Tunisie: Hijab, niqab et autres draps venus d’ailleurs
NDLR : Pour les besoins de la rédaction, aucune femme n’a été maltraitée, exploitée ou battue. Aucun hijab ni niqab n’ont été brûlés. Seuls le recours à la raison humaine finie et quelques tasses de café ont été de mise. L’exception tunisienne est désormais renversée. A l’heure où les Saoudiennes, les Iraniennes et autres confinées sous les tissus de misère se battent pour leurs droits d’êtres et de citoyennes, les Tunisiennes, qui à ce jour portaient le flambeau de l’émancipation féminine dans le monde arabo-musulman, voient certaines de leurs compatriotes abandonner le front et tirer, telles des mercenaires, sur leur propre camp. « Mon niqab est ma liberté », scandent les voilées jusqu’à l’œil. Elles y croient dur comme fer. Elles se disent libres de renoncer à leur liberté, telles un agonisant sur son lit de mort qui vous martèle : « Je suis libre de m’euthanasier.»
La sacro-sainte liberté personnelle, qu’on n’y touche pas. Vous entendez ? La liberté de culte et un devoir dit religieux, imparables. Vous voulez en parler ? Vous allez vous égarer sur un champ miné. Le débat est clos, esquivé plutôt. Et gare à vous si la raison vous pousse à y voir plus clair. Vous pensez jouir enfin de la liberté d’expression, vous ne connaitrez pas celle de penser. Gare à vous si vous critiquez le port du hijab, niqab, tchador et autres draps venus d‘ailleurs. Vous êtes - au choix - islamophobe, athée, RCDiste, sioniste et un larbin de l’Occident. Que nenni concitoyens! Que nenni, c’est relou et rimbou! Les musulmanes « tuniso-tunisiennes » veulent comprendre, se questionnent. Sommes-nous moins musulmanes que les Koweitiennes, les Afghanes, les Pakistanaises ? Non. Alors pourquoi ce nouveau schisme textile qui nous divise à l’intérieur de nos frontières ? Toutes les générations de safsari –et sans safsari- qui nous ont précédées ne connaissaient pas l’Islam ? Ou le hijab est à la musulmane ce que l’habit est au moine ?
Quand la technologie sert l’obscurantisme
D’autres questions se posent, sur le petit écran cette fois. Faut-il cacher les deux mains, un doigt, plusieurs ? Faut-il cacher un œil, les deux, aucun ? Le débat sur le voile est désormais réduit à cela, au nombre de centimètres carrés de peau tolérés. Une version plutôt soft de ce que vous pouvez écouter sur les chaines satellitaires. En effet, parmi les résultats d’une rencontre anachronique entre les intellects rétrogrades et les nouvelles technologies, figurent les émissions religieuses rigoristes du Golfe, les conquistadors de l’audimat dont le nom vous promet la lumière du cœur, une paix spirituelle, une foi sereine. Vous y trouvez de longs débats sur l’art du châtiment ou comment battre sa femme sans l’humilier. Sadisme vous dites ? Ça y ressemble. Vous découvrez un nouveau clergé audio-visuel qui vous dicte entre autres ce qu’il faut porter, ce qu’il faut penser, si les animaux sont hram (véridique) et si les hommes doivent uriner debout ou assis (véridique aussi). Est-ce là vos préoccupations concitoyens? Sur une de ces chaînes, un homme sorti des ténèbres vante les mérites des satellites dans l’endoctrinement des cerveaux tunisiens. Une sorte de croisade satellitaire du XXIème siècle mi-wahhabite mi-salafiste. L’homme de Cro-Magnon, dont la longueur des poils faciaux est inversement proportionnelle à celle des dendrites de ses neurones, jubile. « Fatahna Tounes», assure-t-il. Il crache sur la tombe de nos penseurs, piétine de ses pieds poussiéreux notre Histoire quadri-millénaire et personne ne zappe.
