Dossier 9-10: Lavons notre linge sale: les femmes contre les intégrismes, un an après

Publication Author: 
Clara Connolly
Date: 
décembre 1991
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number of pages: 
232
Les origines

La campagne contre les «Versets Sataniques» a révélé qu’une proportion de plus en plus confiante et militante de la communauté asiatique marche sous la bannière de l’Islam plutôt que de l’anti-racisme. Les socialistes - longtemps inhabitués aux passions éveillées par la religion - ont été pris au dépourvu. Les féministes, commençant à intégrer l’importance que les féministes noires donnent à l’autonomie culturelle face au racisme, ont été tout autant embarrassées par la métamorphose de la «culture» en une manifestation de la masculinité dans les rues. En dépit de leur malaise de savoir que la défense de la liberté d’expression a traditionnellement relevé de la responsabilité des radicaux, les deux mouvements ont largement laissé la défense de Rushdie à ses pairs des cercles littéraires libéraux.

Cependant, lors de la Journée Internationale de la Femme, au comble de la fureur post-fatwa, les Southall Black Sisters et la section des femmes du Ealing Labour Party ont tenu une réunion publique consacrée à la défense de Rushdie qui devait aider à dissiper une telle confusion. SBS, qui est à présent un Centre principalement asiatique de conseil et de campagne situé à l’ouest de Londres, fut créé il y a dix ans, au plus chaud du bouillonnement politique noir et anti-raciste. Son rapport décennal «Against the Grain» (SBS, 1990) donne un compte rendu éloquent de son évolution et de ses préoccupations actuelles. S’organiser contre la violence les a mises en conflit avec les dirigeants communautaires locaux et la gauche anti-raciste. Accusées, avec d’autres féministes noires et des minorités ethniques, de «laver leur linge sale» aux dépens de l’unité anti-raciste, elles ont riposté par une attaque bien inspirée de la politique du multiculturalisme, qui voit dans les communautés minoritaires des entités homogènes au détriment de la classe et en particulier du conflit des sexes (Sahgal, 1989).

Un des facteurs qui ont permis à SBS de bénéficier de quelque tolérance tient au caractère de Southall, bastion sikh (et non musulman), avec une forte tradition d’organisation politique sur des bases laïques.

Néanmoins, le climat de l’époque a conféré à la réunion qu’elles ont organisée un caractère spectaculaire. Elle attira beaucoup de monde et une déclaration de défi fut publiée pour la défense de Rushdie, insistant pour que la voix des femmes fût entendue au-delà de la clameur des intégristes. «Notre vie ne sera pas définie par les dirigeants de la communauté» (WAF, 1989), - le ton était celui d’un puissant défi à l’orthodoxie anti-raciste.

Encouragée par les réactions à cette réunion, SBS décida d’établir un réseau de femmes opposées à l’intégrisme religieux. La première réunion, tenue au London Women’s Center en mai 1989, attira des féministes d’autres groupes d’Asiatiques et de diverses minorités ethniques qui, en raison de leur lutte contre les puissantes autorités religieuses à l’étranger, étaient en mesure de comprendre la menace ainsi posée à l’auto-organisation des femmes asiatiques. Le mouvement des Femmes Contre l’Intégrisme (WAF) fut créé par une déclaration appelant «à la séparation de l’Etat et de la religion en Grande Bretagne comme condition préalable pour combattre l’intégrisme», (WAF, 1989). L’élan initial de WAF fut la préoccupation des féministes asiatiques de se démarquer des dirigeants religieux - pourquoi alors cette insistance sur les relations entre l’Etat et la religion en Grande-Bretagne ? Cela vaut la peine de s’arrêter pour saisir la logique à l’œuvre ici, puisqu’il s’agit de la clé des buts politiques de WAF.

