvernement constitutionnel était impuissant et “n’avait pas été en mesure d’ouvrir beaucoup d’écoles de filles et d’offrir des opportunités aux femmes qui préférent la civilisation et l’éducation au manque de compétences et à l’oisiveté”, mais cela ne voulait pas dire qu’il devrait y avoir un retour à l’autrocratie, car “toute personne ayant une bonne conscience préfère la justice et l’égalité à l’autocratie et à une gestion arbitraire. C’est la position que tous partagent, les hommes comme les femmes”. Oui, elles considéraient “la situation des Européennes préférable à la leur,mais elles ne souhaitaient pas, pour autant, être gouvernées par les puissances européennes, car pour les Iraniennes, les Européennes ont une situation plus favorable du seul fait “qu’elles développent des compétences et pour aucune autre raison”[59].

Durant les derniers jours de décembre 1911, les femmes affichèrent des prospectus à travers la ville pour “admonester les citoyens pour leur absence de réaction face à l’ultimatum russe”[60]. En guise de représailles envers les puissances européennes, elles demandèrent aux cafés qui utilisaient du sucre importé de fermer leurs portes. Elles menèrent également une campagne réussie pour le boycott des trams tirés par des chevaux et appartenant aux Européens (moyen de transport utilisé principalement par les femmes en raison de son plus grand confort) ainsi que de celui de la seule voie de chemin de fer du pays, qui reliait Téhéran à la mosquée populaire de Shah Abdul Aeim, dans les environs de Téhéran. Quatre jours après l’ultimatum russe, les trams et les trains étaient totalement désertés[61]. Dans un article intitulé “The Manliness of the Women” - La Virilité des femmes - (sic), Iran-i Nu signale que les femmes traversaient les rues, arrêtaient les wagons et demandaient aux passagers embarrassés de boycotter les biens et les services européens. Les manifestantes ne s’en allaient que lorsque les passagers quittaient le wagon. Elles contribuaient parfois de leurs poches pour aider les voyageurs à trouver d’autres moyens de transport[62].

Les mouvements de contestation des femmes ne se limitaient pas à Téhéran. Quand, au milieu du mois de décembre, les troupes russes qui arrivaient dans la région se mirent à harceler la population de Qazvin, le Conseil des femmes de Qazvin (Hay’at-i Nisvan-i-Qazvin) envoya des télégrammes pour demander l’assistance d’autres villes, et reçut la réponse du Conseil des femmes d’Isfahan (Hay’at-i Nisvan-i-Isfahan). Il demanda également à l’Anjuman de la province d’Isfahan d’armer les femmes et de les enrôler dans la bataille contre les troupes d’invasion russes. Le Conseil des femmes d’Isfahan n’était plus disposé à se conformer au précepte musulman qui interdisait aux femmes de participer à la jihad (ou guerre sainte). Si une femme se trouvant seule chez elle était attaquée, elle se défendrait sûrement et à n’importe quel prix. De même, les Russes ayant envahi le pays, les femmes de Qazvin appelaient à l’aide, mais apparemment, il n’y avait pas d’homme dans la maison. “S’il y avait un homme dans la maison, il se serait manifesté”, écrivirent-elles, impliquant que les hommes iraniens manquaient de courage pour défendre leur pays. Le Conseil des femmes d’Isfahan se proposait de suivre l’exemple des Françaises et des Japonaises et de se lever pour défendre la nation, face à l’inaction des hommes. Elles avertissaient les hommes que, s’ils continuaient à rester passifs, “ils seraient mis à mort” par les insultes continuelles des femmes dans leur propre foyer”[63].

Malgré les immenses efforts des femmes, le second régime constitutionnel arriva à son terme fin décembre 1900. Le Majlis, en dépit de la pression gouvernementale, avait refusé d’accepter l’ultimatum russe. Mais, face à la menace d’intervention de la Russie, le cabinet décida de fermer le Majlis par la force et c’est ainsi que prit fin le régime constitutionnel.

