Algérie: Observatoire des Violences faites aux Femmes, Charte d’adhésion à l’Observatoire des Violences faites aux Femmes

Confrontées depuis des décennies à des violences, des féministes algériennes  ont décidé de créer un observatoire national, indépendant, sur les violences faites aux femmes. Si le thème n’est actuellement plus un tabou, grâce, notamment aux actions de l’ensemble du mouvement féminin et féministe national, les autorités algériennes, contraintes de se saisir de ce dossier, ne lui ont pourtant pas accordé l’attention que l’on pouvait espérer. Les femmes algériennes ont subi et subissent aujourd’hui encore des violences quotidiennes, des discriminations institutionnelles, des violences, et des viols, en particulier ceux perpétrés par des Islamistes auteurs de viols collectifs. A ce propos, ces femmes ont dû assister à l’amnistie accordée unilatéralement par l’Etat aux criminels, contraignant les victimes, assignées au silence, à taire douloureusement les violences subies. Elles n’ont donc pu ni être reconnues comme victimes, ni obtenir réparation.

Ces  femmes considèrent que si les autorités algériennes  n’ont apporté aucune réponse crédible et efficiente aux revendications formulées dans le domaine  des violences à l’égard des femmes, c’est d’abord parce qu’une telle réponse ne peut être que le fait d’un Etat légitime porteur d’un projet résolument démocratique et féministe. Or, dans ce domaine les autorités algériennes se satisfont d’un saupoudrage sous forme d’initiatives fortement médiatisées mais qui ignorent les acteurs sociaux et leurs revendications, leur déniant ainsi le statut de citoyennes. Cet échec est fondé d’abord sur une volonté de statut-quo, comme consacré par le Code de la famille ainsi que le silence des autorités  publiques  dans des cas avérés de violences à l’égard des femmes, comme ce fut le cas lors de la première comme de la seconde « expédition » contre des femmes à Hassi-Messaoud.

Rappelons-le, en 2001, dans la ville pétrolière, et donc fortement sécurisée, d’Hassi Messaoud, trente neuf (39) travailleuses furent sauvagement agressées par une centaine d’individus,  incitée par un Imam extrémiste de la mosquée locale et donc fonctionnaire de l’Etat. Des féministes ont alors réactivé leurs réseaux nationaux et internationaux. Elles  ont, avec des associations de défense des droits humains et des associations de femmes, réclamé des sanctions contre les auteurs de ces agressions. Trois criminels seulement  furent confondus et déclarés coupables en 2004, et le tribunal a reconnu, après de longues années, seulement à trois des femmes qui avaient été agressées le statut de victimes.

C’est dans ce contexte difficile, confrontées à la deuxième agression de Hassi Messaoud,  face à la défaillance de toutes les Institutions, que des femmes et des hommes se sont rassemblés et qu’aujourd’hui ont décidé de fonder l’Observatoire des violences faites aux femmes. Car ce sont précisément ces épisodes douloureux, qui les  révoltent contre  l’inefficacité complice de toutes les institutions, qui les incitent à se rassembler, hors de tout champ partisan, et à réfléchir à une organisation  indépendante, et autonome œuvrant en liaison étroite avec les associations actives dans le domaine de la défense des droits des femmes et de la promotion de l’égalité des sexes.

L’Observatoire des violences faites aux femmes rassemble toutes les personnes qui partagent le souci de voir  promulguées et mises en œuvre des lois qui protègent les femmes et pénalisent sévèrement les auteurs des violences à leur égard.

Cette action se veut l’héritière de la longue tradition de lutte des femmes algériennes inaugurée par les résistantes à toute pénétration coloniale, les Moudjahidate de la guerre de libération, les femmes victimes des violences islamistes, et toutes les anonymes qui luttent quotidiennement contre les violences.

Titre I

Objectifs

C’est donc en vertu de ce qui précède que l’Observatoire sur les violences faites aux femmes s’est fixé les objectifs suivants :

Objectif 1 : S’assurer que toutes les formes de violence faites aux femmes et aux filles dans les sphères privées et publiques commises  par des individus, des groupes ou des institutions soient traitées et comprises comme des violations des droits fondamentaux de la personne.

