Algérie: "Cette réforme est une concession de plus faite aux islamistes"
Source:
Le Monde Entretien avec Ourida Chouaki, présidente de l'association féministe "Tharwa n'Fadma n'Soummer".
Ourida Chouaki, vous êtes présidente de l'association "Tharwa n'Fadhma n'Soummer", du nom d'une figure emblématique du féminisme algérien du milieu du xixe siècle, et membre du collectif "le code de la famille, 20 ans ça suffit !". que pensez-vous du nouveau code de la famille ?
A lire l'exposé des motifs des projets d'amendement tels qu'ils ont été élaborés à l'été 2004, on pouvait penser que le pouvoir se dirigeait vers davantage d'égalité entre les hommes et les femmes.
Il était souligné que la société algérienne avait évolué et qu'il fallait se mettre en conformité avec notre Constitution qui consacre l'égalité entre tous les citoyens, en conformité aussi avec les conventions internationales que l'Algérie a ratifiées. En lisant mieux ces projets d'amendement, on s'est aperçu cependant assez vite qu'il n'y avait pas de vraie volonté en ce sens. Il y avait trop d'ambiguïtés dans les amendements. Beaucoup de points n'étaient pas clairs et permettaient trop de lectures différentes possibles.
Un point nous paraissait pourtant positif : la question du tutorat matrimonial. On pouvait prendre cela pour une avancée. Car il était alors dit que les femmes pourraient se marier sans leur tuteur, sauf si elles le désiraient. Ce "sauf si elles le désiraient" nous avait déjà mises en alerte. Nous avions raison d'être méfiantes : le conseil des ministres a finalement renoncé à cet amendement. Nous n'avons donc même pas obtenu d'avancée sur ce point.
Pour les mouvements féministes en Algérie, c'est une grosse déception ?
C'est une concession de plus qui est faite aux islamistes, notre déception vient plutôt de là. L'article sur le tutorat les dérangeait particulièrement. Sur la question du logement, les islamistes étaient d'accord. Mais le tutorat était leur cheval de bataille. Pour eux, c'est une façon de conserver la femme sous l'autorité masculine. Et là, ils ont réussi à s'appuyer sur la population.
Socialement, l'autorité du père et du frère sur le mariage est très forte en Algérie. Les islamistes ont réussi à faire croire que, privée du tuteur matrimonial, la femme pourrait se marier sans en référer à ses proches. Bref, qu'on était en train de donner trop de liberté aux femmes. Ils ont fait de cette question une utilisation politique et lancé une campagne de signatures. Nous ne pensions pas que le président Bouteflika, qui avait lui-même souhaité mettre fin au tutorat, s'inclinerait finalement devant eux.
Le nouveau code, selon certains, comporte tout de même des avancées. La question du logement, dont vous parliez il y a un instant, n'en est-elle pas une ?
Même en ce qui concerne le logement, les choses ne sont pas claires. Il est dit, par exemple, que les enfants seront maintenus dans le logement conjugal tant que la procédure de divorce ne sera pas réglée. La mère ? On n'en parle pas. Voilà une ambiguïté de plus. Dans l'ensemble, nous ne sommes pas convaincues du tout par ces amendements. Il s'agit d'aménagements et non de changements de fond. Et ces aménagements ne sont là que pour réaffirmer l'infériorité de la femme et la suprématie de l'homme.
Ce qui apparaît par ailleurs très clairement, c'est le pouvoir donné au juge. Dans plusieurs articles du code, c'est à lui que revient, en fait, la décision. Le juge se voit donc octroyé un pouvoir exorbitant, encore plus que par le passé, en fonction de ses interprétations et convictions personnelles.
Votre souhait était une abrogation pure et simple du code de la famille ?