Cependant, l’implication des femmes dans la vie politique et le domaine de l’éducation ne s’arrêta pas en 1913. En effet, le second journal de femmes, Shikujah (Floraison), fut publié par Mrs. Amid Muzayyin al-Saltanah, qui dirigeait deux écoles de filles à Téhéran. Le journal lithographié de quatre pages, qui comprenait une section illustrée de satire sociale, parut pendant six ans. Shikufah plaidait pour un certain nombre de questions relatives aux droits des femmes, dénonçait les superstitions dominantes chez les femmes, et contestait les injustices perpétrées par les hommes. En relation avec ce journal, un Anjuman de femmes fut organisé et, en 1916, il comptait plus de 5000 membres. On était alors au milieu de la première guerre mondiale et le journal Shikufah étant devenu plus politisé, préconisait qu’il soit mis un terme à des concessions européennes dans le pays et faisait appel aux femmes pour qu’elles participent plus activement aux affaires politiques de la nation[64]. A la mort de Mrs. Amid, en 1918, Shikufah cessa de paraître. Mais le mouvement des femmes reprenait déjà un second souffle en Iran. Au cours des années qui suivirent la Révolution Russe de 1917 qui mit un terme au contrôle de l’Iran par le gouvernement tsariste, des féministes et des socialistes telles que Sadiqaya Dawlatabadi et Muhtaram Iskandari ainsi que des intellectuelles marxistes telles que Avetis Sultanzadah, aidèrent à créer des tribunes et des associations à travers lesquelles la lutte contre l’oppression des femmes et la revendication en vue de leur émancipation allaient se poursuivre.

Dans notre introduction, nous avons souligné comment, durant la révolution de 1978-79, les femmes activistes avaient ressenti le besoin de rappeler que le mouvement des femmes trouvait ses origines dans la Révolution constitutionnelle. Après avoir passé cette histoire en revue, nous voyons en effet, qu’en dépit d’une grande discontinuité dans le temps, la politique, l’économie, et les affaires mondiales, il y a de nombreux fils conducteurs entre les anjuman de femmes de la Révolution Constitutionnelle et le mouvement féministe révolutionnaire qui a émergé il y a une décennie au moment du renversement du Shah.

Dans les deux cas, le mouvement des femmes était issu du mouvement révolutionnaire. Mais une fois atteint le but immédiat de la révolution - La Constitution et le Majlis dans le premier cas, et la chute du Shah, dans le cas de la Révolution de 1978-79 - les femmes qui avaient participé à ces mouvements lancèrent une nouvelle campagne pour accèder à leurs droits en tant que femmes.

Alors que le soutien des femmes au haut clergé avait été crucial dans les premières étapes du mouvement, après la révolution, dans les deux cas, une aile conservatrice de religieux avait émergé pour se révéler l’ennemi le plus déterminé des activités des femmes. Tout comme Khomeini réimposa le voile aux femmes, de même, 70 ans auparavant, les religieux conservateurs tels que Shaykh Fazlallah Nuri s’étaient opposés à l’ouverture de nouvelles écoles de filles et avaient averti que si les femmes accédaient à l’éducation, il en résulterait qu’elles se dévoileraient et que la nation perdrait ainsi son “honneur”.

Cependant, lors des deux révolutions, le mouvement des femmes refusa de rester silencieux et exprima son opposition aux ennemis internes et externes du mouvement. Ce qui les distinguait des nombreux autres protagonistes de la révolution, c’était le fait qu’elles s’exprimaient clairement non seulement sur ce à quoi elles étaient opposées, mais également sur ce qu’elles préconisaient. Elles ne séparaient pas non plus leurs revendications de citoyennes de leurs aspirations en tant que partisans de la libération des femmes. Elles n’attendaient pas des hommes qu’ils initient la réforme sociale mais devinrent elles-mêmes, presque du jour au lendemain, des pionnères dans le domaine de l’éducation, mais aussi des oratrices, des journalistes et des agitatrices politiques. Ce faisant, elles contestèrent non suelement les religieux contre-révolutionnaires, mais aussi les libéraux et les radicaux laïcs “plus éclairés” qui faisaient des compromis, hésitaient ou s’opposaient à ce que la révolution nationale aborde des questions d’évolution sociale aussi fondamentales que la nature des relations hommes/femmes.