Objectif 2 : Plaider pour que toutes les lois nationales algériennes soient en pleine conformité  avec les articles 29[1] et 31[2] de la Constitution Nationale et dépourvues de toute ambigüité, tant dans leur rédaction que dans leur application.

Objectif 3 : Plaider pour que le pouvoir législatif se conforme à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination a l’égard des femmes qu’il a ratifiée. En effet, l’article 132 de la Constitution Nationale pose le principe de supériorité des traités internationaux sur les lois nationales.[3]

Objectif 4 : Etablir un état des lieux sur les violences faites aux femmes en Algérie sur la base de données fiables et actuelles recueillies sur tout le territoire national et qui seront par la suite analysées, interprétées et portées a la connaissance de l’opinion publique. En effet, il existe une connaissance très relative de ces violences ; quelques chiffres seulement ont été produits à l’occasion d’enquêtes parcellaires ou de rapports d’activité de certaines institutions.

 

Objectif 5 : Œuvrer de concert avec toutes les associations défenderesses des droits des femmes et promotrices de l’égalité des sexes ainsi qu’avec des professionnels du droit, des avocats, des médecins légistes, des représentants de la Justice, du Travail, de l’Education, de la Santé, de la Solidarité de la condition féminine et des représentants des forces de sécurité publique.

Objectif 6 : Devenir une structure de veille et d’interpellation, qui rassemble des féministes de l’ensemble du pays ainsi que tous les acteurs sociaux qui déploient des actions en faveur de la mise en place d’une politique, contre les violences faites aux femmes et  pour l’égalité entre les Algériennes et les Algériens. 

Objectif 7 : Susciter un débat public autour des violences faites aux femmes en vue de contribuer à la réalisation de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes par l’élimination de toutes formes de violence faites aux femmes, qui constituent un obstacle à la pleine réalisation de leurs droits. Cet objectif est aussi celui que s’est assigné l’ONU dans ses Objectifs du Millénaire pour le Developpement (OMD)[4] et auxquels  les autorités algériennes ont souscrits.

Objectif 8 : Renforcer le débat sur les violences faites aux femmes, en refusant sa banalisation et en répondant à ces violences de façon méthodique, grâce à son réseau de spécialistes et de militants (es)  sur le terrain.

Objectif 9 : Evaluer les reculs et les progrès réalisés en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, et ce, afin d’identifier les obstacles les écueils et les  lacunes qui persistent. 

Titre II

Principes

Afin d’atteindre les objectifs sus mentionnés l’Observatoire se dote de la présente Charte de principes pour l’abolition de toutes formes de violences faites aux femmes. L´Observatoire se fonde sur la définition de la violence faite aux femmes telle que consacrée dans la Plate forme d’action relative à la Convention Internationale sur l’Elimination de toutes les formes de discrimination a l’égard des femmes, adoptée en 1995 a Beijing.[5]

Article 1- L’Observatoire est indépendant de toute organisation politique, syndicale, religieuse, nationale ou internationale.

Article 2- L’Observatoire est ouvert à toute  personne indépendamment   de toute considération relative à la race, l’ethnie, l’handicap, le sexe ainsi que d’opinion et de conscience, et ce, conformément à l’article 36 de la Constitution Nationale.

Article 3- Les membres de l’Observatoire affirment que toutes les formes de violence faites aux femmes  dans les sphères privées et publiques commises  par des individus, des groupes ou des institutions doivent être traitées comme des violations  des Droits Humains fondamentaux.

Article 4- les membres de l’observatoire s’engagent sur la base du respect des principes qui consacrent l’égalité entre les hommes et les femmes. 