Religion, éducation, intégrisme

La Grande-Bretagne se trouve dans une situation historique particulière, celle d’être largement indifférente à la religion dans sa vie civile, progressiste dans ses lois sur des problèmes-clés tels que l’avortement et le divorce et en même temps, professant constitutionnellement et privilégiant une forme de christianisme dont les origines sont notoirement politiques. Il y a une Eglise établie, étroitement liée aux institutions parlementaires ; un ensemble de lois anti-blasphèmes qui ne protègent que les groupes chrétiens ; et un système étatique d’enseignement profondément influencé par le christianisme. Les églises anglicanes sont remplies de touristes et vides de fidèles, mais l’anglicanisme demeure une composante centrale de l’Anglais distingué. (Les formes les plus bouillonnantes du christianisme sont la conservation des régions extérieures ou des ordres inférieurs du Royaume-Uni).

L’insistance de WAF sur le domaine politique découle de notre compréhension de l’intégrisme moderne en tant que mobilisation de l’affiliation religieuse à des fins politiques. Le projet intégriste a deux buts en corrélation. D’abord vient la phase d’auto-définition politico-religieuse, par un processus de redécouverte (ou d’invention) des «fondements» de l’appartenance religieuse. Celle-ci se défoule invariablement au détriment de l’autonomie des femmes et des enfants - ils sont considérés comme une propriété communautaire qui a besoin de protection, particulièrement dans la sphère sexuelle, contre les profanes de l’extérieur. Ceci encourage et réduit à la fois le statut des femmes et des enfants - d’où la nature parfois fragile de leur gratitude envers leurs protecteurs.

Ensuite vient la phase de la marche, moment où le mouvement politico-religieux nouvellement conscient bande ses muscles contre l’Etat. Dans des pays comme les Etats-Unis, l’Egypte ou l’Inde, où un genre populaire de nationalisme a été soit anti, soit multi-confessionnel, leurs exigences ont été soit anti-laïques soit mono-confessionnelles, lançant dans tous les cas un défi sérieux au statu-quo. Mais en Grande-Bretagne, ils sont pour plus de la même chose plutôt que pour moins.

Ainsi, par exemple, les Chrétiens peuvent insister pour que le chrétien de nom devienne chrétien dans les faits (comme cela se passe dans l’enseignement) et les Musulmans, apparemment, n’ont qu’à demander que les privilèges de la majorité soient étendus aux minorités. Ceci confère aux exigences des intégristes musulmans un air raisonnable que ceux qui s’avouent modérés peuvent soutenir. L’affaire Rushdie fut le catalyseur crucial d’un consensus musulman apparemment sans trouble (et supra-racial) en Grande-Bretagne. C’est ce genre d’affiliation politico-religieuse qui est une menace pour les identités politiques plus progressistes à laquelle s’oppose WAF. Il devrait aller sans dire, mais tel n’est pas le cas, que WAF soutient le principe de la liberté de culte - elle n’est pas une organisation anti-religieuse.

L’image publique de WAF

Notre contre-manifestation par rapport à la marche islamique du 27 mai de l’année dernière a fourni à WAF l’occasion d’exposer nos thèses dans les médias - mais dans une certaine mesure. Les chercheurs ont toujours demandé des porte-paroles musulmans et ont été de loin plus intéressés par des arguments contre les dirigeants religieux musulmans que contre les privilèges du christianisme en Grande-Bretagne. Nous avons dû nous battre durement pour notre reconnaissance comme «organisation non-musulmane» (selon les termes de la BBC), également opposée à tout intégrisme religieux. Ceci était peut-être inévitable, étant donné nos origines et notre centre d’intérêt initial, ainsi que la répugnance des médias à remettre en question la prédominance des valeurs occidentales libérales et laïques, mais voulait bien dire que de nombreuses femmes noires et de minorités ethniques, sympathisantes de nos buts, étaient découragées de rejoindre ouvertement l’organisation par le caractère anti-islamique de notre image dans les médias.