Une étude des origines du féminisme en Iran au début du 20ème siècle fournit également des éclairages intéressants pour examiner l’histoire du mouvement des femmes en général. En étudiant les documents de la période, il faut réexaminer la distinction qui a été faite entre un premier mouvement nationaliste et un mouvement de femmes plus récent qui exprime des revendications spécifiquement féministes. Nous voyons, en effet que les femmes abordent des questions relatives à la nation et d’autres concernant les femmes, souvent dans un seul et même article. Comme certains de leurs écrits l’ont montré, un certain nombre de femmes ont souvent senti que le mouvement nationaliste naissant avait besoin de développer une dimension féministe s’il devait mener à la promotion de la nation toute entière. Replacé dans le contexte de mouvements du même type et de la même époque en Chine et au Japon, ainsi qu’en Occident, le mouvement des femmes iraniennes peut être perçu comme faisant partie du mouvement global des femmes du début du 20ème siècle, dont il reste à prendre la mesure de la pleine signification.

Source: Journal of Women’s History
Vol. 1 n° 2 (Automne 1989)

Journal of Women’s History
Afro-American Studies Program,
Indiana University, Memorial Hall East,
Bloomington, IN, 47405, U.S.A.




[1] Sur la participation des Indiennes, voir Mammihan Kaur, Women in India’s freedom Struggle (New Delhi Sterling Publishers, 1985), 89-110 and Neera Desai, Woman in Modern India (Bombay : Vora & Co., 1977) 134. Sur le mouvement des femmes japonaises socialistes, voir Sharon L. Sievers, Flowers in Salt : The Beginnings of Feminist Consciousness in Modern Japan (Palo Alto : Standford University Press 1983), 10-25 and Vera Mackie, “Feminist Politics in Japan”, New Left ... 167 (January-February 1988):53-76. Sur les premières féministes chinoises, voir surtout Jonathan Spence, The Gate of heavenly Peace ; The Chinese and Their Revolution 1898-1980 (N.Y.: Penguin, 1986). Sur le mouvement égyptien des femmes, voir Thomas Philipp, “Feminist and Nationalist Politics in Egypt”, in Women and the Muslim World, ed. Lois Beck and Nikki Keddie (Cambridge : Harvard University Press, 1978), 277-94. Voir également Kumari Jaywardena, feminism and Nationalism in the Third World (London : Zed Press Books, 1986). Sur la participation des travailleuses au mouvement guyanais de 1905 et les affinités étroites de ce mouvement avec les rébellions des femmes domestiques sud-africaines, voir Walter Rodney, A History of the Guayanese Working People, 1881-1905 (Baltimore : The John Hopkins University Press, 1981).

[2] Sharon L. Sievers, Flowers in Salt, 128-37.

[3] Jonathan Spence, The Gate of Heavenly Peace, 83-93.

[4] William Morgan Shuster, The Strangling of Persia (New York : The Century Compant, 1912), 191-99. Diplomate occidental peu typique de cette période, Shuster était totalement dévoué à l’indépendance de l’Iran en tant que nation, prise de position qui le mit en difficulté avec les gouvernements russes et britanniques et conduisit à sa démission après l’ultimatum russe de Novembre 1911.