Article 5- Les membres de l’Observatoire s’engagent à inscrire leurs actions dans le cadre de la promotion, de la défense, et du respect de l’égalité, telle que consacrée par la Constitution notamment, ses articles, 29[6] et 31.[7]

Article 6- L’Observatoire est une structure de veille sur les violences faites  aux femmes.  Ses  membres s’engagent alors à constituer un groupe de pression, soudé et cohérent, rassemblant  toute personne mobilisée et active en faveur d’une politique claire et efficace visant à endiguer le phénomène de violence faites aux femmes et promouvant l’égalité des sexes.

Titre III

Missions

Article 7- Afin de répondre aux objectifs sus mentionnes, et conformément aux principes précédemment cites,  l’Observatoire se donne pour mission de :

  • Lutter  contre toutes les formes de violence faites aux femmes  dans les sphères privées et publiques, que les auteurs soient des individus, des groupes ou des institutions.
  • Contribuer à la réalisation effective de l’égalité entre les femmes et les hommes en luttant activement pour l’élimination de toute forme de violences faites aux femmes, et ce, conformément a l’OMD 3.[8]
  • Veiller à la conformité des lois nationales avec les  Pactes et Conventions  internationaux.
  • Œuvrer au respect de l’article 132 de la Constitution Nationale consacrant la primauté des lois internationales sur les lois nationales.[9]
  • Lutter pour la levée des réserves émises aux articles 2,[10] 9,[11] 15,[12] et 16[13]  de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination a l’égard des femmes, qui remettent en cause l’essence même de la convention ratifiée.
  • Se mobiliser pour la ratification du Protocole facultatif à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ainsi que du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes.
  • Lutter pour l’abrogation du Code de la Famille, en faveur de lois civiles égalitaires.
  • Renforcer le débat sur les violences faites aux femmes pour mettre fin à la banalisation de ce phénomène, et y répondre, de façon méthodique.
  • Examiner et proposer des projets  de loi relatifs à la lutte contre les violences faites aux femmes.
  • Lutter pour la criminalisation des violences faites aux femmes.
  • Evaluer les reculs et les progrès réalisés dans la lutte contre les violences faites aux femmes, afin de déceler les obstacles et  les lacunes qui persistent.
  • Développer des activités de recherches et de documentation
  • Faire converger l’activité des associations, le travail des  professionnels et des différents intervenants (médecins, psychiatres, psychologues, juristes…)  au bénéfice des femmes victimes.
  • Se constituer partie civile dans  les affaires judiciaires relatives aux  violences faites aux femmes.
  • Promouvoir toute action de sensibilisation des institutions et de l’opinion publique  aux conséquences des violences faites aux femmes sur l’intégrité de la personne, sur la cohésion sociale et sur la paix.

Article 8 : Les membres de l’Observatoire œuvrent pour la reconnaissance de toutes les femmes victimes de violence, et l’inscription de l’apport des luttes des femmes dans la construction de la Nation Algérienne.

Souscription

Toute personne désireuse d’adhérer à l’Observatoire des Violences Faites aux Femmes doit souscrire aux objectifs et missions de l’Observatoire, et s´engage à respecter ses principes fondateurs.

 

Signature :

Fait à Alger le 17 février 2012

Pour tout contact :

E.mail : ovif2011@gmail.com
Tel : (0) 666 610 723

 


[1] Article 29: “Les citoyens sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. » 

[2] Article 31 : « Les institutions ont pour finalité d’assurer l’égalité en droits et devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l’épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous, à la vie politique, économique, sociale et culturelle. »

[3] Article 132: Les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi. »

[4] OMD 3: "Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes"

[5] Plate forme d’action de Beijing (1995), paragraphe 4 :

¨La violence a l’egard des femmes concerne directement un grand nombre d’individus et les formes qu’elle prend sont tres variees: de la violence domestique (qui constitue sans doute la forme la plus courante de violence subie par les femmes) a la violence dans les conflits armes, du trafic international (qui genere de vastes profits pour la criminalite organisee) aux meurtres d’honneur en passant par l’infanticide des petites filles ou les mutilations genitales (qui se fonde sur le controle de la sexualite).¨

[6] Voir supra, note 1

[7] Voir supra, note 2

[8] Voir supra, note 4

[9] Voir supra, note 3

[10] Article 2 :