Nous avons reçu une audience moins condescendante parmi les sections de la gauche, lors d’occasions comme la Conférence du Mouvement Socialiste de Sheffield, et lors d’une grande réunion tenue en marge de la conférence nationale du Labour Party (Parti travailliste) et organisée par des «Voix pour Rushdie». Les sections féminines locales du Labour Party ainsi que les groupes de syndicats d’enseignants nous ont invitées à de nombreuses réunions pour exposer notre cas. Pendant l’année, le centre d’intérêt a changé, passant du droit des femmes noires et de celles des minorités ethniques à la dissidence de l’orthodoxie religieuse et «multi-culturelle» aux problèmes plus spécifiques des écoles musulmanes.

La campagne pour l’éducation

Dans le sillage de l’affaire Rushdie, les exigences musulmanes pour des écoles religieuses séparées subventionnées par l’Etat, se faisaient avec plus d’assurance. Ceci a plongé dans une crise le «partenariat» délicat entre l’Eglise et l’Etat en Grande-Bretagne. Environ un tiers des écoles publiques en Grande-Bretagne font partie du secteur «bénévole» ou religieux ; l’écrasante majorité de celles-ci sont de l’Eglise anglicane ou catholique romaine, et quelques-unes sont juives (CRE, 1990, p. 4).

Légalement, il n’existe aucune raison pour laquelle les Musulmans, les Adventistes du Septième Jour ou tout autre groupe religieux minoritaire ne devraient pas mettre sur pied leurs propres écoles également, mais il y a eu une réticence considérable du Secrétaire d’Etat à l’Education d’accéder à leurs requêtes. Par exemple, l’Ecole islamique de Brent (nord-ouest de Londres) a été rejetée à deux reprises. Les raisons n’en ont pas été rendues publiques.

Une autre cause de grief est la disposition de la Loi de Réforme de l’Education de 1988 qui réintroduit le culte quotidien obligatoire dans toutes les écoles de comté (ou laïques). Celui-ci doit être à caractère «largement ou principalement chrétien» - une provocation à tous les non-Chrétiens, y compris ceux qui n’ont aucune confession religieuse.

Dans ce contexte, il aurait été impossible au WAF d’adopter une position d’opposition aux seules écoles musulmanes, quoique notre intérêt pour le débat sur l’enseignement découlait de cette opposition. Notre préoccupation était que des écoles musulmanes ont été créées pour les filles, dans un effort de contrôler leur sexualité et de renforcer leurs rôles définis par la religion de futures épouses et mères. Nous soutenons «qu’au cœur des programmes intégristes se trouve le contrôle des esprits et des corps des femmes» (WAF, 1989). Ceci fut la base de notre objection à l’idée d’écoles musulmanes séparées.

Une autre objection constitue la création d’écoles séparées en fonction des races, idée qui va à l’encontre de l’idéal d’une société pluraliste culturellement dynamique qui est l’aspiration (peut-être utopique) de beaucoup d’entre nous. Mais nous reconnaissons que le secteur de l’école chrétienne est ouvert à cette accusation, avec bien plus de justice. La Commission catholique pour la Justice raciale a affirmé que «certaines écoles catholiques se plient au désir des parents blancs d’envoyer leurs enfants dans une école pour blancs» (Catholic Media Office, 1984). Melanie Phillips a, dans un article récent, fait référence à un exemple particulièrement embarrassant :

«A Tower Hamlets, à l’extrême est de Londres, quelque 400 à 500 enfants bangladais languissent sans instruction parce qu’il n’y a pas assez de places pour eux. Pourtant, les écoles catholiques romaines subventionnées par l’Etat dans la commune ont des douzaines de places vides parce qu’elles n’en réservent que 10% aux enfants non-catholiques». (The Guardian du 06/01/1990).

Après beaucoup de débats internes, WAF produisit un modèle de résolution sur la question des écoles religieuses. Elle appelle à la suppression progressive des subventions publiques au secteur bénévole (ou religieux) et à l’abolition du droit de créer des écoles religieuses dans le secteur public ; le retrait de la disposition imposant un culte «principalement chrétien» aux écoles laïques et l’élaboration d’une puissante politique éducationnelle anti-raciste qui accorderait des droits au culte privé, au régime alimentaire et à la mode vestimentaire pour tout groupe religieux dans une école publique.

