Algérie: Le silence des femmes encourage le harcèlement sexuel

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IPS
Méprisée et traumatisée par des années de malheurs et de peines, la femme algérienne n'a pas courbé l'échine, même devant la barbarie terroriste de la décennie noire (1992-2002).
Pourrait-elle résister autant face à cette autre forme d'abus qu'est le harcèlement sexuel?
Les multiples actes de violences terroristes, commis par des groupes islamistes durant cette décennie noire en Algérie, n'ont pas du tout épargné les femmes dont certaines ont été tuées, violées tandis que d'autres y ont perdu leur mari ou des parents proches.

Selon des statistiques officielles, quelque 150.000 personnes auraient été tuées par des islamistes depuis le début des années 1990, et environ 10.000 autres sont portées disparues du fait des services de sécurité algériens.

L'initiative prise par les femmes travailleuses, face aux proportions alarmantes prises par le harcèlement sexuel, permet d'espérer. L'on serait même tenté de dire que le Centre d'écoute et d'assistance aux femmes victimes de harcèlement sexuel -- créé en décembre 2003 -- est un pas en avant, ne serait ce que pour une prise en charge morale.

Si l'un des objectifs est de ''briser le silence'', comme le souligne Soumia Souilah, la quarantaine, l'initiatrice de ce centre basé à Alger, la capitale, le projet se greffe également à un autre, et non des moindres, celui de se constituer en association non gouvernementale - donc s'unir pour avoir plus de force et se défendre.

Les différents viols dont beaucoup de femmes étaient victimes -- et perpétrés par des terroristes -- semblent être retenus comme des leçons pour orienter les femmes dans leur défense pour l'avenir, notamment contre le harcèlement sexuel.

Elles sont des centaines de femmes à avoir recours au centre d'écoute financé par l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) -- le plus grand syndicat du pays -- mais elles sont très peu nombreuses à porter plainte pour des raisons socio-économiques, selon elles. Elles seraient environ un millier de femmes à avoir saisi la justice, selon des statistiques du centre d'écoute.

''On a peur pour nos postes d'emploi qui nous assurent la subsistance'', explique à IPS, un groupe de femmes victimes de harcèlement sexuel, qui veulent garder l'anonymat. ''Non seulement des preuves matérielles manquent pour statuer et trancher, mais encore, le concept de harcèlement est très vague, ce qui rend la procédure judiciaire difficile''.

Pour parer à cette situation, une campagne de sensibilisation est menée depuis quelques mois par la Commission nationale des femmes travailleuses (CNFT) et des groupes de défense des droits de l'Homme, consistant à insuffler un sens de courage et d'abnégation aux femmes victimes pour qu'elles acceptent de dénoncer leurs bourreaux et de les traduire devant des juridictions compétentes.

''L'heure n'est pas uniquement à l'écoute'', répète publiquement Souilah qui insiste sur la nécessité de ''dépasser l'étape de dénonciation dans la mesure où le harcèlement sexuel est consacré comme un délit dans le Code pénal'' algérien.

Les auteurs reconnus coupables de harcèlement sont condamnables à des peines d'emprisonnement de deux mois à une année, et à une amende allant de 600 à 1.200 dollars, selon le Code pénal. Mais, pour l'instant, aucune procédure n'a encore débouché sur une condamnation connue.

Selon les services de sécurité, les femmes ne déposent pas souvent de plainte contre leurs ''assaillants'' alors que dans les milieux judiciaires, l'on a tendance à admettre que la femme harcelée préfère garder le silence parce que les questions relatives au sexe relèvent du ''tabou''.

Le président de la Ligue algérienne des droits de l'Homme (LADH), Boudjemaa Ghechir, trouve l'explication du silence des femmes dans les ''mentalités'' qui, selon lui, ''restent un obstacle majeur'' qui empêche les femmes de se plaindre.

L'avocat Amar Zaidi, bien connu en Algérie, estime que ''la mentalité algérienne a son poids dans la décision de la femme victime de recourir à la justice pour faire valoir ses droits''. Il invite néanmoins les femmes à ''mener un combat dans la dignité, qui n'est pas un objet de marchandage''.

Les raisons socio-économiques constituent également, selon D.M., une journaliste algérienne, ''une considération non négligeable. Une femme travailleuse'', explique-t-elle, ''qui perçoit mensuellement un salaire qui lui permet de subvenir aux besoins de ses enfants, éprouve toutes les peines du monde à oser dénoncer ses harceleurs en courant le risque de se retrouver sans emploi''.

C'est une opinion que partagent beaucoup de victimes interrogées par IPS, indiquant que ''les bourreaux sont généralement souvent bien placés dans la société pour être inquiétés par une quelconque dénonciation ou une sentence''.

Selon la CNFT, les victimes dont l'âge varie de 21 à 55 ans - souvent des femmes mariées - sont harcelées beaucoup plus dans des services publics que dans le secteur privé par leurs chefs hiérarchiques qui ont la liberté et les moyens de se défendre.

Comme les célibataires, les femmes mariées ne sont pas épargnées par les auteurs des harcèlements sexuels plus fréquents généralement dans les écoles et les milieux de la santé, ajoute la CNTF.

''C'est la dégradation totale des valeurs morales de notre société qui ont pourtant pour socle les préceptes de l'islam'', souligne Lila B., une femme travailleuse qui ajoute que ''dans le passé, seules les femmes célibataires étaient harcelées; mais de nos jours, les auteurs s'attaquent à toutes celles qui se trouvent dans leur champ de vision''.

Par ailleurs, un communiqué, publié ce mois par des groupes islamistes anonymes, invite les femmes à ''s'habiller dans les normes au risque d'être traitées comme des objets sans valeur''.

En outre, une dizaine d'étudiantes de la cité universitaire de Dergana, à Alger, avaient adressé, l'année dernière, une requête au président algérien Abdelaziz Bouteflika, le priant d'intervenir pour mettre fin aux agissements de leur directeur qui, selon leur témoignage, se serait rendu coupable de ''harcèlement sexuel, d'agression physique et de chantage'' à leur encontre.

Le chef de l'Etat a ordonné, en octobre 2004, au ministre de l'Enseignement supérieur, Rachid Harraoubia, d'ouvrir une enquête sur cette affaire scandaleuse, restée sans suite. Et rien n'à été fait, jusqu'à présent, pour apaiser les inquiétudes des étudiantes. Mais, elles ont exigé à nouveau, la semaine dernière, que des sanctions soient prises contre leurs ''assaillants''.

Pourtant, l'amendement adopté en octobre 2004 par l'Assemblée populaire nationale dans l'article 341 du Code pénal algérien -- et qui condamne les auteurs coupables de harcèlement sexuel à des peines prison -- est considéré déjà comme un progrès dans la société algérienne fortement marquée par des tabous de l'islam. Cette disposition avait été introduite dans le code pénal à l'initiative de la CNFT et de la LADH.

Mais un long parcours du combattant attend encore la femme algérienne qui doit perpétuer la lutte pour la vie dans la dignité et ne pas céder aux divers chantages des hommes, notamment ceux de leurs chefs de service. (FIN/2005)

Kaci Racelma, IPS