[5] Voir Badr-al-Muluk Bambad (From Darkness into Light : Women’s Emancipation in Iran, trans. and. ed. F.R.C. Bagley (Smithtown, N.W. Exposition Press, 1977). Voir aussi la première version persanne de Bambad, Zan-i Irani az Inqulab-i shrutiyat ta inqilab-i Sifid (Iranian Women from the Constitutional Revolution to the White Revolution) Téhéran : Ibn Sina Press, 1968 ; Pari Shaykh al-Islami, Zanan i Ruznamahnigar va Andishmand-i Iran (Women Writers and Thinkers of Iran) Tehran : Maz Graphics, 1972 ; Fakhri Qavami, Kar nama-ya Zanan-i Mashhur-i Iran (A report on Famous Women of Iran) (Tehran : Intisharat-i Vizarat-i Amuzish va Parvarish, 1973).

[6] Pour une liste partielle des associations des femmes de cette période, dont certaines ont fait revivre cette histoire passée en se donnant le nom d’anjuman, voir Azar Tabari and Nahid Yeganeh, “Women’s Organisations in Iran”, in the Shadow of Islam : The Women’s Movement in Iran (London : Zed Press, 1982), 201-30.

[7] Le soutien international apporté aux femmes est venu entre autres de célébrités telles que Kate Millet qui a collecté et traité l’information sur l’histoire des manifestations de femmes dans son ouvrage “Going to Iran” (New York : Coward, Mc Cann & Geoghegan Publications, 1982), et Simone de Beauvoir qui envoya un message de solidarité. Le théoricien humaniste et féministe Raya Dunayesvskaya a lié les manifestations de femmes aux anjuman de la Révolution Consti- tutionnelle. Elle a désigné ces sociétés comme étant les premiers “soviets de femmes” et les a associées aux autres tournants de l’histoire du mouvement international des femmes. Voir Raya Dunayesvskaya, Women’s Liberation and the Dialectics of Revolution (Atlantic Highlands, N.J.: Humanities Press, 1985), 234-35. Voir aussi son essai “Iran : Unfoldment of, and Contradiction in, Revolution” dans la même Collection.

[8] Mangol Bayat-Philipp, “Women and Revolution in Iran, 1905- 11”, in Women in the Muslim World, 295-308 ; Huma Natiq, “Nigahi bi Barkhi Nivishtiha va Mubarizat-i zanan dar Duan-i Mashrutiyat, Kitab-i Jum’a 30 (1979) : 45-54, and Natiq, “Mas’ala-ya Zan dar Barkhi Mudavvanat-i Chap Az Niheat-i Mashrutah ta Asr-i Riza Khan, “Zaman-i Nu (1983) ; Abdulhusayn Nahid, Zanan-i Iran dar Jumbishi Mashrutah (Tehran, 1981); Simin Royanian, “The History of Iranian Women’s Struggle”, RIPEH3, No. 1 (spring 1979) ; Sima Bahar, “The Historical background to the Women’s Movement in Iran” in Women in Iran : The Conflict with Fundamentalist Islam, ed. Farah Azari (London : Ithaca Press, 1983) ; Guity Nashat, “Women in Pre-Revolutionary Iran : A Historical Overview”, in Women and Revolution in Iran, ed. Guity Nashat (Boulder, Col.: Westview Press, 1983), 5-35 ; voir aussi Eliz Sanasarian, The Women’s Rights Movement in Iran (New York : Praeger, 1982).

[9] Pour une traduction anglaise des “Lois Electorales”, voir E.G. Browne, The Persian Revolution of 1905-1909 (Cambridge : Cambridge University Press, 1910), 356-61.

[10] La plupart de l’historiographie de la Révolution Constitutionnelle s’est concentrée sur la formation du Majlis et de la Constitution, à l’exception notable de l’étude monumentale d’Ahmad Kasravi, Tarikhi-i Mashrutah-ya Iran (Tehran : Amirkabir Publication, 1951/1984), qui porte sur l’Anjuman Tabriz. Cependant, Kasvari a peu fait cas des anjuman de femmes et encore moins de la résistance et des rebellions de la paysannerie.

[11] Nazim al-Islam Kirmani, Tarikh-i Bidari-yi Iranina 2 (History of the Awakening of Iranians) (Tehran : Agah Press, 1983). Voir aussi M. Bayat, “Anjuman” in Encyclopedia Iranica 2, ed. Eshan Yarshater (London and New York : Routledge & Kegan Paul, 1987), 77-80.