Safsari Vs. Hijab
Toute une technique que de mettre le hijab. Sauf qu’au son «triq » de l’épingle qui se ferme, certaines pensent sceller en elle la vérité absolue. Si vous froncez les sourcils à la vue de cet ornement austère - les couleurs et les goûts ne se discutent pas cela dit - c’est l’islam que vous critiquez. Pire, c’est Allah que vous niez. N’est-ce pas là le vrai blasphème ? On vous ferait douter de votre islam et de celui de vos aïeules, les bédouines au front tatoué, dans leurs malyas colorées. Le hijab est si étranger aux musulmanes « tuniso-tunisiennes » que les féministes les plus farouches d’entre elles finiraient par ressentir la nostalgie du safsari. Si la Tunisie sombre dans l’obscurantisme et que la menace du vitriol les contraint à se couvrir entièrement, la mode étant au , elles porteront les habits de leurs grands-mères et non ceux revisités par Hassan Al Banna et Khomeiny. Là au moins, c’est tunisien. Tu-ni-sien.
Niqab, faux débat
Débattre d’un sujet quel qu’il soit ne se résume pas à la question : « Etes-vous pour ou contre? » Imaginez un débat sur l’esclavage qui aborderait la question : « Pour ou contre les punitions corporelles ? » Le fouet est toléré mais la mutilation est considérée contre-productive. Et l’esclavagisme lui-même ?! Le principe. Le radical. Le rhizome. Personne n’en parle. De même, le débat sur le niqab est tronqué et d’autant plus faussé par des crispations identitaires dues au même débat tenu à l’extérieur de nos frontières. Il se réduit à un simulacre d’échanges qui font diversion et créent, par effet ricochet, un laxisme inconscient vis-à-vis du hijab. Pourquoi le hijab et pas le niqab me direz-vous ? Pour des mesures de sécurité répliquent les plus pragmatiques. Les hypocrites aussi. Et tous ceux qui ne veulent pas se mouiller parce qu’ils se disent tolérants. La tolérance n’exclue pas la prise de position. Tout comme le respect n’empêche pas la critique. Qu’on ne s’y trompe pas alors. Hijab, niqab : même combat. Réduire leur port à une liberté vestimentaire -je suis libre de le porter comme tu es libre de porter des chaussettes rayées- c’est nier le message fort qu’ils portent, le poison qu’ils véhiculent : le corps de la femme est le territoire de l’homme. Levons le voile question : le voile est-il une obligation religieuse? Jusqu’à ce jour les différentes écoles ne trouvent pas réponse commune. Les avis divergent selon que la « awra » d’une femme réside également dans ses cheveux, son visage, ses mains ou les trois. Ce qui laisse le temps à nous autres communs des mortels, exclus de la surenchère des hadiths, au savoir théologique restreint et au raisonnement métaphysique limité, d’appréhender la chose autrement : une lecture qui met au centre de sa logique l’humain.
Le hijab augmente-t-il la foi d’une femme? La foi est-elle alors quantifiable ? Si oui, comment peut-on la jauger ? La théologie n’établit pas de lien attestable entre le voile et la foi, un objet extérieur fini et un assentiment subjectif, intérieur et non fini. La tâche à laquelle s’attèlent les théologiens est d’interpréter les textes religieux et y puiser la réponse à Le paradoxe de liberté La fonction du hijab est de dissimuler une chevelure féminine susceptible de réveiller l’instinct incontrôlable du mâle, supposé sexuellement instable. Ce tissu relève moins d’une relation verticale, transcendantale, entre la femme et Dieu que d’un rapport horizontal, profane, terrien, entre la femme et l’homme. Il ne s’agit pas ici de quelques individus isolés mais de rapports sociaux qui nous transcendent. Alors, présenté comme le choix personnel de certaines, le hijab concerne inéluctablement toutes les femmes.
Le hijab est l’emblème de la soumission sociale à l’homme. C’est bien de l’homme avec un petit h qu’il s’agit, son regard, son désir, sa volonté. C’est en réponse à cela, à la « nature » masculine que la femme se voile. D’où le paradoxe de la liberté. Aussi libre et personnel soit-il, se voiler est un choix liberticide et en totale contradiction avec l’autonomie féminine. Le niqab vient renchérir. Plus qu’une soumission à l’homme, il est la déclinaison vestimentaire de la négation de soi. Un acte d’aliénation féminine. Une auto-humiliation que certaines s’infligent alors que d’autres aspirent à la dignité, à une société égalitaire et une citoyenneté sans frontières sexuelles.
Ons Bouali Achevé de rédiger le 22 avril 2011
Par : Ons Bouali