Notre objectif, en produisant une résolution modèle à distribuer parmi les sympathisants était de tenter d’abord d’influencer les politiques du principal parti d’opposition, le Labour Party. (Au début des années 80, le Labour Party a opéré un brutal virage à gauche et quoiqu’il ait un caractère socio-démocrate, compte beaucoup de membres socialistes radicaux). Nous obtînmes le soutien des branches locales et particulièrement de leurs sections féminines, mais notre campagne entra en pleine collision avec les efforts (scandaleusement réussis) de la direction du parti d’écraser l’autonomie locale et de déradicaliser son image avant les prochaines élections législatives. Ainsi, par exemple, notre résolution, soumise par une section londonienne à la Conférence des Femmes du Labour Party (manifestation très vivante pendant toutes les années 80), fut rayée de l’ordre du jour pour la raison absurde qu’elle portait sur «plus d’une question», et donc, ne fut point débattue. La direction du Parti a été très tôt sensibilisée au défi que la position laïque poserait à leur respect réaffirmé pour les minorités religieuses, par opposition aux minorités raciales (Labour Party, 1989). Ceci fut un coup sérieux porté à notre campagne, et il est clair, rétrospectivement, que nous avons consacré trop d’énergie à essayer de changer le Labour Party de l’intérieur, à travers ses membres féministes-socialistes de gauche (à présent impuissantes et démoralisées).

Les autres groupes de sympatisants

Le dilemme de WAF au cours de l’année passée - et surtout après que l’euphorie du début se fût dissipée - a été de définir où se trouvent ses alliés potentiels et comment les utiliser efficacement. Notre position sur la laïcité et l’Etat, quoique procédant du féminisme socialiste, constitue en fait une exigence démocratique classique du genre qui a été combattue et vaincue il y a longtemps dans d’autres pays occidentaux tels que la France et les Etats-Unis. La gauche a fait preuve de manque de sympathie pour la laïcité pendant plusieurs décennies. A titre d’exemple, Charte 88, centre-gauche défendant un projet de loi des Droits Constitutionnels en Grande-Bretagne, demeure impassible quant au besoin d’un règlement constitutionnel sur l’Eglise établie et le droit des minorités religieuses. Une raison à cette indifférence est sans aucun doute le caractère doux de la religion officielle auquel j’ai fait référence plus haut. L’anglicanisme, religion sûre des dirigeants d’empire, a placé sa mission «civilisatrice» avant l’évangélisme. Une autre raison relève du caractère inachevé de la révolution bourgeoise anglaise - avec son accomodation à l’ancien régime aux dépens du républicanisme ou de la laïcité - et aux distorsions subséquentes du rationalisme anglais.

Une des rares organisations qui ait offert un soutien enthousiaste à notre position sur la laïcité a été la «South Place Ethical Society», un groupe humaniste basé à Conway Hall à Londres, ainsi que des organisations associées telles que la Rationalist Press Association. Pour admirables qu’elles soient et inestimables, pour l’espace qu’elles offrent aux «dissidents» en tous genres, elles demeurent stupéfiées par les récentes évolutions politiques en Grande-Bretagne, telles que les mouvements des femmes et des anti-racistes.