[12] Browne, The Persian Revolution, 357.

[13] Kasravi, Tarikhi-i Mashrutah-ya Iran, 587 and Malikzada, Tarikhi-i Inqilab-i Mashrutiyat-i Irann 2 (Tehran : Ibn Sina, 1951), 207

[14] Pour une liste partielle de certains des anjuman, voir Isma’il Ra’in, Anjumanha-ya Sirri (Tehran : Teheran Mussavar Press, 1966), 157-61.

[15] Grande Bretagne. Correspondence, No. 105, 28 février 1908.

[16] Pour une discussion sur les relation entre le Himmat, le RSDWP et Ijtima’iyun “Aminyun, voir Tadeusz Swietichowski, “Himmat Party”, Cahiers du Monde Russe et Soviétique 19, No. 1-2 (janvier-juin 1978): 119-42.

[17] Ainsi, une femme apporta un héritage de 5.000 tumans, somme exhorbitante pour l’époque. Voir Majlis, No. 81, 30 avril 1907.

[18] Pour un exposé sur le mouvement Swadeshi en Inde, boir Neera Desai, Woman in India, 134.

[19] Voir Anjuman, No. 41, 9 février 1907.

[20] Majlis, No. 6, 30 décembre 1906.

[21] Ibid.

[22] “The Feminist Movement in Persia” , Central Asian Review 7, No.1 (1959).

[23] The Times, 13 août 1910, 3.

[24] Voir Ustad Muhit Tabataba’, Tarikh-i Tahlil-i Matbu at-i Iran (A History of Analysis of the Iranian Press) (Tehran : Ba’th Publications, 1987), 172-73. Voir aussi Edward G. Browne, Press and Poetry in Modern Persia (Cambridge : Cambridge University Press, 1914): 84-85. Plus de 30 numéros de cet article furent publiés à l’époque.

[25] Shuster, the Strangling of Persia, 193.

[26] Clara Colliver Rice, Persian Women and Their Ways (London : Seely, Service and Co., 1932) ?271.

[27] Bamdad, From Darkness into Light, 30-31.

[28] Khavatirat-i Taj al-Saltanah, ed. mansurith Ittihadyiya Nizam Mafi (Tehran : Nashr-i Tarikh-i Iran, 1983).

[29] Bamdad, From Darkness into Light, 34.

[30] Bamdad, From Darkness into Light, 45-47 et Karnama-ya Zanan-i Mashur-i Iran, 140.

[31] Pour une discussion sur ce mouvement, voir Gregory J. Massel, The Surrogate Proleteriat : Moslem Women and Revolutionary Strategies in Soviet Central Asia : 1919-1929 (Princeton : Princeton University Press, 1974).

[32] Malikzada, Tarikh-i Inqilabi-i Mashrutiyat-i Iran 3, 182. Il est intéressant de noter que la petite-fille de Shaykh Fazlalla, Zahra Khanlari (Kia), fut diplômée d’une des premières, Namus. Elle devint éducatrice, écrivain et partisan actif du mouvement des femmes et fut à la tête d’une très grande école de filles à Téhéran, Nurbakhsh High school, où j’obtins mon diplôme. Pour plus d’information sur Khanlari, voir Karnama-ya Zanan-i Mashur-i Iran Mashur-i Iran, 17-19.

[33] Voir “Letter of One of the Women” Habl al-Matin, No. 105, 1 Septembre 1907.

[34] Ibid.

