Maroc: Avortement : Les politiques n’en veulent pas

Source: 
Le Soir

La société marocaine n’est pas encore mûre pour aborder ce genre de sujet!». La PJDiste Bassima Hakkaoui conteste la tenue du premier congrès sur les grossesses non désirées. Organisé les 28 et 29 mai à Rabat par l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC), ce débat est, pour la députée, «prématuré» : «Ce n’est pas le moment de parler de l’avortement ni d’en débattre surtout de cette manière. Il n’y a toujours pas de base concrète pour le faire». Bassima Hakkaoui, qui a mis mal à l’aise plus d’un participant dès la première session du congrès, légitime sa prise de position par l’inexistence d’un projet de loi sur l’avortement qui pourrait servir de base à l’événement. « Le PJD avait engagé une discussion avec le président de l’AMLAC  pour que ce dernier expose la situation et que nous puissions en débattre. Cela dit, il n’y a pas de document sur lequel nous travaillons aujourd’hui ».

La députée a mis le doigt sur ce qui pose le plus de problèmes aux yeux de l’association initiatrice du congrès: l’appui politique. «C’est le point noir»!, regrette le président de l’AMLAC, le Pr. Chafik Chraïbi. Pour lui, les partis politiques ayant, pourtant, montré leur intérêt, à s’engager dans la bataille contre les grossesses non désirées se rétractent. «Le PAM, le PPS, l’USFP, le PI et le PJD nous ont tous assuré leur volonté de nous soutenir. Mais, au congrès, ils ont, tout simplement, brillé par leur absence du débat constructive », s’indigne le Pr. Chafik Chraïbi accusant Bassima Hakkaoui d’avoir «délibérément semé la zizanie» au sein du congrès afin de « le casser» : « L’extrême majorité des participants a contesté les interventions des membres présents du PJD, dont Bassima Hakkaoui, qui ont pris la parole, tout au long du congrès, pour critiquer négativement chacun des intervenants ».

Gêné par la présence défavorable du PJD, déçu par l’absence d’autres, le président de l’AMLAC a, toutefois, trouvé un certain réconfort auprès de deux partis politiques: RNI et PPS. «J’ai envoyé des courriers à tous les secrétaires généraux des partis politiques et présidents des groupes parlementaires. Seuls le PPS et le RNI ont délégué un représentant pour assister au congrès. Le premier a été présenté par Touria Skalli, qui est présidente de l’Association des gynécologues privés de Casablanca, et le second par Noureddine Lazrak, maire de Salé »

« Sur le plan juridique, nous sollicitons l’assouplissement de l’article 453 du code pénal n’autorisant l’avortement que si la santé de la mère est en danger ».

Malgré l’absence de l’écrasante majorité des politiques, l’AMLAC estime que l’expérience du premier congrès de ce  genre n’est pas un échec. « Sur la liste des inscrits à cette rencontre figurent 380 personnes de tout bord : médecine, éthique, religion, justice, droits de l’Homme… Le fait de réunir autant de personnalités est en soit un succès et montre aussi à quel point ce sujet les intéresse », affirme le président de l’AMLAC, également chef du Service de gynécologie obstétrique à la maternité des Orangers (CHU Ibn Sina). Pour ce dernier, la réussite de ce congrès, c’est aussi l’aboutissement de plusieurs recommandations axées en premier sur la prévention. A ce propos, les congressistes ont appelé à une éducation sexuelle au sein des associations et des écoles par un personnel formé. «Nous voudrions que le ministère de l’Education nationale instaure une matière spécifique où nos enfants apprendraient à raison d’une heure par semaine l’éducation sexuelle», explique le Pr. Chafik Chraïbi. Au volet préventif, les recommandations appellent au droit de la femme, quelle que soit sa situation familiale, aux moyens de contraception. Elles insistent aussi sur la création de centres d’écoute contre la violence sexuelle et d’orientation pour les femmes victimes de grossesses non désirées. «Sur le plan juridique, nous sollicitons l’assouplissement de l’article 453 du code pénal n’autorisant l’avortement que si la santé de la mère est en danger. Nous voudrions que le mot «santé» englobe aussi l’état mental de la mère», précise le président de l’AMLAC. Et d’insister sur la nécessité pour le législateur de prendre en considération les conditions dans lesquelles survient la grossesse non désirée (viol ou inceste), l’état psychologique de la femme, son âge et la malformation du fœtus, décelée au 4e mois de la grossesse.  

Les congressistes appellent, par ailleurs, à dépénaliser la mère célibataire et de lui offrir assistance. Ils estiment tout aussi urgent d’assurer une traçabilité permettant de suivre l’enfant né d’une mère célibataire afin de garantir sa protection. « Nous voudrions, également, qu’au sein de nos hôpitaux, il y ait une tentative d’établir l’identité du père afin d’encourager les mères célibataires à accoucher dans le milieu hospitalier au lieu de le faire n’importe où et dans n’importe quelle condition ». Maintenant que les recommandations sont bien établies, l’AMLAC se nourrit de l’espoir, celui de trouver un écho favorable auprès du Commandeur des croyants, le roi Mohammed VI.

Des recommandations pour que ça cesse ! Les grossesses non désirées sont à l’origine d’une moyenne de 500 avortements clandestins dans le milieu médicalisé au Maroc, selon l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC). «En Tunisie où l’avortement est légalisé, cette pratique est en baisse, contrairement aux croyances de certains. Légaliser n’est pas encourager !», martèle le président de l’AMLAC, Pr. Chafik Chraïbi. Il n’y a pas de registre au Maroc pour connaître avec précision le nombre des avortements pratiqués au Maroc. L’AMLAC se base sur l’expérience professionnelle pour établir des estimations et tire la sonnette d’alarme : «5.000 enfants sont abandonnés chaque année, et rien qu’en 2008, 2.800 condamnations pour viol ont été enregistrées par nos tribunaux». Le congrès de l’AMLAC a voulu attirer l’attention sur une situation sociale d’une extrême sensibilité et urgence.   «Les recommandations seront envoyées au Parlement, au Secrétariat général du gouvernement et à Sa Majesté le Roi», précise le Pr. Chafik Chraïbi. Aux yeux de l’AMLC, seul le signal royal pourrait faire bouger les politiques dans le sens de la société civile.