En effet. Le code de la famille est une discrimination en soi. En Algérie, tous les codes sont civils. Que l'on soit homme ou femme, on est majeur devant la loi. Il n'y a que le code de la famille qui relève de la charia. Nous réclamons, dans ce domaine également, des lois civiles égalitaires et nous continuerons à lutter en ce sens.
Propos recueillis par Florence Beaugé
. ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.02.05
A lire l'exposé des motifs des projets d'amendement tels qu'ils ont été élaborés à l'été 2004, on pouvait penser que le pouvoir se dirigeait vers davantage d'égalité entre les hommes et les femmes.
Il était souligné que la société algérienne avait évolué et qu'il fallait se mettre en conformité avec notre Constitution qui consacre l'égalité entre tous les citoyens, en conformité aussi avec les conventions internationales que l'Algérie a ratifiées. En lisant mieux ces projets d'amendement, on s'est aperçu cependant assez vite qu'il n'y avait pas de vraie volonté en ce sens. Il y avait trop d'ambiguïtés dans les amendements. Beaucoup de points n'étaient pas clairs et permettaient trop de lectures différentes possibles.
Un point nous paraissait pourtant positif : la question du tutorat matrimonial. On pouvait prendre cela pour une avancée. Car il était alors dit que les femmes pourraient se marier sans leur tuteur, sauf si elles le désiraient. Ce "sauf si elles le désiraient" nous avait déjà mises en alerte. Nous avions raison d'être méfiantes : le conseil des ministres a finalement renoncé à cet amendement. Nous n'avons donc même pas obtenu d'avancée sur ce point.
Pour les mouvements féministes en Algérie, c'est une grosse déception ?
C'est une concession de plus qui est faite aux islamistes, notre déception vient plutôt de là. L'article sur le tutorat les dérangeait particulièrement. Sur la question du logement, les islamistes étaient d'accord. Mais le tutorat était leur cheval de bataille. Pour eux, c'est une façon de conserver la femme sous l'autorité masculine. Et là, ils ont réussi à s'appuyer sur la population.
Socialement, l'autorité du père et du frère sur le mariage est très forte en Algérie. Les islamistes ont réussi à faire croire que, privée du tuteur matrimonial, la femme pourrait se marier sans en référer à ses proches. Bref, qu'on était en train de donner trop de liberté aux femmes. Ils ont fait de cette question une utilisation politique et lancé une campagne de signatures. Nous ne pensions pas que le président Bouteflika, qui avait lui-même souhaité mettre fin au tutorat, s'inclinerait finalement devant eux.
Le nouveau code, selon certains, comporte tout de même des avancées. La question du logement, dont vous parliez il y a un instant, n'en est-elle pas une ?
Même en ce qui concerne le logement, les choses ne sont pas claires. Il est dit, par exemple, que les enfants seront maintenus dans le logement conjugal tant que la procédure de divorce ne sera pas réglée. La mère ? On n'en parle pas. Voilà une ambiguïté de plus. Dans l'ensemble, nous ne sommes pas convaincues du tout par ces amendements. Il s'agit d'aménagements et non de changements de fond. Et ces aménagements ne sont là que pour réaffirmer l'infériorité de la femme et la suprématie de l'homme.
Ce qui apparaît par ailleurs très clairement, c'est le pouvoir donné au juge. Dans plusieurs articles du code, c'est à lui que revient, en fait, la décision. Le juge se voit donc octroyé un pouvoir exorbitant, encore plus que par le passé, en fonction de ses interprétations et convictions personnelles.
Votre souhait était une abrogation pure et simple du code de la famille ?
En effet. Le code de la famille est une discrimination en soi. En Algérie, tous les codes sont civils. Que l'on soit homme ou femme, on est majeur devant la loi. Il n'y a que le code de la famille qui relève de la charia. Nous réclamons, dans ce domaine également, des lois civiles égalitaires et nous continuerons à lutter en ce sens.
Propos recueillis par Florence Beaugé
. ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.02.05
Submitted on Wed, 03/09/2005 - 00:00