[35] Nida-ya Vatan, n° 70, 2 octobre 1907. Les paysannes du Quchan dans la province nord de Khurasan avaient été vendues aux bandits Turkaman par leurs familles parce que les propriétaires et les percepteurs réclamaient des arriérés d’impôts. Aliakbar Dihkhuda, rédacteur en chef de Sur-i Israfil, attira l’attention du public sur le sort de ces femmes dans ses colonnes satiriques. Voir Dur-i Israfil, No.4, 20 Juin 1907. Dans la première partie de cette lettre, L’Union Secrète des Femmes, choisit de diriger ses attaques contre l’aile laïque du Majlis et non contre les religieux, faisant ainsi preuve d’une certaine ambivalence (du moins certaines des anjuman de femmes) vis-à-vis des ulama. L’Union Secrète des Femmes soutenait que “l’autocratie totale” de la période pré-révolutionnaire avait cédé la place à un “chaos total”. L’autorité des religieux, qui préservait au moins la vie quotidienne, avait été sapée, mais elle n’avait pas été remplacée par un système viable.

[36] Maljlis, No. 72, 14 mars 1908.

[37] Ibid.

[38] Sur-i Israfil, No. 21, 22 janvier 1908 et No. 28, 8 mai 1908.

[39] Sur-i Israfil, No. 21, 22 janvier 1908.

[40] Bien qu’il n’y ait guère de preuve pour confirmer cet ancien mythe, Fannina Halle souligne les vestiges d’une tradition matrilinéaire dans la région. Voir son ouvrage Women in the Soviet East (London : Martin, Secker & Warburg Ltd. 1938), 39- 64. Elle raconte l’histoire de la légendaire Reine Tamara qui régna entre 1185 et 1214 ; son royaume s’étendait de la Mer Caspienne à la Mer Noire, du Nord Caucase à l’Azerbaijan Perse, zone désignée comme étant le “le pays d’origine des Amazones”. On disait que son influence s’étendait jusqu’au khurasan au nord-est de l’Iran et à Isfahan, dans le centre de l’Iran.

[41] Tahirzada Bihzad, Qiyam-i Azarbaijan dar Inqilab-i Mashruyat- i Iran (Tehran : Iqbal Publications, n.d.) ; 327.

[42] Voir “A Vindication of the Rights of Women” in A Mary Wollstonecraft Reader, ed. Darbara Solomon and Paula Bergren (New York : New American Library, 1983), 246-366.

[43] Iran-i Nu, No. 65, 13 novembre 1909.

[44] Iran-i Nu, No. 67, 18 novembre 1909.

[45] Iran-i Nu, No. 78, 30 novembre 1909.

[46] Iran-i Nu, No. 92, 18 décembre 1909.

[47] Iran-i Nu, No. 35, 6 mai 1909.

[48] The Times, 22 août 1911, 3.

[49] Ibid.

[50] The Times, 28 août 1911, 3.

[51] Shuster, The Strangling of Persia, 188.

[52] Malikzadad, Tarikh, 787.

[53] Bambad, From Darkness into Light, 35-36.

[54] Shuster, The Strangling of Persia, 198.

[55] Bambad, From Darkness into Light, 37-38.

[56] The Times, 7 décembre 1911, 5.

[57] Ibid.

[58] Iran-i Nu, No.117, 16 décembre 1911.

[59] Bambad, From Darkness into Light, 38-39.

[60] Rahbar-i Iran-nu, 23 décembre 1911.

[61] The Times, 5 décembre 1911, 5. Voir également Bambad, From Darkness into Light, 37.

[62] Iran-i Nu, No.117, 16 décembre 1911.

[63] Iran-i Nu, No.120, 19 mai 1911.

[64] Voir Pari Shaykh al-Islami, Zanan-i Ruznamanigar va Andishmand-i Iran, 83-86. Clara Colliver Rice, la voyageuse britannique, rapporte qu’elle a écrit plusieurs articles pour Shikujah et plus tard, pour Zaban-i Zanan. Elle souligne le grand intérêt de ces journaux pour les nouvelles du mouvement des international des femmes, en écrivant que “des bribes de nouvelles concernant les femmes dans la politique en Angleterre sont dénichées, traduites et insérées dans le journal”. Voir son ouvrage Persian Women and Their Ways, 271.