D’un autre côté, nous avons obtenu, dans notre opposition à l’intégrisme («Ah ! les braves filles»), le soutien d’individus et de groupes qui n’envisageaient pas encore de s’opposer à la domination du christianisme dans l’enseignement - c’est le cas du Mouvement pour l’Ordination des Femmes et d’autres groupements religieux radicaux. Il est difficile de réagir à ce genre de soutien, pour bien intentionné qu’il soit, en raison de la simple ampleur du bruit fait autour de «l’extrémisme islamique». Fay Weldon n’est que l’exemple le plus connu, dans la presse, de l’attitude de croisade revitalisée parmi les libéraux occidentaux (voir Connolly, 1990 et Desai, 1990). Certaines réactions recueillies auprès d’enseignants également sont du genre paternaliste, lequels «se désolent» pour les filles musulmanes, tout en ignorant leur propre gêne à propos de la ré-introduction du culte chrétien dans les écoles (ils sont tout simplement passés à côté). La «voie médiane» est trompeuse pour nous, surtout lorsque certaines féministes noires demeurent ambivalentes ou hostiles à l’image anti-islamiste de WAF et que certaines des anti-racistes radicales les plus connues (comme Sivanandan, à l’Institut des Relations Raciales) gardent un silence prudent sur le problème Rushdie.

Le mouvement des femmes

Nous avons tenté, avec quelque succès, de nous situer dans le grand mouvement des femmes. Par exemple, nous avons organisé une soirée charitable réussie au profit du WAF, à Conway Hall, endroit inhabituel pour une soirée disco de femmes. L’assistance comprenait beaucoup de lesbiennes, noires comme blanches - fait qui donna naissance à des commentaires négatifs venant de certaines femmes de Conway Hall («Elles ont détruit Greenham, ne laissez pas la même chose vous arriver»). La réunion subséquente de WAF exprima son soutien aux lesbiennes et déclara que la lutte pour l’auto-détermination de la sexualité est une partie intégrante de la lutte contre l’intégrisme religieux.

Que nous ayons pensé à organiser une manifestation sociale plutôt que politique, a été critiqué quant à l’état du mouvement des femmes, mais cela a bel et bien donné l’occasion à des centaines de féministes de nous exprimer leur solidarité.

Le nombre de personnes présentes contrastait fortement avec une manifestation différente que nous avions organisée - un piquet de l’ambassade irlandaise à Londres devant coïncider avec l’ouverture d’un procès à la Cour européenne des Droits de l’Homme sur le droit à l’information relative à l’avortement pour les femmes irlandaises. Le soutien à cette manifestation nous est principalement venu des Southall Black Sisters elles-mêmes et du Groupe des Femmes Irlandaises en faveur de l’avortement. Pour faible qu’il fût, ce soutien était néanmoins rapporté dans les médias (tout particulièrement The Independent) et contribua à changer légèrement notre image publique d’une focalisation exclusive sur l’Islam.

Pour la Journée Internationale de la Femme en 1990, nous avons organisé une réunion publique sur l’intégrisme religieux dans le monde entier, avec une plateforme de femmes activistes venant du Bangladesh, de Grande-Bretagne, d’Israël, du Ghana, des Etats-Unis et d’URSS qui décrit comment les femmes ont combattu l’intégrisme dans ces pays. Ce fut une intervenante de l’assistance, Rabia Janjua, qui fournit le vrai centre d’intérêt de la soirée. Dans un discours émouvant, elle décrivit comment elle et son mari se sont enfuis du Pakistan où ils étaient emprisonnés pour violation des lois contre l’adultère, le mauvais traitement subséquent que lui infligeait son mari et ses tentatives d’échapper à la détermination du Home Office (Ministère de l’Intérieur) de l’expulser vers le Pakistan où elle aurait été sujette à des tracasseries et à la prison. SBS s’est battu pour son cas, mais elles ont souligné le besoin d’une campagne politique plus large sur la question du statut de réfugiées pour les femmes victimes de la persécution sur des bases religieuses ou sexuelles. Si l’on gagnait, cela créerait un précédent juridique d’une importance vitale.

L’affaire de Rabia Janjua représente le genre de problèmes que le WAF peut et devrait soulever au sein du grand mouvement des femmes : les femmes sujettes au racisme et à la persécution religieuse doivent constituer notre priorité, amener les femmes blanches à s’impliquer dans des campagnes que les femmes noires ont menées pendant des années.