« Les Etats parties condamnent la discrimination à l’égard des femmes sous toutes ses formes, conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes et, à cette fin, s'engagent à :

a) Inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l’égalité des hommes et des femmes, si ce n'est déjà fait, et à assurer par voie de législation ou par d'autres moyens appropriés, l’application effective dudit principe;

b) Adopter des mesures législatives et d’autres mesures appropriées assorties, y compris des sanctions en cas de besoin, interdisant toute discrimination à l’égard des femmes;

c) Instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et garantir, par le truchement des tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire;

d) S'abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et faire en sorte que les autorités publiques et les institutions publiques se conforment à cette obligation;

e) Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes par une personne, une organisation ou une entreprise quelconque;

f) Prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes;

g) Abroger toutes les dispositions pénales qui constituent une discrimination à l’égard des femmes.”

[11] Article 9 :

« 1. Les Etats parties accordent aux femmes des droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne l’acquisition, le changement et la conservation de la nationalité ils garantissent en particulier que ni le mariage avec un étranger, ni le changement de nationalité du mari pendant le mariage ne change automatiquement la nationalité de la femme, ni ne la rend apatride, ni ne l’oblige à prendre la nationalité de son mari ce qui concerne la nationalité de leurs enfants.

2. Les Etats parties accordent à la femme des droits égaux à ceux de l’homme en ce qui concerne la nationalité de leurs enfants.”

[12] Article 15 :

« 1. Les Etats parties reconnaissent à la femme l’égalité avec l’homme devant la loi.

2. Les Etats parties reconnaissent à la femme, en matière civile, une capacité juridique identique à celle de l’homme et les mêmes possibilités pour exercer cette capacité. Ils lui reconnaissent en particulier des droits égaux en ce qui concerne la conclusion de contrats et l’administration des biens et leur accordant le même traitement à tous les stades de la procédure judiciaire.

3. Les Etats parties conviennent que tout contrat et tout autre instrument privé, de quelque type que ce soit, ayant un effet juridique visant à limiter la capacité juridique de la femme doit être considéré comme nul.

4. Les Etats parties reconnaissent à l’homme et à la femme les mêmes droits en ce qui concerne la législation relative au droit des personnes à circuler librement et à choisir leur résidence et leur domicile.”

[13] Article 16 :

« 1. Les Etats parties prennent toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux et, en particulier, assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme :

a) Le même droit de contracter mariage;

b) Le même droit de choisir librement son conjoint et de ne contracter mariage que de son libre et plein consentement;

c) Les mêmes droits et les mêmes responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution;

d) Les mêmes droits et les mêmes responsabilités en tant que parents, quel que soit leur état matrimonial, pour les questions se rapportant à leurs enfants; dans tous les cas, l’intérêt des enfants sera la considération primordiale;

e) Les mêmes droits de décider librement et en toute connaissance de cause du nombre et de l’espacement des naissances et d’avoir accès aux informations, à l’éducation et aux moyens nécessaires pour leur permettre d’exercer ces droits;

f) Les mêmes droits et responsabilités en matière de tutelle, de curatelle, de garde et d’adoption des enfants, ou d’institutions similaires, lorsque ces concepts existent dans la législation nationale; dans tous les cas, l’intérêt des enfants sera la considération primordiale;

g) Les mêmes droits personnels au mari et à la femme, y compris en ce qui concerne les choix du nom de familles d'une profession et d'une occupation;

h) Les mêmes droits à chacun des époux en matière de propriété, d’acquisition, de gestion, d'administration, de jouissance et de disposition des biens, tant à titre gratuit qu'à titre onéreux.

2. Les fiançailles et les mariages d’enfants n’auront pas d'effets juridiques et toutes les mesures nécessaires, y compris des dispositions législatives, seront prises afin de fixer un âge minimal pour le mariage et de rendre obligatoire l’inscription du mariage sur un registre officiel.”

 

 

 

Source: 
Observatoire des Violences faites aux Femmes