Une des forces de WAF a résidé dans le nombre de membres ayant une expérience politique provenant du monde post-colonial, y compris les anti-communalistes indiens, les opposants iraniens, les anti-sionistes israéliens, les anti-cléricaux irlandais. Ceci nous a déterminé à soutenir les luttes féministes au niveau international, mais cela nous a aussi placé devant un dilemme. Comment pouvons-nous contribuer à la lutte des femmes représentées dans le WAF sur leur propre terrain ? Le piquet à l’ambassade irlandaise fut un reflet de cette préoccupation, la grande plateforme internationale lors de notre réunion publique en fut un autre. Nous continuerons à rendre compte du travail des féministes à travers le monde et à nous impliquer dans les réseaux internationaux, tels que Femmes sous lois musulmanes. Mais il est difficile d’envisager un travail plus focalisé visant les gouvernements d’autres pays. En tant que membres du WAF, de mon point de vue, notre première tâche consiste à rapporter notre expérience internationale à la situation en Grande-Bretagne. Agir autrement épuiserait et disperserait nos ressources.

L’avenir

Au cours de l’année passée, nous avons appris une leçon douloureuse mais importante - à savoir qu’une analyse radicale de la religion dans ce pays a à peine commencé et qu’un mouvement laïque existe à peine. Nous avons gagné quelque soutien de gauche (surtout de ceux qui viennent de contextes fortement religieux) parmi les féministes et les anti-racistes, mais ce soutien est inégal et épars. Nous ne pouvons pas compter sur des petits groupes au sein ou en dehors du Labour Party, pour nous défendre avec efficacité.

Cependant, nous savons aussi qu’il y existe un malaise public au sujet de la récente politisation de la religion dans ce pays. Le pamphlet que vient de publier la Commission pour l’Egalité Raciale et intitulé «Les Ecoles de la Foi», lequel pose le besoin d’un large débat sur le sujet des écoles religieuses, sans parvenir elle-même à une conclusion, est une preuve de cette préoccupation (CRE, 1990).

Ainsi, l’on ne peut échapper à la conclusion selon laquelle le WAF devra occuper le premier plan dans la formation d’une large coalition laïque, avec pour cible directe l’Etat plutôt que les intégristes d’une quelconque religion. C’est là la seule façon de reconnaître les légitimes doléances des Musulmans («s’ils peuvent avoir des écoles, pourquoi pas nous ?»), et, en même temps contribuer à démarquer les progressistes intégristes dans les communautés minoritaires. C’est aussi la seule manière de clarifier la nature de notre soutien libéral - est-il simplement anti-islamique, ou ceux qui nous soutiennent sont-ils prêts à aller dans la direction du démantèlement des privilèges chrétiens ?

Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de nous focaliser sur un quelconque groupe de sympathisants - féministes, socialistes, groupement religieux radical - mais devons recourir à eux tous. Ceci semble un projet ambitieux, mais notre alternative est d’observer, en marge de la vie politique, la progression de la bigoterie religieuse et du sectarisme racial qui s’abritent sous le manteau de la religion. La séparation complète de l’Etat et de la religion n’est pas une garantie d’une société pluraliste, mais elle en est certainement un préalable. Elle offre aussi aux femmes, noires comme blanches, une mesure de la protection juridique et sociale contre les efforts des intégristes visant à restreindre nos choix de vie et notre sexualité.

Références:

Catholic Media Office (1984), «Learning from Diversity : a Challenge for Catholic Education», London.
Commission for Racial Equality (1990), «Schools of Faith», London.
Connolly, Clara (1990), Review essay on «Sacred Cows», Feminist Review, N° 35.
Desai, Radhika (1990, «Fundamentalism and the New Right», in «Women : A Cultural Review», vol. 1, n° 1.
Labour Party (1989), «Multicultural Education: Labour’s Policy for Schools», London.
Phillips, Melanie (1.6.1990), «A Harsh Lesson in Conflict and Claptrap», «Guardian».

Reproduit de: Women against Fundamentalism
BM Box 2706, London WC1 3XX, Royaume Uni.
Bulletin du WAF n° 1, novembre 1990, pp. 5-7.